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donne pour chacun une moyenne de 319 l. st. (8,625 fr.), la moitié de ce qui revient aux protestants.

Au contraire, sur les vingt fonctions inférieures, les catholiques en occupent les trois quarts, mais avec un traitement moyen qui ne dépasse pas 123 1. st. (3,080 francs).

Mais les Irlandais n'ont-ils pas tort de se plaindre de cette inégale répartition des fonctions publiques de l'Irlande entre les catholiques et les protestants? Puisque l'union est établie entre l'Irlande et l'Angleterre et que l'acte de 1829 a fait disparaître les incapacités politiques dont les catholiques du Royaume-Uni étaient frappés, ne doit-on pas présumer que s'il y a beaucoup de fonctionnaires anglais et protestants en Irlande, en revanche, en Angleterre, en Écosse, aux colonies, bon nombre d'Irlandais et de catholiques sont promus aux postes importants de la magistrature, de la finance et des services civils? Et dans ce cas ne faudrait-il pas s'applaudir d'une réciprocité qui ferait le lien le plus intime des deux nations, et qui justifierait le doux nom de sœurs que se donnent mutuellement les deux îles dans les discours officiels?

Sans doute, il en pourrait être ainsi, bien qu'à consulter les Irlandais, ils préférassent assurément n'avoir point de droits aux fonctions anglaises à condition d'être administrés, jugés et gouvernés chez eux par des compatriotes et par des co-religionnaires; mais cet équilibre n'existe pas, et on peut dire hardiment que pour vingt Anglais protestants qui occupent dans la catholique Irlande des postes considérables et largement rétribués, on trouve à

peine un Irlandais catholique jouissant de priviléges semblables dans la protestante Angleterre1.

Cette partialité, cet esprit d'exclusion, cette persistance de l'inégalité civile fondée sur la différence des religions, en un mot, tout ce système d'ancien régime est donc encore debout, ayant de profondes racines dans la constitution britannique, et garanti par les plus tenaces préjugés contre les légitimes progrès de notre siècle.

Égalité entre les protestants, oui; mais entre les protestants et les catholiques, entre les Anglais et les Irlandais, non encore une fois elle n'existe pas; elle n'est pas encore complétement inscrite dans la constitution et dans les lois; et surtout, elle est loin d'être établie dans les esprits et dans les mœurs.

L'Irlandais catholique n'est plus sans doute, du moins aux yeux d'un Anglais chrétien et éclairé, cet idolâtre sauvage et cet ennemi qu'au xvIIIe siècle encore on écrasait sans scrupule et sans pitié; mais si c'est déjà un frère, ce n'est pas encore tout à fait un concitoyen; il y a toujours entre ces deux hommes une barrière qui les sépare, et que maintient avec un soin jaloux l'âpre et sectaire esprit des premiers temps de la réforme 2.

Et voilà ce que malgré des preuves surabondantes, et des faits qui se renouvellent presque tous les jours, s'obstinent à ne pas voir des hommes qui se croient libéraux ;

«... Almost all the chief officers in Ireland are Englishmen but he should not object to that if there existed any thing like reciprocity.... It was really something of a national grievance. » (M. Scully, House of commons, aug. 40th 1860.)

• Voir un très-bon article du Rambler. (Mai, 1861.)

soit que pour eux les dénis de justice perdent de leur gravité lorsqu'ils ne sont préjudiciables qu'à des catholiques, soit qu'à leurs yeux il importe aux intérêts de la liberté en Europe que l'Angleterre, et non pas seulement ses institutions, mais aussi sa politique, restent environnées d'une sorte de prestige et comme d'une auréole sur laquelle il soit impie de porter la main. Ce respect superstitieux n'est-il pas un outrage à la liberté, et une humiliante insulte à l'Angleterre? ne serait-ce pas les mieux servir toutes deux que de montrer sans faiblesse comme sans passion les abus qu'on prétend couvrir de leur autorité? n'est-ce pas précisément parce que l'Angleterre possède des institutions admirables et dignes d'être enviées, même par nous; parce qu'elle est, «< cetle «< fière et libre nation, cette nation heureuse, puissante, <«< habile et chrétienne qui est féconde en tous les genres « de grandeur, et dont le genre humain glorifie le «< génie1, » n'est-ce pas à cause de tout cela qu'on a le droit d'être sévère à son égard? A quoi sert la liberté, si elle n'est point un instrument de justice et une arme pour le progrès ? et quand on est puissant pour le bien, ne doiton pas compte de tout celui que l'on pourrait faire, et que l'on sacrifie misérablement à des préjugés invétérés, à des haines aveugles et à un injustifiable égoïsme?

