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Des ouvrages parfaits que le Ciel a formez.
Ses attraits refléchis brillent dans vos pareilles :
Mais il étale en vous fes plus rares merveilles.
Il a fur vôtre face épanché des beautez,

Dont les yeux font furpris, & les cœurs transportez;
Et je n'ay pû vous voir, parfaite Creature,
Sans admirer en vous l'Auteur de la Nature,
Et d'une ardente amour fentir mon cœur atteint,
Au plus beau des Portraits où lui-même il s'eft peint.
D'abord j'apprehenday que cette ardeur fecrette
Ne fût du noir Efprit une furprise adroite;
Et même à fuir vos yeux, mon cœur fe réfolut,
Vous croyant un obftacle à faire mon falut.
Mais enfin je connus, ô Beauté route aimable,
Que cette paffion peut n'être point coupable ;
Que je puis l'ajufter avecque la pudeur:

Et c'eft ce qui m'y fait abandonner mon cœur.
Cem'eft, je le confeffe, une audace bien grande,
Que d'ofer, de ce cœur, vous adreffer l'offrande;
Mais j'attens, en mes vœux, tout de vôtre bonté ;
Et rien des vains efforts de mon infirmité.

En vous eft mon efpoir, mon bien, ma quietude:
De vous dépend ma peine, ou ma beatitude,
Et je vais être enfin, par vôtre feul Arrêt,
Heureux, fi vous voulez; malheureux, s'il vous
plaît.

EL MIR E.

La declaration eft tout-à-fait galante:

Mais elle eft, à vray dire, un peu bien furprenante. Vous deviez, ce me femble, armer mieux vôtre fein, Et raifonner un peu fur un pareil deffein.

Un Dévot comme vous,& que par tout on nomme...
TARTUFF E.

Ah! pour être Dévot,je n'en fuis pas moins Homme;
Et lors qu'on vient à voir vos celeftes appas,
Un cœur fe laiffe prendre, & ne raisonne pas.
Je fçay qu'un tel difcours de moi paroît étrange;
Mais, Madame, aprés tout, je ne fuis pas un Ange;
Et fi vous condamnez l'aveu que je vous fais,

Vous devez vous en prendre à vos charmans attraits.
Dés que j'en vis briller la fplendeur plus qu'hu-

maine,

Be mon intericür vous fûtes fouveraine.

De

De vos regards divins l'ineffable douceur,
Força la refiftance où s'obstinoit mon cœur ;
Elle furmonta tout, jeûnes, prieres, larmes,
Et tourna tous mes vœux du coré de vos charmes.
Mes yeux,& mes foûpirs, vous l'ont dit mille fois;
Et pour mieux m'expliquer, j'employe ici la voix.
Que fi vous contemplez, d'une ame un peu benigne,
Les tribulations de vôtre Esclave indigne ;
S'il faut que vos bontez veuillent me confoler,
Et jufqu'à mon neant daignent fe ravaler,
J'aurai toujours pour vous, ô fuave merveille,
Une devotion à nulle autre pareille.

Vôtre honneur, avec moi, ne court point de hazard,
Et n'a nulle difgrace à craindre de ma part.

Tous ces galans de Cour, dont les femmes font foles, Sont bruyans dans leurs faits, & vains dans leurs pa

roles.

De leurs progrés fans ceffe on les voit fe targuer;
Ils n'ont point de faveurs, qu'ils n'aillent divulguer:
Et leur langue indifcrete, en qui l'on fe confie,
Deshonore l'Autel où leur Cœur facrifie :

Mais les Gens comme nous,brûlent d'un feu difcret,
Avec qui pour toûjours on est seur du fecret.
Le foin que nous prenons de nôtre renommée,
Répond de toute chofe à la perfonne aimée;

Et c'eft en nous qu'on trouve, acceptant nôtre cœur,
De l'amour fans fcandale, & du plaifir fans peur.
ELMIR E.

Je vous écoute dire; & vôtre Rhétorique,
En termes affez forts, à mon ame s'explique.
N'apprehendez-vous point, que je ne fois d'humeur
A dire à mon Mari cette galante ardeur ?
Et que le prompt avis d'un amour de la forte,
Ne pût bien alterer l'amitié qu'il vous porte?
TARTUFF E.

Je fçay que vous avez trop de benignité.
Et que vous ferez grace à ma temerité
Que vous m'excuferez fur l'humaine foibleffe,
Des violens tranfports d'un amour qui vous bleffe;
« Et confidererez, en regardant vôtre air,

Que l'on n'eft pas aveugle, & qu'un Homme eft de

chair,

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EL MIR E.

D'autres prendroient cela d'autre façon, peut-être ;
Mais ma difcretion fe veut faire paroitre
Je ne redirai point l'affaire à mon Epoux ;
Mais je veux en revanche une chofe de vous.
C'eft de prefier tout franc, & fans nulle chicane,
L'union de Valere avecque Mariane,

De renoncer vous même à l'injufte pouvoir
Qui veut du bien d'un autre enrichir vôtre espoir;
Et...

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SCENE IV.

DAMIS, ELMIRE, TARTUFFE.

