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aujourd'hui, elle se maintient et s'agrandit en s'appropriant, sans compensation, le travail, les sueurs, les privations et les souffrances de la classe qui cultive le sol.

Du reste, qu'un tel système soit directement contraire aux intérêts bien entendus de la propriété, et qu'il y eût toutes sortes d'avantages, pour les propriétaires euxmêmes, à ce que les agriculteurs et les fermiers se trouvassent dans d'autres conditions, c'est ce qui peut être facilement mis hors de doute si on résume, d'après tout ce qui vient d'être dit, les conséquences qui résultent du système actuel pour l'agriculture en Irlande.

CHAPITRE X

DÉPLORABLES CONSÉQUENCES DU SYSTÈME

Le propriétaire, avons-nous dit, ne donne généralement au tenancier que la terre nue, et ne fait aucune avance de capitaux pour l'aider dans l'exploitation, il ne lui fournit même pas les outils nécessaires pour cultiver. Qu'arrive-t-il de là? « C'est que le tenancier ne met que son « travail brut dans une entreprise pour le succès de la<«< quelle un capital serait nécessaire. I cultive mal, « parce que les moyens pour bien cultiver lui man« quent'. »

Le tenancier, sauf quelques exceptions, n'a point de bail qui lui garantisse d'une manière certainc la sécurité de sa tenure. Il sait (et la distribution régulière des notices d'éviction le lui rappellerait au besoin), qu'il n'a pas le droit de compter sur l'avenir, et qu'il doit se tenir toujours prêt à quitter ces champs qu'il a ensemencés, cette petite chaumière qu'il a bâtie. Aussi, à moins qu'il n'ait une grande confiance dans la bonté personnelle du propriétaire ou de son intendant, il s'abstiendra par prudence de toute

'M. de Beaumont, 1, 434.

entreprise qui, pour le dédommager de ses avances, exigerait un laps de temps considérable. Quelle stagnation forcée une semblable incertitude n'impose-t-elle point à l'agriculture! si elle demeure immobile dans les vieilles ornières de la routine, à qui s'en prendre? au tenancier ou au système qui le régit?

Dans le cas où le tenancier, en dépit de cette incertitude, serait tenté d'employer à de sérieuses améliorations son argent, son travail et son temps, c'est toujours, qu'on ne l'oublie pas, à ses risques et périls. Car, si tout progrès de culture et toute amélioration visible de la propriété sont habituellement suivis d'un accroissement de la rente, en voilà plus qu'il ne faut pour détourner à jamais ce paysan de tout effort, et pour lui faire prendre en horreur tout progrès. A quoi bon, en effet, s'épuiser de travail pour avoir de plus abondantes récoltes, et s'exténuer de privations pour mettre quelque argent de côté, si le chiffre du fermage s'élève en proportion même des progrès accomplis et des améliorations obtenues? Terrible logique que celle qui empêche un homme de faire effort pour sortir de la pauvreté de crainte d'être précipité dans la misère !

Mais si l'accroissement arbitraire des rentes est pour l'agriculture, en Irlande, une cause de stagnation et de ruine, que dire de ce droit de confiscation dont les propriétaires ont joui pendant si longtemps sans restriction, et que, dans les cas même les plus évidemment injustes, la loi protégeait de son autorité? En présence de ce droit et de son application fréquente, s'étonnera-t-on de voir les maisons de ferme généralement si misérables, et à

peine pourvues du strict nécessaire pour l'exploitation? comprend-on avec quelle réserve, sous la menace d'évictions périodiquement renouvelées, les tenanciers se hasardent à des dépenses en retour desquelles aucune garantie ne leur est assurée? n'est-ce pas un fait déplorable, mais notoire, que les agriculteurs qui font quelques épargnes, au lieu de les placer comme capitaux dans leur exploitation, les déposent dans les banques provinciales, qui ne leur servent qu'un fort minime intérêt, et d'où les grands spéculateurs d'Angleterre et d'Écosse les font venir, pour accélérer les progrès de l'agriculture et de l'industrie dans ces deux pays? n'est-ce pas un autre fait également notoire, et non moins déplorable, que cette affectation de misère sous laquelle, en plus d'une circonstance, le paysan irlandais cherche à dissimuler les résul tats heureux de son labeur, et cela, dans la crainte trop fondée que son fermage ne soit augmenté, ou qu'au moyen des formalités faciles de l'éviction, le propriétaire ne s'empare de tout ce qui a été construit ou dépensé pour améliorer le domaine 1?

Ces funestes, mais inévitables conséquences, n'ont échappé à l'attention de personne, et les apologistes du

Un vénérable prélat me racontait que dans son diocèse un vieux valet de ferme sur le point de mourir, recommandait à ses maîtres deux choses: 4o De ne jamais payer exactement les quartiers de la rente, et d'être plutôt un peu en retard; 2o de ne se présenter chez le propriétaire ou son intendant qu'avec des habits en guenilles. En effet, qui paye avec régularité, ou qui porte des habits propres, est trop facilement soupçonné de faire des profits dans sa tenure, et court grand risque de voir immédiatement augmenter le chiffre de son fer mage.

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