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mités que de...(reconnaissant Cléonte.) Il est vrai que vous êtes mon père, je vous dois entière obéissance; et c'est à vous à disposer de moi selon vos volontés.

M. JOUR. Ah! je suis ravi de vous voir si promptement revenue dans votre devoir; et voilà qui me plaît d'avoir une fille obéissante.

SCÈNE III.

MADAME JOURDAIN, CLÉONTE, M. JOURDAIN, LUCILE, DORANTE, COVIELLE.

MAD. JOUR Comment donc ! qu'est-ce que c'est que ceci? On dit que vous voulez donner votre fille en mariage à un Turc.

M. JOUR. Voulez-vous vous taire, impertinente? Vous venez toujours mêler vos extravagances à toutes choses, et il n'y a pas moyen de vous apprendre à être raisonnable. MAD. JOUR. C'est vous qu'il n'y a pas moyen de rendre sage, et vous allez de folie en folie. Quel est votre dessein? et que voulez-vous faire avec cet assemblage?

M. JOUR. Je veux marier notre fille avec le fils du grand Turc.

MAD. JOUR. Avec le fils du grand Ture?

M. JOUR. Oui. (montrant Covielle.) Faites-lui faire vos compliments par le truchement que voilà.

MAD. JOUR. Je n'ai que faire du truchement; et je lui dirai bien moi-même, à son nez, qu'il n'aura point ma fille.

M. JOUR. Voulez-vous vous taire, encore une fois?

DOR. Comment! madame Jourdain, vous vous opposez à un bonheur comme celui-là? Vous refusez son altesse turque pour gendre?

MAD. JOUR. Monsieur, mêlez-vous de vos affaires. DOR. C'est l'amitié que j'ai pour vous qui me fait intéresser dans vos avantages.

MAD. JOUR. Je me passerai bien de votre amitié. DOR. Voilà votre fille qui consent aux volontés de son père.

MAD. JOUR. Ma fille consent à épouser un Turc?
DOR. Sans doute.

MAD. JOUR. Elle peut oublier Cléonte?

DOR. Que ne fait-on pas pour être grande dame? MAD. JOUR. Je l'étranglerais de mes mains, si elle avait fait un coup comme celui-là.

M. JOUR. Voilà bien du caquet. Je vous dis que ce mariage-là se fera.

MAD. JOUR. Je vous dis, moi, qu'il ne se fera point. M. JOUR. Ah! que de bruit!

Luc. Ma mère...

MAD. JOUR. Allez, vous êtes une coquine.

M. JOUR. (à madame Jourdain.) Quoi! vous la querellez de ce qu'elle m'obéit?

MAD. JOUR. Oui. Elle est à moi aussi bien qu'à vous.
Cov. (à madame Jourdain.) Madame...

MAD. JOUR. Que me voulez-vous conter, vous ?
Cov. Un mot.

MAD. JOUR. Je n'ai que faire de votre mot.

Cov. (à M. Jourdain.) Monsieur, si elle veut écouter une parole en particulier, je vous promets de la faire consentir à ce que vous voulez.

MAD. JOUR. Je n'y consentirai point.

Cov. Écoutez-moi, seulement.

MAD. JOUR. Non.

M. JOUR. (à madame Jourdain.) Écoutez-le.
MAD. JOUR. Non, je ne veux pas l'écouter.

M. JOUR. Il vous dira...

MAD. JOUR. Je ne veux point qu'il me dise rien.

M. JOUR. Voilà une grande obstination de femme ! Cela vous ferait-il mal de l'entendre?

Cov. Ne faites que m'écouter, vous ferez après ce qu'il vous plaira.

MAD. JOUR. Hé bien, quoi?

Cov. (bas, à madame Jourdain.) Il y a une heure, madame, que nous vous faisons signe. Ne voyez-vous pas bien que tout ceci n'est fait que pour nous ajuster aux visions de votre mari, que nous l'abusons sous ce déguise.. ment, et que c'est Cléonte lui-même qui est le fils du grand Turc?

MAD. JOUR. (bas, à Covielle.) Ah! ah!

D

Cov. (bas, à madame Jourdain.) Et moi, Covielle, qui suis le truchement ?

MAD. JOUR. (bas, à Covielle.) Ah! comme cela, je me rends.

Cov. (bas, à madame Jourdain.) Ne faites pas semblant de rien.*

MAD. JOUR. (haut.) Oui, voilà qui est fait ; je consens au mariage.

Je

M. JOUR. Ah! voilà tout le monde raisonnable. (à madame Jourdain.) Vous ne vouliez pas l'écouter. savais bien qu'il vous expliquerait ce que c'est que le fils du grand Turc.

