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par les fuperbes Théatres dont elle a voulu Phonorer;& que dans Rome enfin ce même Art a receû auffi des bonneurs extraordinaires: Je ne dis pas dans Rome débauchée, & fous la licence des Empereurs; mais dans Rome difciplinée, fous La fageffe des Confuls, & dans le temps de la vigueur de la vertu Romaine.

Favoie qu'il y a eu des temps où la Comedie s'eft corrompue. Et qu'est-ce que dans le Monde on ne corrompt point tous les jours? Il n'y a chofe fi innocente où les hommes ne puiffent porter du crime;point d'Artfi falutaire, dont ils ne foient capables de renverser les intentions; rien de fr bon en foi,qu'ils ne puissent tourner à de mauvais fages.La Medecine eft un Art profitable,& chacun la revere comme une des plus excellentes chofes que nous ayons; & cependant il y a eu des temps où elle s'eft rendue odieufe, & Souvent on en a fait un Art d'empoifonner les hommes. La Philofophie eft un prefent du Ciel: Elle nous a été donnée, pour porter nos efprits à la connoiffance d'unDieu,par la contemplation des merveilles de La nature; & pourtant on n'ignore pas que fouvent on l'a détournée de fon emploi, & qu'on l'a occupée publiquement à foutenir l'impieté. Les chofes même les plus faintes ne font point à cou→ vert de la corruption des hommes, & nous voyons des Scelerats,qui tous les jours abufent de la Pie té, la font fervir mechamment aux crimes les plus grands; mais on ne laiffe pas pour cela de faire les diftinctions qu'il eft befoin de faire. On n'enveloppe point dans une fauffe conféquence la Bonté des chofes que l'on corrompt,avec la malice des corrupteurs. On fepare toujours le mauvais

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ufagé d'avec l'intention de l'Art;& comme on ne s'avife point de defendre la Medecine,pour avoir été bannie de Rome;ni la Philofophie,pour avoir été condamnée publiquement dans Athenes; on ne doit point auffi vouloir interdire la Comedie, pour avoir été cenfurée en de certains temps. Cette cenfure a eu fes raifons, qui ne fubfiftent point ici. Elle eft renfermée dans ce qu'elle a pu voir, & nous ne devons point la tirer des bornes qu'elle s'eft données; l'étendre plus loin qu'il ne faut, & lui faire embraffer l'innocent avec le coupable.La Comedie qu'elle a eu deffein d'attaquer,n'eft point du tout laComedie que nous voulons défendre.Il fe faut bien garder de confondre celle-là avec celle-ci. Cefont deux Perfonnes de qui les mœurs font tout à fait oppofées.Elles n'ont aucun rapport l'une avec l'autre, que la reffemblance du nom;& ce feroit une injuftice épouvan table,que de vouloir condamner Olimpe qui eft femme de bien, parce qu'il y a eu une Olimpe qui a été une débauchée. De femblables Arrêts, fans doute, feroient un grand defordre dans le monde. Il n'y auroit rien par là,qui ne fût condamné: ¿ puis que l'on ne garde point cette rigueur à tant de chofes,dont on abuse tous les jours, on doit bien faire la même grace à la Comedie, & approuver les Pieces de Théatre où l'on verra regner l'inftruction & l'honnêteté.

Je fçay qu'il y a des Efprits,dont la delicxteffe ne peut fouffrir aucune Comedie, qui difent que les plus honnêtes font les plus dangereufes que les paffions que l'on y dépeint font d'autant plus touchantes, qu'elles font pleines de vertu ; & que les ames font attendries par ces fortes de reprefenGgg 6

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tations. Je ne vois pas quel grand crime c'est que de s'attendrir à la veuë d'une paffion honnête;& c'est un baut étage de vertu, que cette pleine infenfibilité,où ils veulent faire monter notre ame. Je doute qu'une fi grande perfection foit dans les forces de la nature bumaine; & je ne fçay s'il n'eft pas mieux de travailler à rectifier & adoucir les paffions des hommes, que de vouloir les retrancher entierement. J'avoue qu'il y a des lieux qu'il vaut mieux frequenter que le Théatre; &fi l'on veut blâmer toutes les chofes qui ne regardent pas directement Dieu, & nôtre falut, il eft certain que la Comedie en doit être,& je ne trouve point mauvais qu'elle foit condamnée avec lerefte: mais fuppofe,comme il eft vrai,que les exercices de la Pieté fouffrent des intervalles,& que les hommes ayent befoin de divertiffement, je foûtiens qu'on ne leur en peut trouver un qui foit plus innocent que la Comedie. Je me fuis étendu trop loin. Finiffons par un mot d un grand Prince fur la Comedie du Tartuffe.

