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lienne et si éprise de toutes les nouveautés, écrivit pourtant des mystères, des rondeaux et des allégories dans le vieux goût des ancêtres.

Il appartenait à la Pléiade de rompre avec le passé pour procéder directement de l'antiquité. Les Grecs avaient donné le nom de Pléiade à la constellation des sept filles d'Atlas et de Pléione. Ils l'appliquèrent, sous le règne de Ptolémée Philadelphe, à sept poètes illustres dont étaient Théocrite, Aratos, Nicandre et Lycophron. Ronsard forme en France une nouvelle pléiade avec Joachim du Bellay, Antoine de Baïf, Dorat, Remi Belleau, Jodelle et Pontus de Thyard. Le meilleur des sept après Ronsard, Joachim du Bellay, exprime dans sa Défense et Illustration de la langue françoise les idées de tout le groupe des novateurs.

Leur œuvre, plus tard méconnue et méprisée, était d'élever le français de l'état de langue vulgaire, où le tenaient les savants, à l'état de langue littéraire. C'est ce que fit Dante pour l'italien. Dans son effort, il appela Virgile et Stace en aide. Les poètes de la Pléiade aussi fondaient leur entreprise sur l'imitation de l'antiquité.

« Je ne puis assez blasmer, dit du Bellay, la sotte arrogance et témérité d'aucuns de nostre nation qui déprisent et rejètent d'un sourcil plus que stoïque toutes choses écrites en françois. Si nostre langue n'est si copieuse et si riche que la grèque ou latine, cela ne doit estre imputé au défaut d'icelle, comme si d'elle-mesme elle ne pouvoit jamais estre sinon pauvre et stérile; mais bien on le doit attribuer à l'ignorance de nos majeurs (majores, ancêtres)...

« Quand à moy, si j'étoy enquis de ce que me semble de nos meilleurs poëtes françoys, je respondroy qu'ilz ont bien écrit, qu'ilz ont illustré nostre langue, que la France leur est obligée; mais aussy, diroy-je bien qu'on pourroit trouver en nostre langue, si quelque savant homme y vouloit mettre la main, une forme de poësie beaucoup plus exquise, laquelle il faudroit chercher en ces vieux Grecz et Latins, non point ès aucteurs françois, pour ce qu'en ceux-ci on ne sçavoit prendre que bien peu, comme la peau et la couleur; en ceux-la on peut prendre la chair, les oz, les nerfs et le sang. Et si quelqu'un mal aysé à contenter ne vouloit prendre ces raisons en payement, je diroy qu'aux autres ars et sciences la médiocrité peut mériter quelque louange; mais aux poëtes, ny les dieux ny les hommes n'ont point concédé estre médiocres, suyvant l'opinion d'Horace.

Lis donques et relis premièrement, o poëte futur! feuillette de main nocturne et journelle les exemplaires grecz et latins, puis me laisse toutes ces vieille poësies françoyses aux jeuz Floraux de Thoulouze, au Puy de Rouen, comme rondeaux, ballades, vyrelaiz, chantz royaulx, chansons et autres telles épiceries qui corrumpent le goust de nostre langue. Jète-toi aux plaisans épigrammes, à l'immitation d'un Martial ou de quelque autre bien approuvé. Distile avecques un style coulant et non scabreux ces pitoyables élégies, à l'exemple d'un Ovide, d'un Tibule et d'un Properce, y entremeslant quelquesfois de ces fables anciennes, non pelit ornement de poësie. Chante moy ces odes, incognues encore de la muse françoyse, d'un luth bien accordé au son de la lyre grèque ou romaine, et qu'il n'y ait vers où n'apparoisse quelque vestige de rare et antique érudition. Quand aux épistres, ce n'est un poëme qui puisse grandement enrichir nostre vulgaire, pource qu'elles sont voluntiers de choses familières et domestiques. Autant te dy-je des satyres, que les Françoys, je ne sçay comment, ont appelées coqz à l'asne, ez quels je te conseille aussi peu l'exercer, comme je te veux estre aliéné de mal dire si tu ne voulois, à l'exemple des anciens, soubz le nom de satyre et non de cette appellation de coq à l'asne,

taxer modestement les vices de ton tems et pardonner aux noms des personnes vicieuses. Sonne-moy ces beaux sonnets, non moins docte que plaisante invention. Chante-moy d'une musette bien résonnante et d'une fluste bien jointe ces plaisantes ecclogues rustiques, à l'exemple de Théocrite et de Virgile. Quand aux comédies et tragédies, si les roys et les républiques les vouloient restituer en leur ancienne dignité, qu'ont usurpée les farces et moralitez, je seroy bien d'opinion que tu t'y employasses; et si tu le veux faire pour l'ornement de ta langue, tu sçays où tu en dois trouver les archetypes. Donques toi qui, doué d'une excellente félicité de nature, ins truict de tous bons ars et sciences, non ignorant des parties et offices de la vie humaine, non de tro haulte condition, non aussi abject et pauvre, no troublé d'afaires domestiques, mais en repos e tranquilité d'esprit, 6 toy, dy-je, orné de tant d graces et perfections, si tu as quelque pitié de to pauvre langaige, si tu daignes l'enrichir de tes thre sors, ce sera toy véritablement qui luy feras hausse la teste, et d'un brave sourcil s'égaler aux superbe langues des anciens. » (DU BELLAY.)

Les poètes de la Pléiade se mirent à cett tâche avec un génie et des forces inégales. L

vieux Jean Dorat, leur maître, n'écrivait guère qu'en latin et, par conséquent, les aidait mal. Amadis Jamyn devait moins à son propre talent qu'à l'amitié de Ronsard d'être une étoile dans la constellation. Pontus de Thyard fut un bon disciple, rien de plus, et encore abandonna-t-il de bonne heure la poésie pour l'église. Baïf se fatigua dans de vains essais : il voulait introduire dans la poésie française la métrique des anciens. Belleau, le gentil Belleau, excella avec moins de peine dans des chansons imitées d'Anacréon. Jodelle tenta de donner un Sophocle à la France: vous avez vu que cela aussi était dans le manifeste de du Bellay, mais Jodelle, qui produisait avec une hâte déplorable, n'écrivit jamais rien de lisible. Du Bellay, lui, fit d'admirables sonnets et d'excellentes satires.

Quant à Ronsard, c'est un incomparable lyrique. Idées, langue, images, rythmes, il a tout créé avec une grandeur et une grâce qu'on goûte d'autant mieux qu'on a plus de savoir; et, en même temps, on peut citer de ce grand homme tel sonnet comme : Quand vous serez bien vieille, ou telle ode comme : Mignonne, allons voir si la rose, qui ont la fran

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