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ORGON.

Je vous dis...

DORIN E.

Non, vous avez beau faire,

On ne vous croira point.

ORGON.

A la fin, mon courroux... DORIN E.

Hé bien on vous croit donc, & c'eft tant pis pour

vous.

Quoi! fe peut-il, Monfieur, qu'avec l'air d'homme

fage,

Et cette large barbe au milieu du visage,
Vous foyez affez fou pour vouloir...
ORGON.

Ecoutez,

Vous avez pris ceans certainez privautez
Qui ne me plaifent point; je vous le dis,
DORIN E.

Mamie.

Parlons fans nous fâcher, Monfieur, je vous fuplic.
Vous moquez-vous des gens,d'avoir fait ce complot?
Vôtre fille n'eft point l'affaire d'un Bigot.
Il a d'autres emplois aufquels il faur qu'il penfe;
Et puis, que vous apporte une telle alliance?
A quel fujet aller avec tout votre bien,

Choifir un Gendre gueux ?

ORGON.

Taifez-vous. S'il n'a rien,
Sçachez que c'est par là, qu'il faut qu'on le revere.
Sa mifere eft, fans doute, une honnête mifere.
Au deflus des grandeurs elle doit l'élever,
Puis qu'enfin de fon bien il s'eft laiffé priver
Par fon trop peu de foin des chofes temporelles,
Et fa puiffante attache aux chofes éternelles :
Mais mon fecours pourra lui donner les moyens
De fortir d'embarras, & rentrer dans fes biens.
Ce font Fiefs qu'à bon titre aù païs on renomme;
Et tel que l'on le voit, il eft bien gentilhomme.
DORINE.

Oui, c'eft lui qui le dit; & cette vanité,
Monfieur, ne fied pas bien avec la pieté.
Qui d'une fainte vie embraffe l'innocence,
Ne doit point tant prôner fon nom, & fa naiffance;

Et

Et l'humble procedé de la devotion,
Souffre mal les éclats de cette ambition.

A quoi bon cet orgueil? Mais ce difcours vous bleffe
Parlons de fa perfonne, & laiffons fa noblesse.
Ferez-vous poffeffeur, fans quelque peu d'ennui,
D'une fille comme elle, un homme comme lui?
Et ne devez-vous pas fonger aux bienfeances,
Et de cette union prévoir les confequences?
Sçachez que d'une fille on rifque la vertu,
Lors que dans fon hymen fon goût eft combattu;
Que le deffein d'y vivre en honnête perfonne,
Depend des qualitez du mari qu'on lui donne ;
Et que ceux dont par tout on montre au doigt le
front,

Font leurs femmes fouvent, ce qu'on voit qu'elles font.

Il est bien difficile enfin d'être fidelle

A de certains Maris faits d'un certain modelle;
Et qui donne à fa fille un homme qu'elle hait,
Eft refponfable au Ciel des fautes qu'elle fait.
Songez à quels perils vôtre deffein vous livre.
ORGON.

Je vous dis qu'il me faut apprendre d'elle à vivre.

DORIN E.

Vous n'en feriez que mieux, de fuivre mes leçons.
ORGON.

Ne nous amufons point, ma fille, à ces chansons,
Je fçay ce qu'il vous faut, & je fuis vôtre Pere,
J'avois donné pour vous ma parole à Valere;
Mais outre qu'à jouer on dit qu'il eft enclin,
Je le foupçonne encor d'être un peu libertin;
Je ne remarque point qu'il hante les Eglifes.

DORIN E.

Voulez-vous qu'il y coure à vos heures précises,
Comme ceux qui n'y vont que pour être apperceus?
ORGON.
Je ne demande pas vôtre avis là-dessus.

Enfin, avec le Ciel, l'autre eft le mieux du monde,
Et c'eft une richeffe à nulle autre feconde.

Cet hymen, de tous biens, comblera vos defirs.
Il fera tout confit en douceurs, & plaifirs.
Ensemble vous vivrez, dans vos ardeurs fidelles,
Comme deux vrais enfans,comme deux tourterelles.

Hhh 4

A

A auls fâcheux débats jamais vous n'en viendrez,
Et vous ferez de lui tout ce que vous voudrez.
DORIN E.

Elle Elle n'en fera qu'un fot, je vous affûre.