"

DAMIS fortant du petit cabinet,
où il s'étoit retiré.

Non, Madame, non, ceci doit fe répandre.
J'étois en cet endroit, d'où j'ay pû tout entendre;
Et la bonté du Ciel m'y femble avoir conduit,
Pour confondre l'orgueil d'un Traître qui me nuit ;
Pour m'ouvrir une voie à prendre la vangeance
De fon hypocrifie, & de fon infolence;

A détromper mon Pere, & luy mettre en plein jour,
L'ame d'un Scelerat qui vous parle d'amour.
ELMIR E.

Non, Damis, il fuffit qu'il fe rende plus fage,
Et tâche à meriter la grace où je m'engage.
Puis que je l'ay promis, ne m'en dédites pas.
Ce n'eft point mon humeur de faire des éclats;
Une Femme fe rit de fottifes pareilles,

Et jamais d'un Mary n'en trouble les oreilles.
D A MIS.

Vous avez vos raifons pour en ufer ainfi ;
Et pour faire autrement, j'ay les miennes auffi.
Le vouloir épargner, eft une raillerie;
Et l'infolent orgueil de la Cagotterie,

N'a triomphe que trop de mon jufte courroux,
Et que trop excité de defordre chez nous.

Le Fourbe, trop long-temps, a gouverné mon Pere;
Et deffervi mes feux avec ceux de Valere.

Il faut du Perfide il foit defabule;

que

Et le Ciel, pour cela, m'offre un moyen aisé :

De

De cette occafion, je luy fuis redevable;
Et pour la négliger, elle eft trop favorable.
Ce feroit meriter qu'il me la vint ravir;
Que de l'avoir en main, & ne m'en pas fervir.
ELMIR E.

Damis...

DAMIS.

Non, s'il vous plaît, il faut que je me croie, Mon ame eft maintenant au comble de la joie, Et vos difcours en vain prétendent m'obliger A quitter le plaifir de me pouvoir vanger. Sans aller plus avant, je vais vuider l'affaire, Et voicy justement de quoy me fatisfaire.

SCENE V.

ORGON, DAMIS, TARTUFFE,
EL MIRE.

DAMIS.

Nous allons régaler, mon Pere, vôtre abord D'un incident tout frais, qui vous furprendra fort.

Vous étes bien payé de toutes vos careffes;

Et Monfieur, d'un beau prix, reconnoît vos tendreffes. 12.

Son grand zele, pour vous, vient de fe déclarer..
Il ne va pas à moins qu'à vous deshonorer
Et je l'ay furpris, là, qui faifoit à Madame
L'injurieux aveu d'une coupable flame.

Elle eft d'une humeur douce,& fon cœur trop difcret
Vouloit, à toute force, en garder le fecret:
Mais je ne puis flatter une telle impudence,

Et crois que vous la taire, eft vous faire une offence.
ELMIR E.

Oui, je tiens que jamais, de tous ces vains propos, On ne doit d'un Mari traverser le repos;

Que ce n'eft point de là que l'honneur peut dépendre,

Et qu'il fuffit pour nous, de fçavoir nous défendre. Ce font mes fentimens; & vous n'auriez rien dit, Damis, fij'avois eu fur vous quelque credit.

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SCENE VI.

ORGON, DAMIS, TARTUFFE.

ORGON.

CE que je viens d'entendre, ô Ciel, eft-il croyable ?

TARTUFFE.

Oai, mon frere, je fuis un méchant, un coupable,
Un malheureux Pecheur, tout plein d'iniquité,
Le plus grand fcelerat qui jamais ait été.
Chaque inftant de ma vie eft chargé de foüillures,
Elle n'eft qu'un amas de crimes, & d'ordures:
Et je vois que le Ciel, pour ma punition,
Me veut mortifier en cette occasion.

De quelque grand forfait qu'on me puiffe reprendre,
Je n'ay garde d'avoir l'orgueil de m'en défendre.
Croyez ce qu'on vous dit, armez vôtre courroux,
Et comme un criminel, chaffez moi de chez vous.
Je ne fçaurois avoir tant de honte en partage,
Que je n'en aye encor merité davantage.

ORGON, à fun Fils.

Ah! traître, ofes-tu bien, par cette fauffeté,
Vouloir de fa vertu ternir la puretė?

DAM IS.

Quoi! la feinte douceur de cette ame hypocrite
Vous fera démentir...

ORGON.

Tay-toy, pefte maudite.
TARTUFF E.

Ah! laiffez-le parler, vous l'accusez à tort,
Et vous ferez bien mieux de croire à fon rapport.
Pourquoi, furun tel fait, m'être fi favorable?
Sçavez vous, apres tout, dequoi je fuis capable?
Vous fiez-vous, mon Frere, mon exterieur?
Et pour tout ce qu'on voit, me croyez-vous meil-
leur?

Non, non, vous vous laiffez tromper à l'apparence.
Et je ne fuis rien moins, helas! que ce qu'on penfe.
Tout le monde me prend pour un Homme de bien;
Mais la verité pure, eft, que je ne vaux rien.
S'adreffant à Damis.

Oui, mon cher Fils, parlez, traittez-moi de perfide,

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