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Attendez jufqu'au bout, pour voir les chofes fûres,
Et ne vous fiez point aux fimples conjectures.
ORGON.

Non, rien de plus méchant n'eft forti de l'enfer.
ELMIRE.

Mon Dieu, l'on ne doit point croire trop de leger; Laiffez-vous bien convaincre ' avant que de vous rendre,

..

Et ne vous hâtez point, de peur de vous méprendre. Elle fait mettre son Mari derriére elle.

SCENE

VII.

TARTUFFE, ELMIRE, ORGON.

TARTUFFE.

Tout confpire, Madame, à mon contentement. J'ay vifité, de l'œil, tout cet appartement, Perfonne ne s'y trouve, & mon ame ravie...

ORGON, en l'arrêtant.

Tout doux, vous fuivez trop vôtre amoureuse en

vie,

Et vous ne devez pas vous tant paffionner.

Ah, ah, l'homme de bien, vous m'en vouliez donner!

Comme aux tentations s'abandonne vôtre ame!
Vous époufiez ma fille, & convoitiez ma femme!
J'ay douté fort long-temps, que ce fut tout de bon,
Et je croyois toûjours qu'on changeroit de ton:
Mais c'eft affez avant pouffer le témoignage,
Je m'y tiens, & n'en veux pour moi pas davantage.
ELMIRE à Tartuffe.

C'eft contre món humeur, que j'ay fait tout ceci,
Mais on m'a mifeau point de vous traiter ainsi.

TARTUFFE

Quoi! vous croyez...

ORGON.

Allons, point de bruit, je vous pric.

Dénichons de céans, & fans cérémonie.

TARTUFFE

Mon deffein...

OR

ORGON.

Ces difcours ne font plus de faifon

Il faut, tout fur le champ, fortir de la maison.

TARTUFF E.

C'eft à vous d'en fortir, vous qui parlez en Maître.
La inaifon m'apartient, je le ferai connoitre,
Et vous montreray bien qu'en vain on a recours,
Pour me chercher querelle, à ces lâches detours,
Qu'on n'eft pas où l'on penfe, en me faifant injure;
Que j'ay dequoy confondre, & punir l'Imposture,
Vanger le Ciel qu'on bleffe, & faire repentir
Ceux qui parlent ici de me faire fortir.

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ELMIR E.

Quel est donc ce langage, & qu'eft-ce qu'il veut

dire?

ORGON.

Ma foi, je fuis confus, & n'ay pas lieu de rire.

Comment ?

ELMIRE.

ORGON.

Je voi ma faute, aux chofes qu'il me dit,

Et la donation m'embarraffe l'efprit.

La donation...

EL MIR E.

ORGON.

Oui, c'est une affaire faite;

Mais j'ay quelqu'autre chofe encor qui m'inquiéte.

Et quoi?

ELMIR E.

ORGON.

Vous fçaurez tout. Mais voyons au plûtôt,

Si certaine caflette eft encore là haut.

Fin du Quatrième Atte,

ACTE

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Il me femble

Que l'on doit commencer par confulter ensemble,
Les chofes qu'on peut faire en cet événement,
ORGON.

Cette caffette-là me trouble entiérement,
Plus que le reste encor, elle me défefpére.

CLEANTE.

Cette caffette eft donc un important mystére?

ORGON.

C'eft un dépôt qu'Argas, cet amy que je plains,
Luy-même, en grand fecret,m'a mis entre les mains,
Pour cela, dans fa fuitte, il me voulut élire;
Et ce font des papiers, à ce qu'il m'a pû dire,
Où fa vie, & fes biens, fe trouvent attachez.
CLEANTE.

Pourquoi donc les avoir en d'autres mains lâchez?
ORGON.

Ce fut par un motif de cas de confcience.
T'allai droit à mon traître en faire confidence,
Et fon raisonnement me vint perfuader
De lui donner plûtôt la caffette à garder ;
Afin que pour nier, en cas de quelque enquête,
J'euffe d'un faux-fuyant, la faveur toute prête,
Par où ma confcience eût pleine fûreté

A faire des fermens contre la vérité.

