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Et c'eft faire, Monfieur, ce que le Ciel ordonne:
Mais aprés le fcandale, & l'affront d'aujourd'huy,
Le Ciel n'ordonne pas que je vive avec luy.
CLEANT E.

Et vous ordonne-t-il, Monfieur, d'ouvrir l'oreille
A ce qu'un pur caprice à fon Pere confeille?
Et d'accepter le don qui vous eft fait d'un bien
Où le droit vous oblige à ne prétendre rien.
TARTUFF E.

Ceux qui me connoîtront, n'auront pas la pensée
Que ce foit un effet d'une ame intereffée.
Tous les biens de ce monde ont pour moy peu d'ap-

pas,

De leur éclat trompeur je ne m'ébloûis pas ;.
Et fi je me réfous à recevoir du Pere
Cette donation qu'il a voulu me faire,

Ce n'eft, à dire vray, que parce que je crains
Que tout ce bien ne tombe en de méchantes mains ;
Qu'il ne trouve des Gens, qui l'ayant en partage,
En faflent, dans le monde, un criminel ufage;
Et ne s'en fervent pas, ainfi que j'ay deffein,
Pour la gloire du Ciel, & le bien du Prochain.

CLEANT E.

Eh, Monfieur, n'ayez point ces délicates craintes,
Qui d'un jufte heritier peuvent caufer les plaintes.
Souffrez, fans vous vouloir embarraffer de rien,
Qu'il foit, à fes perils, poffeffeur de fon bien;
Et fongez qu'il vaut mieux encor qu'il en mefufe,
Que fi de l'en fruftrer, il faut qu'on vous accufe,
J'admire feulement que, fans confufion,
Vous en ayez fouffert la propofition;

Car enfin, le vray zele a-t-il quelque maxime
Qui montre à dépouiller l'heritier legitime?
Et s'il faut que le Ciel dans votre cœur ait mis
Un invincible obftacle à vivre avec Damis,
Ne vaudroit-il pas mieux, qu'en Perfonne difcrette,
Vous fiffiez de ceans une honnête retraite,
Que de fouffrir ainfi, contre toute raifon,
Qu'en en chaffe, pour vous, le Fils de la Maifon?
Croyez-moy, c'eft donner de vôtre prud'hommie,
Monfieur...

TARTUFF E.

1left, Monfieur, trois heures & demie;

Certain devoir pieux me demande là-haut,
Et vous n'excuferez, de vous quitter fi-tôt.

Ah!

CLEANTE.

SCENE II.

ELMIRE, MARIANE, DORINE,

DE grace,

CLEANTE.

DORIN E.

grace, avec nous,employez-vous pour elle,, Monfieur, fon ame fouffre une douleur mortelle; Et l'accord que fon Fére a conclu pour ce foir, La fait, à tous momens, entrer en défefpoir. Il va venir; joignons nos efforts, je vous prie, Et tâchons d'ébranler de force, ou d'induftrie, Ce malheureux deffein qui nous a tous troublez.

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ORGON, ELMIRE, MARIANE,
CLEANTE, DORINE.

ORGON.

HA, je me réjouis de vous voir affemblez.

à Mariane.

Je porte, en ce Contrat, dequoy vous faire rire,
Et vous fçavez déja ce que cela veut dire.

MARIANE à genoux.

Mon Pere, au nom du Ciel, qui connoît ma douleur,
Et par tout ce qui peut émouvoir vôtre cœur,
Relâchez-vous un peu des droits de la naiffance,
Et difpenfez mes voeux de cette obéiffance.
Ne me réduifez point, par cette dure Loy,
Jufqu'à me plaindre au Ciel de ce que je vous doy:
Et cette vie, hélas! que vous m'avez donnée,
Ne me la rendez pas, mon Pere, infortunée.
Si contre un doux efpoir que j'avois pû former,
Vous me défendez d'être à ce que j'ofe aimer;
Au moins, par vos bontez, qu'à vos genoux j'implo-

re,

Savez-moi du tourment d'être à ce que j'abhorre; Er ne me portez point à quelque défefpoir,

En

En vous fervant, fur moi, de tout vôtre pouvoir.
ORGON fe fentant attendrir.

Allons, ferme, mon cœur, point de foiblefle humaine.

MARIANE.

Vos tendreffes pour lui ne me font point de peine;
Faites les éclater, donnez-lui vôtre bien;
Et fi ce n'eft affez, joignez-y tout le mien,
J'y confens de bon cœur, & je vous l'abandonne :
Mais au moins n'allez pas jufques à ma perfonne,
Et fouffrez qu'un Couvent, dans les auftéritez,
Use les triftes jours que le Ciel m'a contez.
ORGO N.

