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V

Oici une Comédie, dont on a fait beaucoup de bruit, qui a été longtemps perfecutée: & les gens qu'elle joue ont bien fait voir qu'ils étoient plus puiffans en France que tous ceux que j'ai jouez jufques ici. Les Marquis, les Précieufes,les Cocus,& les Médecins,ont fouffert doucement qu'on les ait reprefentez: & ils ont fait femblant de fe divertir avec tout le monde, des peintures que l'on a faites d'eux. Mais lesHypocrites n'ont point entendu raillerie; ils fe font effarouchez d'abord, & ont trouvé étrange que feuffe la hardieffe de jouer leurs grimaces, & de vouloir décrier un mêtier dont tant d'honnêtes gens femêlent.C'eft un crime qu'ils ne sçauroient. me pardonner, ils fe font tous armez contre ma Comedie, avec une fureur épouvantable. Ils n'ont eu garde de l'attaquer par le côté qui les a bleffez; ils font trop politiques pour cela, fçavent trop bien vivre pour découvrir le fond de leur ame. Suivant leur loüable coûtume, ils ont couvert leurs interêts de la caufe de Dieu; & le Tartuffe dans leur bouche eft une Piece qui offenfe la pieté. Elle eft d'un bout à l'autre pleine d'abominations,& l'on n'y trouve rien qui ne merite le feu.Toutes les fyllabes en font impies; Les geftes mêmey font criminels; & le moindre coup d'oeil, le moindre branlement de tête, le moindre pas à droit, ou à gauche, y cache des mysteres, qu'ils trouvent moyen d'expliquer à mon defavantage. Fay eu beau la foûmettre aux lumieres. de mes Amis,& à la cenfure de tout le monde.Les corrections que j'ai pu faire, le jugement du Roi,

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5 de la Reine, qui l'ont veuë, l'approbation des grands Princes,& de Meffieurs les Miniftres qui Pont honorée publiquement de leur présence; le sémoignage des Gens de bien qui l'ont trouvée profitable, tout cela n'a de rien fervi. Ils n'en veulent point démordre, & tous les jours encore ils font crier en public des zelez indifcrets qui me difent des injures pieufement, & me damnent par charité.

Je me foucirois fort peu de tout ce qu'ils peuvent dire, n'étoit l'artifice qu'ils ont de me faire des ennemis que je refpecte,& de jetter dans leur parti de véritables gens de bien,dont ils préviennent la bonne foi & qui par la chaleur qu'i's ont pour les interêts du Ciel, font faciles à recevoir les impreffions qu'on veut leur donner. Voilà ce qui m'oblige à me défendre. C'est aux vrais Dévots que je veux par tout me justifier fur la conduite de ma Comedie; & je les conjure de tout mon cœur de ne point condamner les chofes avant que de les voir de fe défaire de toute prévention, de ne paint fervir la paffion de ceux dont les grimaces les deshonorent.

Si l'on prend la peine d'examiner de bonne foi ma Comedie, on verra fans doute que mes intentions y fant par tout innocentes,&qu'elle ne tend nullement à jouer les chofes que l'on doit reverer:que je l'ai traitée avec toutes les précautions que me demandoit la delicatesse de la matiére;& que j'ai mis tout l'art, & tous les foins qu'il m'a été poffible pour bien diftinguer le perfonnage de Hypocrite d'avec celui du vrai Dévot. Jay em ployé pour cela deux Aces entiers à préparer la venue de mon Scelerat .llne tient pas un feul m

ment

ment l'Auditeur en balance, on le connoît d'a bord aux marques que je lui donne, & d'un bout à l'autre il ne dit pas un mot, il ne fait pas une action qui ne peigne aux Spectateurs le caracte re d'un méchant homme, & ne faffe éclater celui du veritable homme de bien, que je lui oppoe.

Fefgay bien que, pour réponse, ces Meffieurs tâchent d'infinuer que ce n'ft point au Theatre à parler de ces matiéres: mais je leur demande avec leur permiffion, fur quoi ils fondent cette belle maxime. C'est une propofition qu'ils ne font que fuppofer,& qu'ils ne prouvent en aucune fa con:&fans doute il n feroit pas difficile de leur faire voir que la Com die chez les Anciens a pris fon origine de la Religion, & faifoit partie de leurs Myfteres; quel's Espagnols nos voisins, ne celebrent gueres de Fête où laComedie ne foit mê lée;& que même parmi nous elle doit fa naissance aux foins d'une Confrairie à qui appartient encore aujourd'huy l'Hôtel de Bourgogne ; que c'est un lieu qui fut donné pour y reprefenter les plus importans Myfteres de notre Foi; qu'on en voit encore des Comedies imprimées en lettres Gothi ques fous le nom d'un Docteur de Sorbonne : & fans aller chercher fi loin, que l'on a joüé de nôtre temps des Pieces faintes de Mr. de Corneille, qui ont été l'admiration de toute la France.

