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DORIN E.

Ah! jamais les Amans ne font las de jafer.

Sortez, vous dis-je.

Il fait un pas, & revient.

VALER E.

Enfin...

DORIN F.

Quel caquet eft le vôtre !

Tirez de cette part; & vous, tirez de l'autre.

Les pouffant chacun par l'épaule.

Fin du fecond Acte.

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ACTE III.

SCENE I.

DAMIS, DORINE,

DAMIS.

Ue la Foudre, fur l'heure, achève mes
deftins;

Qu'on me traite par tout du plus grand des
Faquins,

S'il eft aucun refpect, ny pouvoir, qui m'arrête,
Et fi je ne fais pas quelque coup de ma tête.
DORIN E.

De grace, modérez un tel emportement,
Vôtre Pere n'a fait qu'en parler fimplement;
On n'execute pas tout ce qui fe propofe;
Et le chemin eft long, du projet à la chose.

MI S.

Il faut que de ce Fat j'arrête les complots,
Et qu'à l'oreille, un peu, je luy dife deux mots.
DORIN E.

Ha, tout doux;envers luy,comme envers vôtre Pere.
Laiffez agir les foins de vôtre Belle-Mere.
Sur l'efprit de Tartuffe, elle a quelque crédit ;
Il fe rend complaifant à tout ce qu'elle dit,
Et pourroit bien avoir douceur de cœur pour elle.

Flût

Plût à Dieu qu'il fût vray! la chofe feroit belle.
Enfin vôtre intérêt l'oblige à le mander ;

Sur l'hymen qui vous trouble, elle veut le fonder,
Sçavoir fes fentimens, & lui faire connoître
Quels fâcheux démêlez il pourra faire naître;
S'il faut qu'à ce deffein il prête quelque efpoir.
Son Valet dit qu'il prie, & je n'ay pú le voir:
Mais ce Valet m'a dit qu'il s'en alloit defcendre.
Sortez donc, je vous prie, & me laiffez l'attendre.
DAMIS.

Je puis être préfent à tout cet entretien.

DORIN E.

Point, il faut qu'ils foient feuls.

DAMIS.

Je ne lui diray rien.

DORIN E.

Vous vous mocquez, on fçait vos transports ordinai

res,

Et c'eft le vrai moyen de gâter les affaires.

Sortez.

DAMIS.

Non, je veux voir fans me mettre en courroux.
DORIN E.

Que vous étes fâcheux! Il vient, retirez-vous.

SCENE II.

TARTUFFE, LAURENT, DORINE.

TARTUFFE, appercevant Dorine.

Laurent, ferrez ma Haire, avec ma Difcipline,

Et priez que coûjours le Ciel vous illumine. Si l'on vient pour me voir, je vais aux prifonniers, Des aumônes que j'ay, partager les deniers.

DORINE.

Que d'affectation, & de forfanterie ?

TARTUFF E.

Que voulez-vous?

DORINE.

Vous dire...

TARTUFFE

Il tire un mouchoir de fa poche.

Ah! mon Dieu, je vous prie,

Avant que de parler, prenez-moi ce mouchoir.
DORIN E.

Comment?

TARTUFF E.

Couvrez ce Sein, que je ne fçaurois voir. Par de pareils objets les ames font bleffées, Et cela fait venir de coupables pensées.

DORINE.

Vous étes donc bien tendre à la tentation;
Et la Chair, fur vos fens, fait grande impreffion.
Certes, je ne fçay pas quelle chaleur vous monte:
Mais à convojter, moi, je ne fuis point fi promte;
Et je vous verrois nû du haut jufques en bas.
Que toute votre peau ne me tenteroit pas.
TARTU FFE.

Mettez dans vos difcours un peu de modeftie,
Ou je vais, fur le champ, vous quitter la partie.
DORIN E,

Non, non, c'est moi qui vais vous laiffer en repos;
Et je n'ay feulement qu'à vous dire deux mots.
Madame va venir dans cette Sale baffe,

Et d'un mot d'entretien vous demande la grace.
TARTUFFE.

Hélas! trés-volontiers.

DORINE en foy-même.

Comme il fe radoucit!

Ma foy, je fuis toujours pour ce que j'en ay dit.

TARTUFFE

Viendra-t-elle bientôt ?

DORIN E.

