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debris des infortunez, & me fit tous les complimens dont ces Meffieurs ne font pas avares dans de femblables occafions. Pour mes papiers nous les renfermâmes dans deux de mes ferviettes, qu'il ferma de fon cachet & du mien après les avoir bien cousues, lui même le porta chez Mr. de Torcy, comme il me le dit après. Je lui demandai fi lui & fes Gens avoient dejeuné, & m'aiant dit que non, je fis apporter du pain & du vin, dont nous bumes chacun deux coups, pendant que mon hôte, fa femme & fa fervante fondoient en larmes, que je confolois de mon mieux. L'Exempt me dit de prendre quelques livres dont j'avois un bon nombre, pour me defennuier, & fit prendre ma Robe de chambre, mon Manteau & mon bonnet de nuit par un de fes hocquetons, ce qui me fit lui demander, fi je coucherois en la Prison où il m'alloit mener, & fi il ne me feroit pas permis d'en fortir fous caution; à quoi il ne me repondit rien, & fe prit à fourire quand il vit que j'ordonnois à mon hôte de m'y aporter à manger. Nous defcendimes dans la Cour, où je trouvai un Caroffe à quatre chevaux & deux chevaux de felle. Ce fut pour lors que je lui demandai, où il vouloit me conduire; & m'aiant repondu que c'étoit à la Bastille, je me recriai contre cette injuftice, & contre Mr. Chamillart qui l'autorifoit ou qui du moins la fouffroit. J'eus encore affez de prefence d'efprit pour lui demander deux graces; l'une de me laiffer écrire à Mr. de Torci, à Mr. Chamillart, & à mon Epoufe; l'autre de me laiffer emporter mes hardes. Pour B 3

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vos hardes, dit-il, vous n'en aurez pas befoin car je fçai que vous ne demeurerez pas longtems où je vous méne; & pour vos Letres vous les écrirez à la Baftille, & je vous engage ma parole que j'en donnerai deux en main propre aux Miniftres, & l'autre je la mettrai moi-même à la pofte.

Nous montâmes en Caroffe nous nous mîmes l'Exempt & moi dans le fond, & deux des hocquetons fur le devant; & il dit tout haut au troifiéme de remener les chevaux à L'Ecurie, & que la tranquilité que j'avois fait paroître, & mon peu d'émotion lui étoient de feurs garants que je ne ferois aucune viofence. Sur quoi je lui proteftai, que je me croiois fi peu coupable, que fi le Roi, m'eût ordonné de me conftituer moi-même Prifonnier, j'aurois executé fes ordres fans le miniftére d'aucun de fes Officiers. Je le priai de me dire lequel des Miniftres me faifoit arrêter, à quoi il ne repondit pas. Je lui demandai fon Nom; il me dit qu'il s'appelloit de Bourbon, & il fe trouva que nous avions fervi enfemble dans les Moufquetaires fon Fils & moi; il me dit que ce Fils étoit Capitaine de Cavalerie; que pour lui quoiqu'il fût Exempt, il n'en faifoit plus les fonctions, étant auprès de Mad. la Ducheffe du Lude, qui l'avoit pris pour fon Ecuyer, & que c'étoit bien contre fon inclination qu'il avoit été forcé de prendre l'ordre de m'arrêter, lors que le jour precedent il s'étoit trouvé dans les apartements; ce qui me fit connoître que cet Ordre avoit été figné au Confeil le lundi, & que le signal que m'avoit fait Mr. Chamillart en

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fortant du Confeil étoit apparemment pour m'en donner avis.

Je l'entretenois avec la même liberté, que s'il 'm'eût conduit à quelque partie de plaifir; & aïant aperçu fur les cottes d'armes des Hocquetons une maffe toute heriffée de pointes avec cette devise: Monftrorum terror: je lui dis en riant, lui montrant fes gens: voila donc la terreur, & voici le Monftre; en me montrant après: file Roi en avoit un milion de pareils ils feroient plus propres à épouvanter les Ennemis de S. M. qu'à lui nui, re. Sur quoi je pris occafion de lui dire que j'étois le Cadet & le feul qui reftois de douze freres qui tous avions repandu nôtre fang au fervice du Roi; fept defquels avoient été tuez dans le même fervice. Que mon Pere étoit pareillement le plus jeune de douze freres qui tous avoient auffi fervi; & que fon Pere mon Aieul étoit pareillement le dernier de douze Freres, qui tous avoient auffi porté les armes, & avoient verfé leur fang pour la querelle de leurs Rois; que de pareils Sujets ne devoient pas paffer pour des Monftres, dans le moment encore que j'avois quantité de Neveux, de Coufins & d'autres proches parens qui fervoient le Roi dans fes Armées.