1

Mgr l'év. d'Orléans. Discours prononcé à Saint-Roch, le 25 mars 1861, en faveur des pauvres Irlandais, p. 48 et 49.

CHAPITRE III

INÉGALE RÉPARTITION DES POUVOIRS PARLEMENTAIRES ET DES DROITS ÉLECTORAUX ENTRE L'ANGLETERRE ET L'Irlande.

En vertu de l'acte de 1801 qui unit les deux parlements de Dublin et de Londres, l'Irlande envoie au Parlement impérial trente-deux pairs dont quatre ecclésiastiques, et cent cinq députés.

Les vingt-huit pairs laïques élus par tous les pairs d'Irlande sont nommés à vie et remplacés à mesure des extinctions; les lords ecclésiastiques sont désignés seulement pour une session1.

Que d'objections à faire à ce système, au point de vue non plus peut-être de l'égalité religieuse, mais de l'égalité politique! qui pourrait soutenir en effet que l'aristocratie d'Irlande jouisse des mêmes priviléges que celle d'Angleterre ? Tout pair anglais ayant atteint l'âge de la majorité siége de droit dans la Chambre haute, et transmet à l'aîné de ses fils la dignité dont il est revêtu. Les pairs

'La noblesse laïque d'Irlande compte en ce moment deux cent vingtquatre membres, dont un pair de sang royal, qui est le roi de Hanovre comme comte d'Armagh, un duc, quarante-deux marquis, soixante-sept comtes, quarante-deux vicomtes, soixante-douze barons. « Thom's official Directory,» 1864, p. 756.

d'Irlande, comme ceux d'Écosse, ne sont que les délégués du corps qui les nomme. Ce qui fait dire à M. Léon Faucher que << dans la Chambre haute, les pairs des deux << royaumes inférieurs figurent une sorte de Chambre «basse, et n'y apportent qu'un pouvoir d'emprunt; » et encore << que le peuple anglais, le plus fort, le mieux placé <«<et le plus capable de commander, s'est fait la part du << lion, et que l'Irlandais a été traité en peuple conquis1. » Ce n'est pas seulement par la disproportion du nombre que les pairs d'Irlande se trouvent dans une infériorité marquée relativement aux pairs d'Angleterre; ils sont encore soumis à certaines restrictions qui ferment à la plus grande partie d'entre eux l'entrée de la carrière politique. Le seigneur d'Irlande qui ne va pas siéger au Parlement de Londres en vertu d'une élection, ne reçoit aucune compensation, il ne peut être membre d'un grand jury ni voter aux élections, ni se présenter à la Chambre des communes comme candidat d'électeurs irlandais 2.

On ne peut dire qu'une chose pour justifier cette inégalité si marquée entre les deux pairies d'Angleterre et d'Irlande; c'est qu'elle a été consentie par cette dernière au temps de l'union, et que les fils n'ont qu'à s'en prendre à leurs pères de la vénalité et de la corruption qui ont ravi à la noblesse irlandaise la plus grande partie de son influence politique.

Les cent cinq députés envoyés par l'Irlande au Parle

Léon Faucher, Études sur l'Angleterre, II, 194.

Discours prononcé à la Chambre des communcs, le 4 juillet 1843, par M. Smith O'Brien. « Hansard's, Parliamentary Debates. »

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