Je l'entens, ce me femble,

Oui, c'eft elle en perfonne ; & je vous laiffe enfem

ble.

SCENE III.

ELMIRE, TARTUFF E.

TARTUFF E.

Que le ciel à jamais, par fa toute-bonté,

Et de l'ame, & du corps, vous donne la fanté;

Et béniffe vos jours autant que le défire
Le plus humble de ceux que fon amour inspire.

EL

ELMIR E.

Je fuis fort obligée à ce fouhait pieux:

Mais prenons une Chaife, afin d'être un peu mieux, TARTUFFE

Comment, de vôtre mal, vous fentez-vous remife?
ELMIR E.

Fort bien; & cette fiévre a bien-tôt quitté prife.
TARTUFFE

Mes priéres n'ont pas le mérite qu'il fant
Pour avoir attiré cette grace d'enhaut;
Mais je n'ay fait au Ciel nulle devote inftance,
Qui n'ait eu pour objet vôtre convalefcence.
ELMIR E.

Vôtre zéle pour moy s'eft trop inquiété.
TARTUFF E.

On ne peut trop chérir vôtre chére santé;
Et pour la rétablir, j'aurois donné la mienne.
ELMIR E.

C'eft pouffer bien avant la charité Chrétienne;
Et je vous dois beaucoup, pour toutes ces bontez.
TARTU FFE.

Je fais bien moins pour vous, que vous ne méritez.
ELMIR E.

J'ay voulu vous parler en fecret d'une affaire,
Et fuis bien aife, icy, qu'aucun ne nous éclaire.
TARTUF FE.

J'en suis ravi de même; & fans doute il m'est doux, '
Madame, de me voir feul à feul, avec vous.

C'eft une occafion qu'au Ciel j'ay demandée,
Sans que, jufqu'à cette heure, il me l'ait accordée.
ELMIR E.

Pour moi, ce que je veux, c'est un mot d'entretien
Où tout votre cœur s'ouvre, & ne me cache rien.
TARTUFF E.
Et je ne veux auffi, pour grace fingultére,

Que montter à vos yeux mon ame toute entiére;
Et vous faire ferment, que les bruits que j'ay faits,
Des vifites qu'ici reçoivent vos attraits,

Ne font pas, envers vous, l'effet d'aucune haine;
Mais plûtôt d'un transport de zéle qui m'entraîne,
Er d'un pur mouvement...

ELMIR E.

Je le prens bien ainfi,

Et

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Et crois que mon falut vous donne ce foucy.
TARTUFF E.

Il luy ferre les bouts des doigts.

Oûi, Madame, fans doute, & ma ferveur eft telle... EL MIR E.

Ouf, vous me ferrez trop.

TARTUFF E.

C'est par excés de zele.

De vous faire aucun mal, je n'eus jamais deffein,

Et j'aurois bien plûtôt...

Il luy met la main fur le genoû.
ELMIR E.

Que fait là vôtre main?

TARTUFF E.

Je tåte vôtre habit, l'étoffe en eft moúelleuse.
ELMIR E.

Ah! de grace, laiffez, je fuis fort chatouilleufe.
Elle recule fa Chaife, & Tartuffe rapproche la fienne.
TARTUFFE.

Mon Dieu, que de ce Point l'ouvrage eft merveilleux!

On travaille aujourd'hui d'un air miraculeux ;
Jamais, en toute chofe, on n'a veu fi bien faire.

EL MIR E.

Il eft vray. Mais parlons un peu de nôtre affaire.
On tient que mon Mari veut dégager fa foi,
Et vous donner fa Fille. Eft-il vray, dites-moi?
TARTUFF E.

Il m'en a dit deux mots: mais, Madame, à vrai dire,
Ce n'eft pas le bonheur après quoy je foûpire;
Et je vois autre part les merveilleux attraits
De la felicité qui fait tous mes fouhaits.

EL MIR E.

C'eft que vous n'aimez rien des chofes de la Terre. TARTUFF E.

Mon fein n'enferme pas un coeur qui foit de pierre. ELMIR E.

Pour moy je croi qu'au Ciel tendent tous vos foûpirs, Et que rien, ici bas, n'arrête vos defirs.

TARTUFF E.

L'amour qui nous attache aux Beautez éternelles, N'étouffe pas en nous l'amour des temporeles. Nos fens facilement peuvent être charmez

Tome 111..

Iii

Des

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