L'Exempt, qui me parut être un très honnête homme, me promit affectueusement qu'il me rendroit fervice auprès des Miniftres. Nous arrivâmes à Paris; il voulut fçavoir quelle heure il étoit; je tirai ma montre; pour la confronter au quadran de la Samaritaine; il étoit huit heures juftes. Nous apperçumes Mr. le Comte de Grammont 'qui

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defcendoit les marches du Pont-neuf, il voulut faire arrêter le Caroffe pour lui parler, mais le Cocher ne l'entendit pas & paila outre.

Enfin nous arrivâmes au lieu redoutable: en entrant, fi-tôt que les fentinelles nous apperceurent, ils mirent leurs chapeaux devant leurs vifages: j'ai apris depuis qu'ils faifoient cette étrange ceremonie parce qu'il leur eft deffendu de regarder un Prifonnier en face.

Etant arrivez à la petite Cour de l'apartement du Gouverneur, où nous mimes pied à terre, nous fumes reçus au pied de l'escalier par un homme de bonne mine, qui comme je l'ai apris dans la fuite, étoit le Lieutenant de Roi nommé Mr. du Joncas, & un autre petite figure d'homme de très mauvaise aparence, & fort mincement vêtu, qui s'apelloit de Corbé, Neveu du Gouverneur, qui nous conduisirent, l'Exempt & moi dans l'apartement de Mr. de St. Mars. Les deux Hocquetons avoient commencé à monter dans l'efcalier, pour nous y fuivre; mais Mr. de Joncas fe tournant vers eux, les fit 'defcendre, en leur difant avec affez de fierté: quand vous nous avez remis Monfieur entre les mains, nous fommes affez capables d'en repondre ; demeurez au bas de l'efcalier. Nous entrâmes dans une chambre tendüe d'un damas jaune, avec une crépine d'argent, qui me parut affez propre, auffi bien que le Gouverneur qui étoit devant un grand feu; 'c'étoit un petit vieillard de très maigre apparence, branlant de la tête, des mains & de tout fon corps, qui nous reçut fort civilement :

il me prefenta fa main tremblante, qu'il mit dans la mienne; elle étoit froide comme un glaçon; ce qui me fit dire en mon cœur: voici qui eft de mauvaise augure, la mort, ou fon fubftitut fait alliance avec moi. L'Exempt lui donna ma lettre de cachet, où l'ordre de m'arrêter, & l'aiant tiré en un coin de la chambre pour lui parler bas à l'oreille; comme le Gouverneur étoit fi fourd qu'il ne pouvoit l'entendre, il lui fit repeter ce qu'il lui difoit plus haut; & j'entendis fort diftinctement ces paroles: Mr. Chamillart m'a ordonné de vous recommander particuliérement ce Monfieur, & vous enjoint de le traiter plus favorablement que les autres Prifonniers; ce qui l'obligea à me venir faire beaucoup de careffes. Enfuite il figna le double de ma lettre de cachet au bas de laquelle il mit fa reconnoiffance, comme l'Exempt m'avoit remis entre fes mains; & m'étant un peu avancé, je vis que la lettre étoit fignée Colbert ; ce qui me fit recrier: quoi donc c'eft Mr. de Torcy qui me fait arrêter! lui même repondit l'Exempt, & c'est chez lui que j'ai porté vos papiers. Je le priai de me tenir fa promeffe, & de fe charger des trois lettres, dont je lui avois parlé le matin. Il demanda du papier au Gouverneur pour les écrire, qui lui répondit, que fi-tôt qu'un Prifonnier eft entre fes mains, il ne pouvoit lui permettre d'écrire fans un ordre particulier de la Cour. L'Exempt pour me confo-ler de cette difgrace, me promit, fi-tôt qu'il feroit à Versailles d'aller trouver Mrs. de Torcy & Chamillart pour en demander la

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