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Oui toutes ces provinces s'aiment et « se sentent soli<< daires les unes des autres. Le Gascon s'inquiète de la « Flandre; le Bourguignon jouit ou souffre de ce qui se fait aux Pyrénées; le Breton, assis aux rivages de <«<l'Océan, sent les coups qui se donnent sur le Rhin'. »

Aussi, vous feriez injure à une de ces provinces, si vous estimiez nécessaire de lui prouver qu'elle reçoit de l'application des ressources publiques, précisément la proportion à laquelle elle a droit en vertu de ce qu'elle donne. Car elle sait et elle sent que dans tout ce qui est fait pour ses sœurs, en puissance ou en gloire, elle a aussi sa part; l'amour de la famille domine ici toute question d'intérêt privé.

Il en est tout autrement entre l'Angleterre et l'Irlande; ni la première ne consentirait à supporter toute seule le poids d'une dépense qui ne profiterait qu'à l'Irlande, ni celle-ci n'accepte, comme une compensation aux charges qu'on lui impose, le progrès de force et de grandeur qui résulte pour l'empire britannique des travaux faits à Portsmouth et à Liverpool, ou des comptoirs nouveaux établis aux Indes ou en Chine. De part et d'autre, l'esprit d'exclusive nationalité éclate en dépit des traités et des conventions, et cet esprit ne sépare pas seulement les deux peuples, il sépare encore profondément les individus : un Anglais serait humilié d'être pris pour un Irlandais, pour un de cette nation qu'il est habitué à voir traitée dans les

sive gloriatur unum membrum, congaudent omnia membra. » (1 Cor., XII, 25, 26.)

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Michelet, Histoire de France, 11, p. 128.

journaux de Londres, de nation de mendiants et de bigots; et aussi ce serait faire à un Irlandais une mortelle injure que de lui donner le nom d'Anglais; vous le verriez aussitôt se redresser fièrement et joindre au vieux cri d'« Erin go Bragh!» une imprécation contre le rapace et odieux Sassanach '.

Que cet esprit de mutuelle antipathie, que cette persistance des haines nationales soit regrettable, et qu'on doive désirer comme un progrès de les voir un jour se fondre dans la charité évangélique : il est permis de faire des vœux pour cet avenir, et on peut dire que les Anglais peuvent tout pour ce rapprochement cordial. Mais en ce moment, et quoique l'union législative compte soixante ans de date, et l'union financière qui en a été la conséquence, plus de quarante-cinq, le sentiment réciproque qui résulte de cette union, au témoignage même des journaux anglais, est celui d'une vive irritation2.

Non-seulement la presse protestante, officielle ou semiofficielle ne fait rien pour apaiser cette irritation, mais elle ne laisse pas échapper une seule occasion de la rendre plus vive et plus cuisante; aujourd'hui ce sont les volontaires irlandais de Pérouse et de Castelfidardo qui seront traités de lâches mercenaires et de condottieri sans cœurs; demain ce seront les discours ou les actes d'un des prélats les plus vénérés de la hiérarchie catholi

Saxon, c'est le nom que les Irlandais donnent souvent aux Anglais. Le mot gall dont se sert le Times, signific à la fois démangeaison cuisante, douleur vive d'irritation, écorchure.

3 Voir aux pièces justificatives, no 2, un article du Times du mois d'octobre 4860.

que de l'Irlande, qui serviront de pâture aux déclamations furibondes du journalisme tory et orangiste '; tous les jours ce sont de nouvelles provocations, de nouvelles ironies, de nouvelles insultes, et comme, de son côté, la presse nationale en Irlande jouit d'une liberté d'allures et de langage dont elle sait user avec autant d'habileté que d'énergie, la guerre quotidienne des journaux menace d'entretenir longtemps encore la division profonde des esprits et des cœurs'.

Ce ne serait donc assurément pas trop exiger pour l'Irlande, que de demander un parallélisme exact entre les taxes qu'elle paye et l'application qui lui en est faite. Dans ces conditions, elle supporterait plus patiemment peutêtre qu'on lui vantât ses « priviléges financiers, » et elle se résignerait avec moins de difficulté à jouir de ce que le Times appelle solennellement « les bénédictions de la «< constitution britannique. >>

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* Article de l'Irish Times, du 43 octobre 1860. Pièces justif., no 3.

«Le ton des Anglais à l'égard de l'Irlande est toujours détestable,

« et les Irlandais répondent au dédain par la menace. » ( M. J. de Lasteyric, Revue des Deux-Mondes, 15 décembre 1860.)

« On s'imagine que l'injure perd de sa force lorsqu'elle s'adresse à << une masse anonyme, à un peuple tout entier : il n'en est rien. C'est * là le rôle véritablement odieux de l'Angleterre vis-à-vis de l'Irlande. Elle l'a littéralement abreuvée d'insultes, dont une seule suffirait « pour mettre aux prises deux nations et les faire s'égorger jusqu'au « dernier homme.» (Émile Montégut, Revue des Deux-Mondes, 1er juin 1855.)

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« We exhort the Irish to reflect on all the blessings they enjoy at home.» (Juin 1860.)

CHAPITRE IX

LOIS ET MESURES EXCEPTIONNELLES AUXQUELLES L'IRLANDE
EST SOUMISE.

Il me reste à parler des mesures exceptionnelles qui ont si souvent modifié en Irlande le régime normal de la constitution, et dont plusieurs continuent à être en vigueur. Cet examen achèvera, je l'espère, de convaincre les esprits les plus prévenus, et justifiera la persistance avec laquelle cette contrée, encore si mal assimiléc à l'empire britannique, réclame de radicales transformations.

La liberté des réunions publiques ou meetings est commune à l'Irlande et à l'Angleterre; mais celle-ci jouit en cette matière d'un privilége qu'un acte de la trente-troisième année de George III a interdit à l'Irlande, sous peine d'amende et d'emprisonnement: c'est le droit de nommer des délégués à une convention qui se réunirait sur un point quelconque du pays pour délibérer paisiblement. En Angleterre, dans les moments mêmes de crises populaires, comme en 1848, au milieu de l'agitation chartiste, le gouvernement n'a pas cru pouvoir retirer au

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