Huit jours aprés qu'elle eut été défendue, on reprefenta devant la Cour une Piece intitulée, Scaramouche Hermite; & le Roi en fortant,dit au grand Prince que je veux dire: Je voudrois bien fçavoir pourquoy les gens qui fe fcandalifent fi fort de la Comedie de Moliere, ne difent mot de celle de Scaramouche? A quoi le Prince répondit: La raifon de cela, c'est que la Comedie de Scaramouche joue le Ciel, & la Religion, dont ces Meffieurs-là ne fe foucient point; mais celle de Moliere les jouë eux-mêmes: C'est ce qu'ils ne peuvent fouffrir.

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L'IMPOSTEUR,

COMEDIE.

ACTE PREMIER.

SCENE PREMIERE.

MADAME PERNELLE, & FLIPOTE fa Servante, ELMIRE, MARIANE, DORINE, DAMIS, CLEANTE.

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Llons, Flipote, allons ; que d'eux
je me délivre.
ELMIR E.

Vous marchez d'un tel pas, qu'on a
peine à vous fuivre.

M. PERNELLE.

Laiffez, ma Bru, laiffez; ne venez pas plus loin,
Ce font toutes façons, dont je n'ai pas befoin.

ELMIR E.

De ce que l'on vous doit, envers vous on s'acquite.
Mais, ma Mere, d'où vient que vous fortez fi vite?
M. PERNELLE.

C'eft que je ne puis voir tout ce ménage-ci,
Et que de me complaire, on ne prend nul fouci.
Oui, je fors de chez vous fort mal édifiée;
Dans toutes mes leçons j'y fuis contrariée;
On n'y refpecte rien; chacun y parle haut,
Et c'eft, tout juftement, la Cour du Roy Petau.
DORIN E.

Si...

M.

PERNELLE.

Vous étes, Mamie, une Fille Suivante

Un peu trop forte en gueule, & fort impertinente: Vous vous mêlez fur tout de dire vôtre avis.

Da

Mais..,

M.

DAMIS.

PERNELLE.

Vous étes un fot en trois lettres, mon Fils; C'est moi qui vous le dis, qui fuis vôtre Grandmere;

Et j'ai prédit cent fois à mon Fils vôtre Pere,
Que vous preniez tout l'air d'un méchant Garne4

ment,

Et ne luy donneriez jamais que du tourment,

Je croi...

M.

MARIANE.

PERNELLE.

Mon Dieu, fa Soeur, vous faites la difcrette, Et vous n'y touchez pas, tant vous femblez doucette: Mais il n'eft, comme on dit, pire eau, que l'eau qui dort,

Et vous menez fous chape, un train que je hais fort, ELMIRE.

Mais, na Mere...

.

M. PERNELLE.

Ma Bru, qu'il ne vous en déplaife,

Vôtre conduite en tout est tout-à-fait mauvaise:
Vous devriez leur mettre un bon exemple aux yeux,
Et leur défunte Mere en ufoit beaucoup mieux.
Vous êtes dépenciere, & cet état me bleffe,
Que vous alliez vétuë ainfi qu'une Princefle.
Quiconque à fon mari veut plaire feulement,
Ma Bru, n'a pas befoin de tant d'ajustement.
CLEANT E.

Mais, Madame, aprés tout...

M, PERNELLE.

Pour vous, Monfieur fon Frere Je vous eftime fort, vous aime, & vous revéie: Mais enfin, fi j'étois de mon Fils fon époux, Je vous prierois bien fort, de n'entrer point chez

nous.

Sans ceffe vous prêchez des maximes de vivre,
Qui par d'honnêtes gens ne fe doivent point fuivre:
Je vous parle un pen franc, mais c'eft là mon humeur,
Et je ne mâche point ce que j'ay fur le cœur.

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