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surpassés, s'ils vous eussent adressés, madame, les riens charmans qui les ont rendus célèbres. Je n'ai pas le génie de ces messieurs; mais j'écris sous les yeux de la plus jolie femme de Paris, à la plus belle femme de la cour; combien la beauté et les grâces n'ont-elles pas créé de talens? Dans cette confiance, je commence ma narration.

Les gens aimables avec qui je suis venu ici, ayant fait une ample provision de gaîté et de philosophie, avec ces ballots légers, nous sortimes de Paris par le cours.

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Un discret et tendre commerce

De regards et de billets doux.
Les bruyans états de Cythère
S'y tenaient sur la fin du jour :
De tous les frères de l'Amour,
Il n'y manquait que le mystère.
Mais aujourd'hui que nos beautés,
Brillantes d'appas empruntés,

Comme ces faux oiseaux qui craignent la lumière,

Dès que l'astre du jour a fini sa carrière,

Dans un jardin bien resserré,

De treillage rempli, de maisons entouré,

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Dans une espèce de volière,

Où jamais nul zéphyr n'entra,
Vont, au sortir de l'Opéra,
Respirer l'ambre et la poussière :
On ne rencontre plus au Cours
Que des sociétés obscures,
De tendres amitiés, de fidèles amours,
Et d'assez maussades figures.

L'heure n'était pas favorable pour y trouver beaucoup de ces grotesques. Un homme qui nous parut très-content de lui-même, gesticulait, grimaçait et parlait seul, je voulus parier que c'était ce qu'on appele un poëte. Un autre, pâle et rêveur, marchait à pas lents; il avait tout-à-fait l'air de ces amans malheureux d'autrefois. Le vieux marquis et la jeune marquise de *** se promenaient en silence dans un vieux carrosse, c'était sans doute pour la santé de l'un, plutôt que pour le plaisir de l'autre. Ces insipides personnages furent aussitôt oubliés qu'aperçus.

En parlant de vous, madame, en vous desirant, en vous regrettant, nous nous trouvâmes sur le pont de Neuilly. Je remarquai à gauche une maison peu remarquable par elle-même, et je m'écriai:

Je vois cet agréable lieu,
Ces bords rians, cette terrasse,
Où Courtin, la Fare et Chaulieu,
Loin des sots et des gens en place,
Pensant beaucoup, écrivant peu,
Plaisantaient, raillaient avec grâce,

Et faisaient des vers pleins de feu.
Enfans d'Aristippe et d'Horace,
Dans la saine morale instruits,
Du Portique ils cueillaient les fruits;
Couronnés des fleurs du Parnasse,
Ils répandaient à pleines mains
Un sel rare, dont quelques grains
Eussent rempli de jalousie
Les plus aimables des Romains,
Et tous ces gens contemporains
D'Alcibiade et d'Aspasie.
Ils puisaient dans la poésie
Ce nectar par elle inventé;
Le goût, l'esprit, l'urbanité
Leur servaient la seule ambroisie
Qui donne l'immortalité.
Philosophes sans vanité,
Beaux-esprits sans rivalité;
Entre l'étude et la paresse,
Dans les bras de la volupté,
Ils avaient placé la sagesse.
Où trouver encor dans Paris

Des mœurs et des talens semblables?
Il n'est que trop de beaux-esprits,

Mais qu'il est peu de gens

aimables!

13.

Je me sentis pénétré, madame, d'un certain respect, qui tenait un peu de l'idolâtrie, pour cet ancien temple des Muses. Si au lieu de madame de *** vous eussiez présidé à ses mystères, Gnide et Paphos n'en avaient point pour qui j'eusse eu plus de dévotion, et j'y aurais été en pélerinage plus volontiers qu'à Nanterre, où nous arrivâmes un moment après. L'abbé, avec ce ton moitié

dévot, moitié profâne que vous lui connaissez, vint à

son tour à s'écrier :

C'est dans ses agréables plaines,
Sur ces côteaux du ciel chéris,
Que la patrone de Paris

A mérité tant de neuvaines.
Aujourd'hui dans le Paradis,
Geneviève, en ce lieu champêtre,
Quenouille en main, menait jadis
Dévotement ses moutons paître;
De la laine de ces brebis
Elle filait-là ses habits;

De la jeune et simple bergère,
L'innocence filait les jours;

Mais nous voici à Ruel; ce fut la demeure d'un des plus grands ministres que la France ait eu souffrez, madame, que je change de ton pour parler de lui.

Richelieu, d'un égal courage,

Sut lancer le tonnerre et conjurer l'orage;

Il étendit sur tout ses regards pénétrans;
Il domina son maître, il abaissa les grands;

Il arrêta le vol de l'aigle impériale;

Il cultiva les arts d'une main libérale :

Mais sur ce grand théâtre où je le vois monté,
Évoquant la vengeance et respirant la haine,
Son inflexible dureté

A trop ensanglanté la scène.

Croyez-vous, madame, que cet homme immortel ait pu goûter un instant de bonheur dans toute sa vie? Je n'oserais me vanter d'être heureux; mais je ne changerais pas mon obscurité, ma liberté, mon loisir, mes douces occupations, contre sa pourpre, son ministère, son génie même.

Il fut haï, craint, envié;

De sa triste grandeur l'image m'importune :
Il a servi la gloire et la fortune,
Je sers l'Amour et l'Amitié.
L'Amour, dans la saison de plaire,
Est le premier besoin du cœur,
Sa flamme, vive et passagère,
L'épure mieux que la colère

D'une duègne ou d'un gouverneur.
L'Amitié, toujours nécessaire,
Donne un feu plus faible en chaleur,
Mais aussi plus fort en lumière;
Et qui perd la faveur du frère

N'est consolé que par la sœur.

Sur cette matière je ne tarirais point. Heureusement pour vous, madame, voilà Saint-Germain qui me remet dans la route dont je m'étais si fort écarté.

C'est ici que Jacques second,
Sans ministres et sans maîtresse,
Le matin allait à la Messe,

Et le soir allait au sermon.
Cependant l'heureux Hamilton,
Plein d'enjouement et de finesse,

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