Si l'employ de la Comedie eft de corriger les vices des hommes,je ne vois pas par quelle railon il y en aura de privilegiez. Celui-ci eft dans l'Etat d'une confequence bien plus dangereuse que tous les autres, & nous avons veu que le Theatre a une grande vertu pour la correction. Les plus beaux traits d'une fericufe Morale font moins Ggg 4 puif

puifans,le plus fouvent,que ceux de la Satire, rien ne reprend mieux la plupart des hommes que la peinture de leurs défauts. C'est une gran de atteinte aux vices,que de les expofer à la rifée de tout le monde. On fouffre aifément des reprebenfions;mais on ne fouffre point la raillerie.On veut bien être méchant: mais on ne veut point être ridicule.

On me reproche d'avoir mis des termes de pieté dans la bouche de mon Impofteur; Et pouvois je m'en empêcher pour bien reprefenter le caracteredun Hypocrite? Il fuffit, ce me femble, que je faffe connoître les motifs criminels qui lui font dire les chofes, & que j'en aye retranché les termes confacrez, dont on auroit eu peine à lui entendre faire un mauvais ufage.Mais il debite au quatriéme Acte une Morale pernicieuse. Mais cette Morale eft-elle quelque chofe, dont tout le monde n'eût les oreilles rebattuës? dit-elle rien de nouveau dans ma Comedie? & peut-on craindre que des chofes fi géneralement deteftées faffent quelque impreffion dans les Efprits? que je les rende dangereufes, en les faifant monter fur le Theatre? qu'elles reçoivent quelque autorité de la bouche d'un Scelerat? Il n'y a nulle apparence à cela; l'on doit approuver la Comedie du Tartuffe, ou condamner géneralement toutes les Comedies.

C'eft à quoy l'on s'attache furieusement depuis un temps; & jamais on ne s'étoit fi fort déchainé contre leThéatre.Je ne puis pas nier qu'il n'y ait eu des Peres de l'Eglife qui ont condamné la Comedie; mais on ne peut pas me nier auffi qu'il n'y en ait eu quelques-uns qui l'ont traitée un peu

plus

plus doucement. Ainfi l'autorité dont on prétend appuyer la Cenfure, eft détruite par ce partage; &toute la confequence qu'on peut tirer de cette diverfité d'opinions en des Efprits éclairez des mêmes lumieres, c'eft qu'ils ont pris la Comedie differemment,& que les uns l'ont confiderée dans fa pureté, lors que les autres l'ont regardée dans fa corruption, & confondue avec tous ces vilains Spectacles qu'on a eu raifon de nommer des fpeEtacles de turpitude.

Et en effet,puis qu'on doit difcourir des chofes, &non pas des mots,& que la plupart des contra-. rietez viennent de ne fe pas entendre, & d'envelopper dans un même mot des chofes oppofées, il ne faut qu'ôter le voile de l'équivoque, & regarder ce qu'eft la Comedie en foi, pour voir fi elle eft condamnable. On connoîtra, fans doute,que n'étant autre chose qu'un Poëme ingenieux, qui par. des leçons agreables reprend les défauts des hommes,on ne fçauroit la cenfur er fans injuftice. Et fi nous voulons oüir là-deffus le témoignage de l'Antiquité, elle nous dira que fes plus celebres Philofophes ont donné des louanges à la Comedie, eux qui faifoient profeffion d'une fagessesi austere,& qui crioient fans ceffe aprés les vices de leur fiécle.Elle nous fera voir qu' Ariftote a consacré des veilles auTheatre,& s'eft donné le foin de reduire en préceptes l'art de faire desComedies.Elle nous apprendra que de fes plus grands hommes,

des premiers en dignité, ont fait gloire d'en compofer eux-mêmes; qu'ily en a eu d'autres qui n'ont pas dédaigné de reciter en public celles qu'ils avoient compofées;que la Gréce a fait pour cet Art éclater fon eftime,par les prix glorieux,

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