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sent, et ne faisant profiter ces revenus que d'une manière très-indirecte au pays d'où ils proviennent, et aux travailleurs qui les lui envoient.

La plupart du temps, ce même absent, si peu et si mal connu de ses tenanciers d'Irlande, passe une notable partie de l'année dans ses domaines d'Angleterre, y encourage de sa présence, souvent même de ses entreprises personnelles, le travail agricole, et répand autour de lui, par les dépenses de sa maison, une partie des revenus que ses fermiers et ses paysans gagnent pour lui. « En «Angleterre, dit M. de Lavergne, le travail des villes << sert à payer le luxe des champs. Là, se dépensent pres<< que tous les trésors que le plus industrieux des peuples <«< sait produire. Il en revient une bonne partie à la cul<«<ture. Plus le propriétaire touche de près sa terre, plus <«< il est disposé à l'entretenir en bon état. L'amour-pro«pre, ce grand stimulant, est en jeu. On ne veut pas << montrer à ses voisins des bâtiments en ruine, des che<< mins impraticables, des attelages défectueux, des ani<«<maux chétifs, des champs négligés; on met son orgueil << à des dépenses productives, comme ailleurs à des « dépenses frivoles, par la contagion de l'exemple. »

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Les membres les plus illustres de l'aristocratie anglaise vivent une grande partie de l'année de cette vie des champs, dans laquelle se concentrent tous les intérêts et toute la destinée des classes agricoles ; et assurément c'est un encouragement puissant pour l'humble paysan de voir un duc de Norfolk, un duc de Devonshire, un duc de Portland et d'autres encore, le saluer d'un geste bienveillant, tandis qu'il pousse sa charrue; s'informer avec une affec

tueuse curiosité de ses gains ou de ses pertes, de ses craintes ou de ses espérances de l'année; et mettre le premier à l'essai une de ces méthodes nouvelles ou un de ces instruments perfectionnés qui hâtent les progrès du travail agricole. Ne sait-on pas que la reine et son époux donnent, entre tous, ce salutaire exemple, et encouragent, non-sculement de leur présence, mais de leurs œuvres mêmes, la plus utile des industries.

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« Le

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prince Albert dirige, à Windsor, une vraie ferme où <<< naît et s'engraisse le plus beau bétail des trois royau<< mes. Ses produits gagnent ordinairement les premiers << prix dans les concours. A Osborne, où elle passe la «< plus grande partie de l'année, la reine surveille elle« même une basse-cour dont elle est fière, et tous les << journaux ont annoncé dernièrement qu'elle venait de « découvrir un remède à la maladie des dindonneaux << quand ils prennent le rouge. Ce qui chez nous prête «< au ridicule est pris très au sérieux par nos voisins, et << ils ont cent fois raison. Heureuse et sage entre toutes <«< la nation qui aime à voir ses princes se livrer à ces << utiles délassements 2 ! »

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Ce ne sont pas seulement les fermiers et les intérêts généraux de la propriété qui sont l'objet de la sollicitude intelligente des grands seigneurs les journaliers agricoles se ressentent très-directement des soins assidus et éclairés que ceux-ci donnent à tout ce qui touche au tra

Ceci était écrit avant la mort du prince Albert, qui est arrivée le 44 décembre 1861.

• Economie rurale, p. 146.

vail de la terre, personnes ou choses. « L'opinion veut <«< que les propriétaires s'occupent paternellement de «<leurs journaliers, qu'ils veillent à leur instruction et à «<leur moralité comme à leur bien-être matériel, et les

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plus grands seigneurs tiennent à honneur de remplir «ce devoir. Beaucoup d'entre eux font bâtir des cottages <«< sains et commodes, qu'ils louent à des prix raisonna<«bles; le prince Albert, qui veut être le premier à donner << tous les bons exemples, avait fait exposer sous son << nom à l'exhibition universelle un modèle de ces sortes << de constructions. On y joint en général un petit lot de << jardin où le locataire peut faire venir des légumes frais; « c'est ce qu'on appelle des allotments'. Dans tous les « grands domaines, le maître fait construire des chapelles et des écoles, et encourage les associations qui << ont un but d'utilité commune 2. »

