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mandés par le général Lake, et après leur avoir tué huit cents hommes et pris dix pièces de canon, fit son entrée dans cette petite ville. De là, il continua à marcher à travers les landes et les tourbières du Connaught, dans la direction de Dublin. Trente mille Anglais, commandés par le vice-roi en personne (lord Cornwallis), barrèrent le passage à l'armée républicaine, réduite à onze cents hommes. Humbert n'hésita pas à accepter le combat; les républicains étaient un contre trente, mais ils firent si bonne contenance, et se battirent si bravement, que lord Cornwallis s'estima heureux de leur accorder une capitulation honorable. Les Français qui posèrent les armes n'étaient que huit cent quarante-quatre, y compris les officiers.

En septembre 1798, une nouvelle expédition maritime fut envoyée, par le Directoire, sur les côtes de l'Ulster. L'amiral anglais, sir John Warren, triompha, grâce à des forces supérieures, de l'héroïque résistance de la flotte française. Théobald Wolf Tone, qui portait le titre d'adjudant-général au service de la France, fut fait prisonnier. Condamné à mort par une cour martiale, et renvoyé par la noble impartialité de lord Killwarden, devant les tribunaux ordinaires, il n'eut pas la patience d'attendre l'exécution d'un arrêt juridique, et par une faiblesse condamnable, il échappa, par le suicide, à l'honneur d'être publiquement immolé à la haine des oppresseurs

de l'Irlande.

Quand le gouvernement britannique n'eut plus à redouter ni insurrection nationale, ni invasion étrangère, et que, d'une extrémité à l'autre de l'Irlande, la force

eut triomphé, il se montra d'autant plus cruel dans ses vengeances, qu'il avait été plus menacé dans sa domination. Il faut lire, dans l'historien Gordon, le récit de cette sanglante réaction dans laquelle le rôle des soldats s'effaça devant celui des bourreaux, et où les plus mauvaises passions furent, de sang-froid et par calcul, déchaînées contre les débris mutilés du parti national.

Enfin on se fatigua de pendre et de mutiler les cadavres des victimes'. Mais, pour frapper un grand coup et profiter de la stupeur et de l'atonie où tant de désastres avaient plongé la malheureuse Irlande, on résolut de lui enlever jusqu'au dernier vestige de ses libertés politiques et de son indépendance nationale. La suppressien du Parlement de Dublin fut résolue.

Vainement des trente-deux comtés d'Irlande vingt et un réclament contre cette suppression; vainement le Parlement irlandais lui-même proteste par un vote contre le projet ministériel, Pitt et lord Castlereagh triomphèrent de cette résistance, non par la force, mais par la corruption; l'or acheva la conquête que le fer avait commencée. A la honte des acheteurs et des vendus, on connaît les chiffres exacts du marché passé en 1800, entre le ministère anglais et les misérables qui trafiquèrent contre tout droit et tout honneur de l'indépendance et de la dignité de leur pays".

Gordon, II, 384, 391, 399, 419, 466.

* Voir aux notes et pièces justificatives, no 4, un résumé historique des vicissitudes par lesquelles a passé le Parlement d'Irlande, depuis l'invasion d'Henri II jusqu'à l'acte d'Union.

Gratian's Speeches, IV, 37. M. Gust. de Beaumont, I, 497, 498.

Ainsi fut consommée, après six cent trente-et-un ans de luttes continuelles (1169-1800) l'union de l'Angleterre et de l'Irlande. Pour apprécier la valeur d'un tel pacte, il suffit de rappeler la longue suite d'événements qui l'ont préparé, les circonstances au milieu desquelles il a été conclu, les protestations tant de fois renouvelées qui l'ont suivi; puis, qu'on lui applique les règles ordinaires du droit en matière de contrats, et si l'emploi de la violence et de la ruse frappent de nullité les conventions humaines, si, d'après les maximes reçues chez les nations civilisées, elles n'ont de valeur que par le libre consentement des parties contractantes, que faut-il penser de l'acte qui a uni l'Irlande à l'Angleterre, et dont on peut dire, dans toute la vérité du langage historique, que les considérants en ont été dictés par la force, les clauses payées par la corruption et les signatures données par la lâcheté 1?