Ah! voilà juftement de mes Religieufes,
Lors qu'un Pere combat leurs flames amoureufes.
Debout. Plus vôtre cœur repugne à l'accepter,
Plus ce fera pour vous, matiére à mériter.
Mortifiez vos fens avec ce Mariage,

Et ne me rompez pas la tête davantage.

Mais quoi...

DORIN E.

ORGON.

Taifez-vous, vous. Parlez à votre écot,

Je vous défens, tout net, d'ofer dire un feul mot. CLEANT E.

Si par quelque confeil vous fouffrez qn'on réponde... ORGON.

Mon Frere, vos confeils font les meilleurs du mon

de,

Ils font bien raisonnez, & j'en fais un grand cas;
Mais vous trouverez bon que je n'en ufe pas.
ELMIRE à fon Mari.
A voir ce que je vois, je ne fçai plus que dire,
Et vôtre aveuglement fait que je vous admire.
C'est être bien coiffé, bien prévenu de lui,
Que de nous démentir fur le fait d'aujourd'hui.
ORGON.

Te fuis vôtre Valet, & crois les apparences.
Pour mon fripon de Fils, je fçay vos complaifances,
Et vous avez eu peur de le défavoüer

Du trait qu'à ce pauvre Homme il a voulu joüer.
Vous étiez trop tranquille enfin, pour être cruë,
Et vous auriez paru d'autre maniére emeûë,

EL

ELMIR E.

Eft-ce qu'au fimple aveu'd'un amoureux transport,
Il faut que nôtre honneur fe gendarme si fort?
Et ne peut-on répondre à tout ce qui le touche,
Que le feu dans les yeux, & l'injure à la bouche ?
Pour moy, de tels propos, je me ris fimplement,
Et l'éclat, là deffus, ne me plaît nullement.
J'aime qu'avec douceur nous nous montrions fages,
Et ne fuis point, du tout, pour ces Prudes fauvages,
Dont l'honneur eft armé de griffes, & de dents,
Et veut, au moindre mot, dévisager les Gens.
Me préferve le Ciel d'une telle fageffe!
Je veux une Verru qui ne foit point diableffe,
Et crois que d'un refus la difcrete froideur,
N'en eft pas moins puiffante à rebuter un cœur.

ORGON.

Enfin je fçay l'affaire, & ne prens point le change.

ELMIR E.

J'admire, encor un coup, cette foibleffe étrange.
Mais que me répondroit vôtre incredulité,
Si je vous faifois voir qu'on vous dit vérité?

ORGON.

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Quel Homme! Au moins répondez-moi.

Je ne vous parle pas de nous ajoûter foi:

Mais fuppofons icy, que d'un lieu qu'on pût pren

dre,

On vous fit clairement tout voir, & tout entendre, Que diriez-vous alors de vôtre Homme de bien ?

ORGON.

En ce cas, je dirois que... Je ne dirois rien;
Car cela ne fe peut,

EL

ELMIR E.

L'erreur trop long-temps dure,

Et c'eft trop condamner ma bouche d'impofture.
Il faut que par plaifir, & fans aller plus loin,
De tout ce qu'on vous dit, je vous faffe témoin.
ORGON.

Soit, je vous prens au mot.

adreffe,

Nous verrons vôtre

Et comment vous pourrez remplir cette promeffe.

ELMIR E.

Faites-le moi venir.

DORIN E.

Son efprit eft rufë,

Et peut-être, à furprendre, il fera malaifé.
EL MIR E.

Non, on eft aisément dupé par ce qu'on aime,
Et l'amour propre engage à fe tromper foy-même.
Faire-le moi defcendre; & vous, ret rez-vous.
Parlant à Cléante, & à Mariane..

SCENE IV.

ELMIRE, ORGON

ELMIR E.

A Prochons cette Fable, & vous mettez dessous.

Comment?

ORGON.

ELMIR E.

Vous bien cacher, eft un point nécessaire.
ORGON.

Pourquoi fous cette Table?

ELMIR E.

Ah! mon Dieu, laiffez faire,

J'ay mon deffein en tête, & vous en jugerez.
Mettez-vous là, vous dis-je; & quand vous y ferez,
Gardez qu'on ne vous voie, & qu'on ne vous enten-
ORGON.

Je confeffe qu'ici ma complaifance eft grande:
Mais de vôtre entreprife, il vous faut voir fortir.
ELMIR E.

Vous n'aurez, que je croy, rien à me repartir.

a fon mari qui eft fons la table,

(de.

Au

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