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Ainfi Tyran & ufurpateur font deux mots parfaitement fynonimes.

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POUR donner différens noms à différentes chofes, j'appelle Tyran l'ufurpateur de l'autorité royale, & Defpore l'ufurpateur du pouvoir Souverain. Le Tyran eft celui qui s'ingére contre les loix à gouverner felon les loix; le Defpote eft celui qui fe met au deffus des loix-mêmes. Ainfi le Tyran peut n'être pas Delpote mais le Defpore est toujours Tyran.

CHAPITRE XI.

De la mort du corps politique,

TELLE eft la pente naturelle & inévitable

des Gouvernemens les mieux conftitués. Si Sparte & Rome ont péri, quel Etat peut efpérer de durer toujours? Si nous voulons former un établissement durable, ne fongeons donc point à le rendre éternel. Pour réuffir il ne faut pas tenter l'impoffible, ni fe flater de donner à l'ouvrage des hommes une folidité que les chofes humaines ne comportent pas.

LE

VIII. c. 10. distingue le Tyran du Roi, en ce que le premier gouverne pour fa propre utilité & le fecond feulement pour l'utilité de fes fujets, mais outre que généra lement tous les auteurs grecs ont pris le mot Tyran dans une autre fens, comme il paroit fur tout par le Hieron de Xenophon, il s'en fuivroit de la diftinction d'Ariftote que depuis le commencement du monde il n'auroit pas encore exifté un feul Roi,

LE CORPS politique, auffi bien que le corps de l'homme, commence à mourir des fa nailfance & porte en lui-même les caufes de fa deftruction. Mais l'un & l'autre peut avoir une conftitution plus ou moins robufte & propre à le conferver plus ou moins longtems. La conftitution de l'homme eft l'ouvrage de la nature, celle de l'Etat eft l'ouvrage de l'art. II ne dépend pas des hommes de prolonger leur vie, il dépend d'eux de prolonger celle de l'Etat auffi loin qu'il eft poffible, en lui donnant la meilleure conftitution qu'il puifle avoir. Le mieux conftitué finira, mais plus tard qu'un autre, fi nul accident imprévu n'amene fa perte avant le tems.

LE PRINCIPE de la vie politique eft dans l'autorité Souveraine. La puiffance législative eft le cœur de l'Etat, la puiffance exécutive en eft le cerveau, qui donne le mouvement à toutes les parties. Le cerveau peut tomber en paralyfie & l'individu vivre encore. Un homme refte imbécille & vit: mais fitôt que le cœur a ceffé fes fonctions, l'animal eft mort.

CE N'EST point par les loix que l'Etat fubfifte, c'eft par le pouvoir législatif. La loi d'hier n'oblige pas aujourd'hui, mais le confentement tacite eft préfumé du filence, & le Sou verain eft cenfé confirmer inceflamment les loix qu'il n'abroge pas, pouvant le faire. Tout ce

qu'il

quil a déclaré vouloir une fois il le veut toujours, à moins qu'il ne le révoque.

POURQUOI donc porte-t-on tant de respect aux anciennes loix? C'eft pour cela même. On doit croire qu'il n'y a que l'excellence des volontés antiques qui les ait pu conferver filongtems; fi le Souverain ne les eut reconnu conftamment falutaires il les eut mille fois révoquées. Voilà pourquoi loin de s'affoiblir les loix acquierent fans ceffe une force nouvelle dans tout Etat bien conftitué; le préjugé de l'antiquité les rend chaque jour plus vénérables; au lieu que par-tout où les loix s'affoibliffent en vieilliffant, cela prouve qu'il n'y a plus de pouvoir législatif, & que l'Etat ne vit plus.

CHAPITRE XII.

Comment fe maintient l'autorité Souve

raine.

LE SOUVERAIN n'ayant d'autre force que la puiffance législative n'agit que par des loix, & les loix n'étant que des actes authentiques de la volonté générale, le Souverain ne fauroit agir que quand le peuple eft affemblé. Le peuple af femblé, dira-t-on! Quelle chimere! C'est une chimere aujourd'hui, mais ce n'en étoit pas une

il y a deux mille ans; Les hommes ont-ils changé de nature?

LES bornes du poffible dans les chofes morales font moins étroites que nous ne pensons: Ce font nos foibleffes, nos vices, nos préjugés qui les rétréciffent. Les ames baffes ne croyent point aux grands hommes: de vils efclaves fourient d'un air moqueur à ce mot de liberté.

gers,

PAR Ce qui s'eft fait considérons ce qui se peut faire; je ne parlerai pas des anciennes républiques de la Grece, mais la République romaine étoit, ce me femble, un grand Etat, & la ville de Rome une grande ville. Le dernier Cens donna dans Rome quatre cent mille Citoyens portans armes, & le dernier dénombrement de l'Empire plus de quatre millions de Citoyens fans compter les fujets, les étranles femmes, les enfans, les efclaves. QUELLE difficulté n'imagineroit-on pas d'affembler fréquemment le peuple immenfe de cette capitale & de fes environs? Cependant il se paffoit peu de femaines que le peuple romain ne fut affemblé, & même plufieurs fois. Non feulement il exerceoit les droits de la fouverainete, mais une partie de ceux du Gouvernement. Il traitoit certaines affaires, il jugeoit certaines caufes, & tout ce peuple étoit fur la place publique prefque auffi fouvent magiftrat que Citoyen. EN REMONTANT aux premiers tems des

Na

Nations on trouveroit que la plupart des anciens gouvernemens, même monarchiques tels que ceux desMacédoniens & des Francs, avoient de femblables Confeils. Quoi qu'il en foit, ce feul fait incontestable répond à toutes les difficultés: De l'exiftant au poffible la conféquence me paroît bonne.

CHAPITRE XIII.

Suite.

IL NE fuffit pas que le peuple affemblé ait une

fois fixé la conftitution de l'Etat en donnant la fanction à un corps de loix: il ne fuffit pas qu'il ait établi un Gouvernement perpétuel ou qu'il ait pourvu une fois pour toutes à l'élection des magiftrats. Outre les affemblées extraordinaires que des cas imprévus peuvent exiger, il faut qu'il y en ait de fixes & de périodiques que rien ne puiffe abolir ni proroger, tellement qu'au jour marqué le peuple foit légitimement convo qué par la loi, fans qu'il foit befoin pour cela d'aucune autre convocation formelle.

MAIS hors de ces affemblées juridiques par leur feule date, toute affemblée du Peuple qui n'aura pas été convoquée par les magiftrats prépofés à cet effet & felon les formes prescrites doit être tenue pour illégitime & tout ce qui s'y fait pour nul; parce que l'ordre même de s'affembler doit émaner de la loi. 14

QUANT

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