1Cette application des règles du droit civil et ecclésiastique au Pacte d'Union entre l'Irlande et l'Angleterre n'est pas sans intérêt : « Ad con« tractus valorem requiritur ut consensus sit: 1° internus et verus, 2o li«ber ac plene deliberatus, 3° externis manifestatus, 4° mutuus... »

« Consensui in contractibus adversantur omnis metus, error, et insuper omnis calliditas, fallacia, machinatio ad circumveniendum, fallendum, decipiendum alterum adhibita. » (Digest., passim. Scavini, de Contract., Tract. VI, Disp. 2, Diss. 2, cap. 1, art. 3.)`

« Decernit sancta Synodus inter raptorem et raptam quamdiu ipsa in potestate raptoris manserit, nullum posse consistere matrimonium. ‹ Quod si rapta a raptore separata, et in loco tuto et libero constituta, « illum in virum habere consenserit, eam raptor in uxorem habeat. Et « nihilominus raptor ipse, ac omnes illi consilium, auxilium et favo« rem præbentes, sint ipso jure excommunicati, ac perpetuo infames. » (Conc. Trid., Sess. XXIV. De Reform. matrim., c. VI.)

Les signataires de la pétition nationale, remise au printemps de 1861

XI

Le recours à la force et l'insurrection armée n'avaient servi qu'à aggraver les maux de l'Irlande; pays presque exclusivement catholique, elle n'était représentée au Parlement impérial que par des députés protestants, et si au souffle des révolutions d'Amérique et de France, le code néfaste des lois pénales avait été déchiré, l'inégalité politique et civile, l'oppression religieuse, la misère sociale, résultats inévitables de sept cents ans de tyrannie, étaient encore debout, et, perpétuant jusque dans le XIXe siècle les traditions mauvaises des âgés passés, préparaient à l'Angleterre des difficultés qu'elle n'a point encore complétement résolues.

Depuis la suppression du Parlement de Dublin, en

entre les mains de la reine Victoria, ne demandaient pas autre chose à son gouvernement que de permettre à l'Irlande de se prononcer librement, par voie de suffrage universel, - « si rapta... in loco libero constituto consenserit, » sur la valeur du contrat de 1800. Si FIrlande se prononçait pour le maintien de l'union, ce qui n'est encore aujourd'hui qu'un fait accompli serait validé en droit. Si, comme en 1800, vingt et un comtés sur trente-deux, ou les deux tiers des votants se prononçaient pour le rappel de l'union, lord Palmerston et ses collègues pourraient-ils ne pas appliquer à l'Irlande ce qu'ils ont si fort applaudi ou même si énergiquement encouragé en Italic? Mais il ne faut pas oublier le vicil axiome de la loi des Douze Tables. Il se dresse encore, quoique invisible et non avoué, entre la conscience des gouvernants et les griefs des gouvernés : « Adversus hostem æterna auctoritas. »

1800, deux questions ont dominé et résumé toutes les autres pour l'Irlande : l'émancipation des catholiques et le rappel de l'union.

En 1760, un comité s'était réuni et avait essayé, par la voie des pétitions au Parlement et des suppliques à la couronne, d'attirer l'attention du gouvernement sur la condition injurieuse faite aux catholiques d'Irlande. Successivement réorganisé en 1790, en 1809 et en 1813, ce comité devint, en 1823, entre les mains d'O'Connell et de Sheil, la célèbre Association catholique.

L'histoire de cette association et de l'influence générale qu'elle eut sur l'Irlande ferait à elle seule un livre. Elle fut la vie du peuple opprimé pendant le premier quart de ce siècle, et, grâce à la sagesse qui, dans ses actes, ne fit jamais défaut à la puissance, elle obtint, en 1829, un des succès les plus éclatants qui puissent récompenser ici-bas les efforts des hommes. L'élection d'O'Connell dans le comté de Clare, faite aux applaudissements unanimes du peuple irlandais, pouvait être annulée par le Parlement; car le recevoir dans le palais de Westminster, c'était porter à la suprématie protestante le coup le plus rude qu'elle eût reçu depuis les lois d'Élisabeth et les triomphes du parti orangiste. D'autre part, lui en fermer les portes, c'était peut-être se jeter dans les hasards d'une guerre acharnée, c'était assurément se couvrir de honte à la face de l'Europe, et, deux ans seulement après la bataille de Navarin, rivaliser de fanatisme et de tyrannie avec ce Turc que l'on venait de vaincre et d'humilier. Le ministère Wellington accorda à la nécessité ce que la justice seule eût été impuissante à obtenir.

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