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hommes & libres; leur liberté leur appartient, nul n'a droit d'en difpofer qu'eux. Avant qu'ils foient en âge de raifon le pere peut en leur nom ftipuler des conditions pour leur confervation, pour leur bien être; mais non les donner irrévocablement & fans condition; car un tel don eft contraire aux fins de la nature & paffe les droits de la paternité. Il faudroit donc pour qu'un gouvernement arbitraire fut légitime qu'à chaque géneration le peuple fut le maître de l'admettre ou de le rejetter: mais alors ce gouvernement ne feroit plus arbitraire.

RENONCER à fa liberté c'eft renoncer à fa qualité d'homme, aux droits de l'humanité, même à fes devoirs. Il n'y a nul dédomagement poffible pour quiconque renonce à tout. Une telle renonciation eft incompatible avec la nature de l'homme, & c'eft ôter toute moralité à fes actions que d'ôter toute liberté à sa volenté. Enfin c'eft une convention vaine & contradictoire de ftipuler d'une part une autorité abfolue & de l'autre une obéillance fans bornes. N'est-il pas clair qu'on n'eft engagé à rien envers celui dont on a droit de tout exi ger, & cette feule condition fans équivalent fans échange n'entraîne-t-elle pas la nullité de F'acte: Car quel droit mon efclave auroit-il contre moi, puifque tout ce qu'il a m'appartient, & que fon droit étant le mien, ce droit

de

de moi contre moi-même est un mot qui n'a aucun fens?

GROTIUS & les autres tirent de la guerre une autre origine du prétendu droit d'ef clavage. Le vainqueur ayant, felon eux, le droit de tuer le vaincu, celui-ci peut racherer la vie aux dépends de fa liberté; convention d'autant plus légitime qu'elle tourne au profit de tous deux.

que

MAIS il eft clair que ce prétendu droit de tuer les vaincus ne réfulte en aucune maniere de l'état de guerre. Par cela feul les hommes vivant dans leur primitive indépendance n'ont point entre eux de rapport affez conftant pour conftituer ni l'état de paix ni l'état du guerre, ils ne font point naturel, lement ennemis. C'eft le rapport des chofes & non des hommes qui conftitue la guerre, & l'état de guerre ne pouvant maitre des fin ples rélations perfonnelles, mais feulement des rélations réelles, la guerre privée ou d'homme à homme ne peut exifter, ni dans l'état de nature où il n'y a point de proprié té conftante, ni dans l'état focial où tout eft fous l'autorité des loix.

LES COMBATS particuliers, les duels, les rencontres font des actes qui ne conftiment point un état; & à l'égard des guerres privées, autorisées par les établissemens de

B

Louis

Louis IX. roi de France & fufpendues par la paix de Dieu, ce font des abus du gouvernement féodal, fyftême absurde s'il en fut jamais, contraire aux principes du droit naturel, & à toute bonne politie.

LA GUERRE n'est donc point une rélation d'homme à homme, mais une rélation d'Etat à Etat, dans laquelle les particuliers ne font ennemis qu'accidentellement, non point comme hommes ni même comme citoyens, mais comme foldats; non point comme membres de la patrie, mais comme fes défenfeurs. Enfin chaque Etat ne peut avoir pour ennemis que d'autres Etats & non pas des hommes, attendu qu'entre chofes de diverfes natures on ne peut fixer aucun vrai rapport.

CE PRINCIPE eft même conforme aux maximes établies de tous les tems & à la pratique conftante de tous les peuples policés. Les déclarations de guerre font moins des avertiffemens aux puiffances qu'à leurs fujets. L'étranger, foit roi, foit particulier, foit peuple, qui vole tüe ou détient les fujets fans déclarer la guerre au prince, n'est pas un ennemi, c'est un brigand. Même en pleine guerre un prince jufte s'empare bien en pays- ennemi de tout ce qui appartient au public, mais il refpecte la perfonne & les biens des particuliers; il refpecte des droits fur lef

quels

La fin de la

quels font fondés les fiens. guerre étant la deftruction de l'Etat ennemi, on a droit d'en tuer les défenfeurs tant qu'ils ont les armes à la main; mais fitôt qu'ils les .pofent & fe rendent, ceffant d'être ennemis ou inftrumens de l'ennemi, ils redeviennent fimplement hommes & l'on n'a plus de droit fur leur vie. Quelquefois on peut tuer l'Etat fans tuer un feul de fes membres: Or la guerre ne donne aucun droit qui ne foit né ceffaire à fa fin. Ces principes ne font pas ceux de Grotius; ils ne font pas fondés fur des autorités de poëtes, mais ils dérivent de la nature des chofes, & font fondés fur la raifon.

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A L'EGARD du droit de conquête, il n'a d'autre fondement que la loi du plus fort. Si la guerre ne donne point au vainquer le droit de maffacrer les peuples vaincus, ce droit qu'il n'a pas ne peut fonder celui de les affetvir. On n'a le droit de tuer l'ennemi que quand on ne peut le faire efclave; le droit de le faire efclave ne vient donc pas du droit de le tuer: C'est donc un échange inique de lui faire, acheter au prix de fa liberté fa vie fur laquelle on n'a aucun droit. En établiffant le droit de vie & de mort fur le droit d'esclavage, & le droit d'esclavage fur le droit de vie & de mort, n'eft-il pas Ba

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clair

clair qu'on tombe dans le cercle vicieux? EN SUPPOSANT même ce terrible droit de tout tuer, je dis qu'un esclave fait à la guerre ou un peuple conquis n'eft tenu à rien du tout envers fon maître, qu'à lui obéîr autant qu'il y eft forcé. En prenant un équivalent à fa vie le vainqueur ne lui en a point fait grace? au lieu de le tuer fans fruit il l'a tué. urilement. Loin donc qu'il ait acquis fur lui nulle autorité jointe à la force, l'état de guerre fubfifte entre eux comme auparavant, leur rélation même en eft l'effet, & l'ufage du droit de la guerre ne fuppofe aucun traité de paix. Ils ont fait une convention; foit: mais cette convention, loin de détruire l'état. guerre, en fuppofe la continuité.

de

AINSI, de quelque fens qu'on envisage les chofes, le droit d'esclavage eft nul, non feulement parce qu'il eft illegitime, mais parce qu'il eft abfurde & ne fignifie rien. Ces mots, efclavage, &, droit font contradictoires; ils s'excluent mutuellement. Soit d'un homme à un homme, foit d'un homme à un peuple, ce difcours fera toujours également infenfé. Je fais avec toi une convention toute à ta charge & toute à mon profit, que l'observerai tant qu'il me plaira, & que tu observeras tant qu'il me plaira.

CHA.

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