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Si donc le paysan irlandais ne s'aventure pas facilement dans les plus modestes entreprises de négoce et d'industrie locale, on voit où en est la cause: il n'y a pour lui ni liberté, ni sécurité, ni chance de réussite : qui donc, étant comme le tenancier à l'année, à la merci du propriétaire ou de son agent, se hasarderait, pour un profit douteux, à courir la chance d'une ruine presque certaine?

Au-dessous de l'agent, intendant-général du propriétaire, nous trouvons deux employés subalternes dont les fonctions reposent presque uniquement sur le droit d'éviction et sur l'exercice de ce droit. Nous voulons parler du process-server et du driver. Le process-server dépend, il est vrai, du landlord, non comme propriétaire mais comme magistrat. C'est lui qui porte aux tenanciers les notices d'éviction, emploi qui n'est point une sinécure, puisque nous avons vu que l'habitude d'un certain nombre de propriétaires était d'envoyer régulièrement de telles notices à leurs fermiers, uniquement pour les tenir à leur merci. Quant au driver, comme son nom l'indique (drive, chasser, pousser), c'est lui qui opère la

véritables de la misère de l'Irlande. Voir en particulier un des ouvrages précédemment cités. Jonathan Pim, Condition and prospect of Ireland, p. 4.

En 1846, lord Fitzwilliam ne craignait pas de dire à la Chambre des lords, que « les Anglais étaient d'une excessive ignorance en ce qui << touchait l'Irlande, et que ce pays était pour l'Angleterre un miroir où « elle n'aimait pas se regarder. » — « Ireland was a country of which Englishmen were exceedingly ignorant. It was a mirror in which England dit not very well wish to look, but from which she ought not to shrink, although she migth see in that mirror much cause of regret and much cause of shame. » (House of lords, march 23th 4846.)

saisie du bétail lorsque la rente n'est pas payée régulièrement'. Le driver a aussi un rôle à jouer dans l'exécution. des sentences d'éviction, lorsque le moment est venu de chasser de leurs cabanes et de leurs terres les tenanciers évincés.

Mais habituellement ces agents ne suffisent pas pour l'accomplissement de cette tâche, car il ne s'agit pas seulement de jeter dans le chemin les meubles de la pauvre cabane, ni de prendre dans ses couvertures cette malade qui tremble de la fièvre, et de l'aller déposer sur le revers du fossé voisin pour cela c'est assez de deux hommes. Mais il y a des maisons à abattre ; il y a surtout une population exaspérée à intimider et à contenir. Les constables seront donc convoqués pour prêter mainforte aux drivers, et, s'il le faut, les régiments de l'armée régulière elle-même prendront les armes à la réquisition du shériff. Les barres de fer et les leviers pour démolir les demeures des paysans chassés par l'éviction légale, les baïonnettes pour imposer à une multitude au désespoir: c'est au milieu de cet appareil que s'exécutent souvent les sentences rendues contre les fermiers. L'indignation populaire a flétri d'un nom ignominieux tous ceux qui coopèrent à ces brutales exécutions: shériff, baillis, drivers, constables, soldats, tous sont compris sous la

Distress for rent. Dans le voisinage des grandes propriétés on voit les endroits où se garde le bétail saisi. Ce sont des étables en plein vent, garnies de murs en pierres sèches et sans toit. C'est aux lenanciers d'aller porter tous les jours de l'herbe aux vaches ou aux porcs qui y sont retenus. Quand, au bout d'un mois, la rente n'est pas payée, on procède à la vente de ces animaux.

dénomination énergique et trop méritée de milice du levier (Crowbar-Brigade).

Plus de 282,000 maisons ou cabanes détruites, tels sont d'après les documents officiels, et seulement pour les dix années comprises entre 1841 et 1851, les états de services d'une armée qui, Dieu soit loué, n'a pas d'égale dans le monde1.

Ici, sans doute, une difficulté se présente à l'esprit du lecteur, et elle est trop grave pour ne pas exiger une explication détaillée et complète. Quelle relation peut-il y avoir entre l'expulsion d'un fermier et la destruction de sa demeure, surtout lorsque, comme il a été dit plus haut, c'est la terre toute nue qui a été l'unique objet de la convention entre le propriétaire et le cultivateur, et que celui-ci a apporté l'une après l'autre, et péniblement, les pierres et les poutres, ou branches d'arbres, qui ont servi à former sa cabane? le droit d'éviction ne serait-il donc que la prolongation indéfinie de ce système de confiscation dans lequel semble se résumer toute la politique

« Various returns which have been called for, by Parliament and by the authority of this commission, show a formidable number of ejectments served. » (Digest of evidence, p. 4134.)

Voici les statistiques empruntées aux recensements officiels :

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anglaise en Irlande? comment la législature britannique a-t-elle pu laisser subsister un abus aussi visiblement injuste et consentir à sanctionner de l'autorité d'un gouvernement civilisé, ce qui n'est à proprement parler qu'un brigandage légal et absolument destructeur du droit de propriété ?

Cette question est aussi vaste qu'importante.

C'est elle qui jette la lumière la plus vive sur la situation unique faite aux classes agricoles en Irlande.

Un bill adopté à la fin de la session de 1860 a légèrement modifié la législation usuelle sur ce point capital. Disons d'abord ce qu'elle était et les conséquences qu'elle a entraînées antérieurement à ce bill. Nous examinerons ensuite les dispositions du bill de 1860, et apprécierons les résultats qui en sont déjà sortis.

CHAPITRE VII

LA CONFISCATION LÉGALE.

Rappelons-nous que le plus souvent le propriétaire n'aide en rien le tenancier pour les premières dépenses de l'exploitation. Voici un acre de terre, jusqu'alors demeuré sans culture; c'est souvent un morceau détaché des landes de la montagne, ou découpé dans la fange d'un marais à tourbe. Le paysan commence par se bâtir une cabane; puis il plante des haies, creuse des fossés, pratique des canaux d'irrigation; ce n'est déjà plus cette lande sauvage et improductive où, le premier peut-être, depuis de longues années, il avait mis le fer de son hoyau et le soc de sa charrue. Si durant ce temps, le taux de la rente n'a pas été élevé; ou, s'il l'a été, mais avec mesure et proportionnellement au profit du fermier, celui-ci prend confiance dans l'avenir, il oublie qu'aucun bail ne lui garantit la sécurité de sa tenure, ou il compte que le propriétaire lui saura gré des améliorations faites sur ses terres. Vienne une année meilleure, et où, grâce à une récolte plus abondante, grâce aussi à une plus sévère économie et à de nouvelles privations, le fermier, après

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