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Je dis qu'il en a l'encolûre, Et que fon afcendant, Monfieur, l'emportera Sur toute la vertu que votre fille aura.

ORGON.

Ceffez de m'interrompre, & fongez à vous taire,
Sans mettre vôtre nez où vous n'avez que faire.
DORIN E.

Je n'en parle, Monfieur, que pour vôtre interêt,
Elle l'interrompt toâjours au moment qu'il fe
retourne pour parler à fa fille.
ORGON.

C'eft prendre trop de foin;taifez-vous,s'il vous plaît,

DORIN E.

Si l'on ne vous aimoit...

OR GON.

Je ne veux pas qu'on m'aime. DORINE.

Et je veux vous aimer, Monfieur,malgré vous même.

Ah!

ORGON.

DORIN E.

Vôtre honneur m'eft cher, & je ne puis fouffrir. Qu'aux brocards d'un chacun vous alliez vous offrir..

ORGON.

Vous ne vous tairez point?

DORIN E.

C'eft une confcience,

Que de vous laiffer faire une telle alliance.

ORGON.

Te tairas-tu, Serpent, dont les traits effrontez...

DORIN E.

Ah! vous étes dévot, & vous vous emportez!
ORGO N.

Oui, ma bile s'échauffe à toutes ces fadaifes.
Et tout refolument, je veux que tu te taifes.

DO

DORIN E.

Soit. Mais ne difant mot, je n'en pense pas moins.

ORGON..

Penfe, fi tu le veux; mais applique tes foins
A ne m'en point parler, ou... Suffit. *Comme fage,
J'ay pefé mûrement toutes choses.

DORIN E.

De ne pouvoir parler.

Elle fe talt lors qu'il tourne la tête.

ORGON.

*Seretournant

vers fa fille... J'enrage,

Sans être Damoiseau,

Tartuffe eft fait de forte...

DORIN E.

Oui, c'eft un beau mufeat.

ORGON.

Que quand tu n'aurois même aucune fympathie

Pour tous les autres dons...

Il fe tourne devant elle, & la regarde les bras croifez...» DORIN E.

La voilà bien lotic.. Si j'étois en fa place, un homme affûrément Ne m'épouferoit pas de force, impunément; Et je lui ferois voir bientôt, aprés la fête, Qu'une femme a toûjours une vengeance prête ORGON.

Donc, de ce que je dis, on ne fera nul cas?

DORIN E.

Dequoi vous plaignez-vous ? Je ne vous parle pasa

ORGON.

Qu'est-ce que tu fais donc ?

D. ORIN E.

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Fort bien. Pour châtier fon infolence extrême, -
Il faut que je lui donne un revers de ma main.

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11 fe met en pofture de luy donner un foufflet, & Dorine à chaque coup d'œil qu'il jette se tient droite fans parler. Ma Fille, vous devez approuver mon deflein...

Croire que le mari... que j'ay fceû vous élire...

Que ne te parles-tu?

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Enfin, ma Fille, il faut payer d'obeïffance,
Et montrer, pour mon choix, entiére déference.
DORINE, en s'enfuyant.

Je me mocquerois fort, de prendre un tel époux.
Il luy veut donner un foufflet, dr la manque.
ORGON.

Vous avez-là, ma fille, une pefte avec vous,
Avec qui, fans peché je ne fçaurois plus vivre.
Je me fens hors d'état maintenant de poursuivre,
Ses difcours infolens m'ont mis l'efprit en feu,
Et je vais prendre l'air, pour me raffeoir un peu.

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DORIN E.

AVez-vous donc perdu, dites-moi, la parole?
Et faut-il qu'en ceci je faffe vôtre rôle?
Souffrit qu'on vous propofe un projet infenfé,
Sans que du moindre mot vous l'ayez repouffé.
MARIANE.

Contre un Pere abfolu, que veux-tu que je fasse?

DORIN E.

Ce qu'il faut pour parer une telle menace.

Quoi?

MARIAN E.

DORIN E.

Lui dire qu'un coeur n'aime point par autrui; Que vous vous mariez pour vous, non pas pour lui; Qu'étant celle pour qui fe fait toute l'affaire, C'eft à vous, non à lui, que le mari doit plaire; Et que fi fon Tartuffe eft pour luifi charmant, 11 le peut époufer, fans nul empêchement.

MA

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