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partient au genge humain, & il paroir dans tout fon livre pancher pour le premier avis: c'eft-auffi le fentiment de Hobbes. Ainfi voilà l'efpece humaine divifée en troupeaux de bétail, dont chacun a fon chef, qui le garde pour le dévorer.

COMME un pâtre eft d'une nature fupérieure à celle de fon troupeau, les pafteurs d'hommes, qui font leurs chefs, font-auffi d'une nature fupérieure à celle de leurs peuples. Ainfi raifonnoit, au raport de Philon, l'Empereur Caligula; concluant affez bien de cette analogie que les rois étoient des Dieux, ou que les peuples étoient des bêtes.

LE RAISONNEMENT de ce Caligula revient à celui de Hobbes & Grotius. Ariftote avant eux tous avoit dit aussi que les hommes ne font point naturellement égaux, mais que les uns naiffent pour l'efclavage & les autres-pour la domination.

ARISTOTE avoit raison, mais il prenoit l'effet pour la caufe. Tout homme né dans. l'esclavage nait pour l'esclavage, rien n'eft plus certain. Les efcláves perdent tout dans leurs fers; jufqu'au défir d'en fortir: ils aiment leur fervitude comme les compagnons d'Uliffe aimoient leur abrutissement *. S'il y

*

a donc

Voyez un petit traité de Plutarque intitulé: Que les bétes ufent de la raison,

La

a donc des efclaves par nare, c'est parce qu'il y a eu des efclaves contre nature. force a fait les premiers efclaves, leur lâcheté les a perpétés.

JE N'AI rien dit du roi “Adam, ni de l'empereur Noé pere de trois grands Monarques qui fe partagerent Funivers, comme firent les enfans de Saturne, qu'on a cru reconnoître en eux. J'efpere qu'on me faura gré de cette modération; car, defcendant directement de l'un de ces Princes, & peut-être de la branche ainée, que fais-je fi par la vérification des tires je ne me trouverois point le légitime roi du genre humain? Quoi qu'il en foit, on ne peut difconvenir qu'Adam n'ait été Souverain du monde comme Robinfon de fon isle, tant qu'il en fut le feul habitant; & ce qu'il y avoit de commode dans cet empire étoit que le monarque affuré fur fon trône n'avoit à craindre ni rébellions ni guerres ni confpira

teurs.

CHAPITRE III.

Du droit du plus fort.

LE PLUS fort n'eft jamais affez fort pour

être toujours le maître, s'il ne transforme fa force en droit & l'obéiffance en devoir. Delà

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le droit du plus fort; droit pris ironiquement en apparence, & réellement établi en principe: Mais ne nous expliquera-t-on jamais ce mor? La force et une puiffance phyfique; je ne vois point quelle moralité peut résulter de fets effets. Céder à la force eft un acte de néceffité, non de volonté; c'est tout au plus un acte de prudence. En quel fens

être un devoir ?

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pourra ce

SUPPOSONS un moment ce prétendu droit. Je dis qu'il n'en réfulte qu'un galimatias inexplicable. Car fitôt que c'eft la force qui fait le droit, l'effet change avec la caufe; toute force qui furmonte la premiere fuccède à fon droit. Sitôt qu'on peut défobéir impunément on le peut légitimement, & puifque le plus forr a toujours raison, il ne s'agit que de faire en forte qu'on foit le plus fort. Or qu'est ce qu'un droit qui périt quand la force ceffe? S'il faut obéir par force on n'a pas befoin d'obéir par devoir, & fi l'on n'eft us force d'obéir on n'y eft plus obligé. On voit donc que ce mot de droit n'ajoûte rien à la force; il ne fignific içi rien du tout.

OBEISSEZ aux puiffances. Si cela veut dire, cédez à la force, le précepte est bon mais fuperflu, je réponds qu'il ne fera jamais. violé. Toute puiflance vient de Dieu, je l'a voue; mais toute maladie en vient auffi. Eft

ce

ce à dire qu'il foit défendu d'appeller le médecin? Qu'un brigand me furprenne au coin d'un bois: non feulement il faut par force donner la boufe, mais quand je pourrois la fouftraire fuis-je en confcience obligé de la donner? car enfin le piftolet qu'il tient eft aufli une puiflance.

CONVENONS donc que force ne fait pas droit, & qu'on n'eft obligé d'obeïr qu'aux puiflances légitimes. Ainfi 'ma question primitive revient toujours.

CHAPITRE IV.

PUISQU

De l'esclavage.

UISQU'AUCUN homme n'a une autorité naturelle fur fon femblable, & puisque la forće ne produit aucun droit, reftent donc les conventions pour bafe de toute autorité légitime parmi les hommes.

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SI UN particulier, dit Grotius, peut alié ner la liberté & fe rendre efclave d'un maître, pourquoi tout un peuple ne pourroit-il pas aliéner la fienne & fe rendre fujet d'un roi? Il y a là bien des mots équivoques qui auroient befoin d'explication, mais tenons-nous en à celui d'aliéner. Aliéner c'eft donner ou vendre. Or un homme qui fe fait efclave d'un

autre

autre ne fe donne pas, il fe vend, tout au moins pour fa fubfiftance: mais un peuple pour quoi fe vend-il? Bier loin qu'un roi fournisse à fes fujets leur fubfistance il ne tire la fienne que d'eux, & felon Rabelais un roi ne vit pas de peu. Les fujers donnent donc leur perfonne à condition qu'on prendra auffi leur bien? Je ne vois pas ce qu'il leur refte à conserver.

ON DIRA que le defpote affure à fes fu jets la tranquillité civile. Soit; mais qu'y gagnent-ils, fi les guerres que fon ambition leur attire, fi fon infatiable avidité, fi les vexations de fon miniftere les défolent plus que ne feroient leurs diffentions? Qu'y gagnentils, fi cette tranquillité même eft une de leurs miferes? On vit tranquille aufli dans les cachots; en eft-ce affez pour s'y trouver bien? Les Grecs enfermés dans l'antre du Cyclope y vivoient tranquilles, en attendant que leur tour vint d'être dévorés.

DIRE qu'un homme fe donne gratuitement, c'eft dire une chofe abfurde & inconcevable; un telacte eft illégitime & nul, par cela feul que celui qui le fait n'eft pas dans fon bon fens. Dire la même chofe de tout un peuple, c'eft fuppofer un peuple de foux: la folie ne fait pas droit.

QUAND chacur. pourroit s'aliéner lui-méme il ne peut aliéner ses enfans; ils naissent

hom

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