CLEANT E.

Vous voilà mal, au moins, fi j'en crois l'apparence, Et la donation, & cetre confidence,

.

Sont,

Sont, à vous en parler felon mon sentiment,
Des démarches, par vous, faites legérement.
On peut vous mener loin avec de pareils gages,
Et cet homme, fur vous, ayant ces avantages,
Le pouffer eft encor grande imprudence à vous,
Et vous deviez chercher quelque biais plus doux.
ORGON.

Quoi! fous un beau femblant de ferveur fi touchan

te,

Cacher un cœur fi double, une ame fi méchante?
Et moi qui l'ay reçu gueufant, & n'ayant rien...
C'en eft fait, je renonce à tous les gens de bien.
J'en aurai deformais une horreur effroyable,
Et m'en vais devenir, pour eux, pire qu'un diable.
CLEANTE.

Hé bien, ne voilà pas de vos emportemens!
Vous ne gardez en rien les doux temperamens.
Dans la droite raison, jamais n'entre la vôtre;
Et toûjours, d'un excés, vous vous jettez dans l'au-

tre.

Vous voyez vôtre erreur, & vous avez connu,
Que par un zele feint vous étiez prévenu:
Mais pour vous corriger, quelle raifon demande
Que vous alliez paffer dans une erreur plus grande,
Et qu'avecque le cœur d'un perfide Vaurien,
Vous confondiez les coeurs de tous les gens de bien?
Quoi! parce qu'un fripon vous dupe avec audace;
Sous le pompeux éclat d'une auftére grimace,
Vous voulez que par tout on foit fait comme luy,
Et qu'aucun vrai dévot ne fe trouve aujourd'huy?
Laiffez aux Libertins ces fottes confequences,
Démêlez la vertu d'avec fes apparences,
Ne hazardez jamais vôtre eftime trop tôt,
Et 1oyez pour cela dans le milieu qu'il faut.
Gardez-vous, s'il fe peut, d'honorer l'Impofture,
Mais au vray zele auffi n'allez pas faire injure;
Et s'il vous faut tomber dans une extrémité,
Péchez plûtôt encor de cet autre côté.

Tome 111.

Kkk

SCE

SCENE II.

DAMIS, ORGON, CLEANTE.

DAMIS.

Voi! mon Pere, eft-il vrai qu'un coquin vous

Quoi!

menace,

Qu'il n'eft point de bienfait qu'en fon ame il n'effa

ce,

Et que fon lâche orgueil, trop digne de courroux, Se fart, de vos bontez, des armes contre vous? ORGON.

Oui, mon fils, & j'en fens des douleurs nompareil

les.

DAMIS.

Laiffez-moi, je lui veux couper les deux oreilles,
Contre fon infolence on ne doit point gauchir.
C'eft à moi, tout d'un coup, de vous en affranchir,
Et pour fortir d'affaire, il faut que je l'affomme.
CLEAN TE.

Voilà, tout justement, parler en vrai jeune homme.
Moderez, s'il vous plaît, ces tranfports éclatans;
Nous vivons fous un Regne, & fommes dans un

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temps,

Où, par la violence, on fait mal fes affaires.

SCENE III.

MADAME PERNELLE, MARIANE, ELMIRE, DORINE, DAMIS, ORGON, CLEANTE.

M. PERNELLE.

Qu'en cet j'apprens ici de terribles myfteres.

ORGON.

Ce font des nouveautez dont mes yeux font témoins,
Et vous voyez le prix dont font payez mes foins.
Je recueille, avec zele, un homme en fa mifere,
Je le loge, & le tiens comme mon propre frere;
De bienfaits, chaque jour, il eft par moy chargé,
Je luy donne ma fille, & tout le bien que j'ai;
Et dans le même temps, le perfide, l'infame,

Ten

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