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De là vient que l'agriculture est en Angleterre dans un état si prospère; de là vient surtout que la plupart des difficultés particulières au système irlandais y sont inconnues; ni les propriétaires n'abusent de leurs droits, ni les

Je me rappelle avoir vu semblable chose dans une des grandes propriétés irlandaises de lord Palmerston, sur la route de Sligo à Ballyshannon. C'était il y a quelques années une tourbière inculte. Cette tourbière, assainie par le drainage, a été divisée en petits lots, chacun desquels forme l'habitation et le jardin d'un tenancier ou d'un ouvrier agricole. Ces maisons petites, mais commodes, et bâties d'après un modèle uniforme, alignées sur les deux côtés de la route, et environnées de jardins cultivés avec soin, forment un joli village. Lord Palmerston a aussi fait bâtir une école. Combien il serait à désirer qu'un tel exemple fut suivi par tous les propriétaires!

• Economie rurale, p. 195.

cultivateurs ne sont victimes de leur travail; les intérêts des uns et des autres ne se contrarient pas: ils se prêtent un mutuel appui, et la confiance réciproque des deux classes sera peut-être pour l'Angleterre, si elle avait un jour quelque crise sociale à traverser, un des plus solides fondements de l'ordre menacé.

On a donc pu dire avec vérité, et ce dicton sera comme un résumé de cette comparaison, qu'un fermier anglais aimerait autant se couper la gorge que de prendre une terre aux conditions qui sont ordinairement faites à un tenancier d'Irlande, et que celui-ci s'estimerait aussi heureux qu'un roi s'il avait les garanties dont jouit le fermier anglais '.

A côté de la Grande-Bretagne, les îles anglo-normandes, et surtout Guernesey et Jersey, jouissent d'une prospérité agricole qui a été plus d'une fois pour l'Irlande un sujet d'admiration et d'envie. La constitution de la propriété foncière dans ces îles, les conditions du travail agricole, les relations qui existent entre les propriétaires et les fermiers, offrent assez d'intérêt pour mériter quelques détails.

S'il faut en croire une certaine école, la consolidation des fermes, l'extension des grandes propriétés, une rapide décroissance de la population, telles sont les conditions dans lesquelles semble devoir s'opérer la régénération de l'Irlande.

• « An English farmer would almost cut his throat rather than take land under the ordinary conditions of an Irish tenant-at-will. An Irish tenant-at-will would deem himself « as happy as a king » if he got the ordinary terms of an English farmer. » (Letters on Land-tenures,

Nous trouvons dans les îles anglo-normandes une prospérité plus incontestable et de meilleur aloi, à des conditions absolument opposées. A Guernesey et à Jersey, les fermes sont si peu étendues, qu'on les cultive généralement à la bêche1.

Les fermiers élèvent peu de moutons, mais ils possèdent une race excellente de bétail, particulière à ces îles; la plupart des produits agricoles sont vendus et consommés dans l'intérieur du pays; les vergers et les jardins y sont nombreux, et la terre y atteint une valeur véritablement étonnante. D'après un ouvrage très-accrédité de statistique locale, publié en 1841, le revenu annuel de la plus mauvaise terre, à Guernesey, est de 2 liv. sterl. la vergée (mesure du pays), ce qui fait 5 liv. sterl. pour l'acre d'Angleterre, et 8 liv. sterl. pour, l'acre d'Irlande. Pour les bonnes terres, ce revenu est estimé 3 liv. sterl. la vergée, soit 8 liv. sterl. l'acre d'Angleterre, et 13 l'acre d'Irlande. Aux alentours des villes, le prix de la terre monte encore plus haut'.

Il est vrai que depuis la publication de ces statistiques, le rappel des lois sur les blés a enlevé aux agriculteurs des îles anglo-normandes des priviléges de commerce; et que par suite de la libre concurrence des produits étrangers, la valeur de la terre a dû décroître. Quelques

M. Scully, de Cork, membre du Parlement. Des extraits de son livre ont été cités dans le Télégraphe de Dublin du 25 fév. 4852.

« Incredible as these statements may perhaps seem, they have been seriously made by experienced writers well acquainted with Guernesey and who have stated them as facts familiarly known. » (Ouvrage précédemment cité.

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