MAD. JOUR. Il me l'a expliqué comme il faut ; et j'en suis satisfaite. Envoyons querir un notaire.

M. JOUR. Bon, bon. Qu'on aille querir le notaire. DOR. Tandis qu'il viendra, et qu'il dressera le contrat, voyons notre ballet, et donnons-en le divertissement à son altesse turque.

M. JOUR. C'est fort bien avisé. Allons prendre nos places.

MAD. JOUR. Et Nicole ?

M. JOUR. Je la donne au truchement; et ma femme, à qui la voudra.

Cov. Monsieur, je vous remercie. (à part.) Si l'on en peut voir un plus fou, je l'irai dire à Rome.

* Do not appear to know anything about it.

FIN

DU

BOURGEOIS GENTILHOMME.

ABRÉGÉ

DES

Aventures de Gil-Blas.

LESAGE (né dans la Basse-Bretagne en 1677, mort à Boulognesur-mer en 1747), auteur d'un grand nombre de romans et de pièces de théâtre, est surtout célèbre par les Aventures de Gil-Blas. En peignant la société du 18° siècle, Lesage a peint l'homme de tous les temps. Dans Gil-Blas, c'est le génie de Molière qui semble inspirer Lesage. C'est, avec moins de profondeur et de hardiesse, la même vérité naïve, presque la même gaîté, jointes à une élégance de style, à une légèreté de touche, à une réserve d'expression, que la nature des sujets pouvait rendre difficiles.

CHAPITRE PREMIER.

De la naissance de Gil-Blas, et de son éducation. BLAS de Santillane, mon père, après avoir longtemps porté les armes pour le service de la monarchie espagnole, se retira dans la ville où il avait pris naissance. Il y épousa une petite bourgeoise qui n'était plus dans sa première jeunesse, et je vins au monde onze mois après leur mariage. Ils allèrent ensuite demeurer à Oviédo, où ma mère se fit femme de chambre et mon père écuyer. Comme ils n'avaient pour tout bien que leurs gages, j'aurais couru risque d'être assez mal élevé, si je n'eusse pas eu dans la ville un oncle chanoine. Il se nommait Gil Pérez. Il était frère aîné de ma mère, et mon parrain. Représentez-vous un petit homme haut de trois pieds et demi, avec une tête enfoncée entre les deux épaules: voilà mon oncle. Au reste, c'était un ecclésiastique qui ne songeait qu'à faire bonne chère; et sa prébende, qui n'était pas mauvaise, lui en fournissait les moyens.

Il me prit chez lui dès mon enfance, et se chargea de mon éducation. Il m'acheta un alphabet, et entreprit de m'apprendre lui-même à lire; ce qui ne lui fut pas moins utile qu'à moi; car, en me faisant connaître mes lettres, il se remit à la lecture, qu'il avait toujours fort

négligée; et, à force de s'y appliquer, il parvint à lire couramment son bréviaire, ce qu'il n'avait jamais fait auparavant. Il aurait encore bien voulu m'enseigner la langue latine, mais, hélas! le pauvre Gil Pérez ! il n'en avait de sa vie su les premiers principes.

Il fut donc obligé de me mettre sous la férule d'un maître; il m'envoya chez le docteur Godinez, qui passait pour le plus habile précepteur d'Oviédo. Je profitai si bien des instructions qu'on me donna, qu'au bout de cinq à six années j'entendais un peu les auteurs grecs, et assez bien les poètes latins. Je m'appliquai aussi à la logique, qui m'apprit à raisonner beaucoup. J'aimais tant la dispute, que j'arrêtais les passants, connus ou inconnus, pour leur proposer des arguments.

Je m'acquis par-là dans la ville la réputation de savant. Mon oncle en fut ravi, parce qu'il fit réflexion que je cesserais bientôt de lui être à charge. "Ho çà, GilBlas," me dit-il un jour, "le temps de ton enfance est passé. Tu as déjà dix-sept ans, et te voilà devenu habile garçon. Il faut songer à te pousser. Je suis d'avis de t'envoyer à l'université de Salamanque; avec l'esprit que je te vois, tu ne manqueras pas de trouver un bon poste. Je te donnerai quelques ducats pour faire ton voyage, avec ma mule qui vaut bien dix à douze pistoles; tu la vendras à Salamanque, et tu en emploieras l'argent à t'entretenir jusqu'à ce que tu sois placé."

Il ne pouvait rien me proposer qui me fût plus agréable. Cependant j'eus assez de force sur moi pour cacher ma joie; et lorsqu'il fallut partir, ne paraissant sensible qu'à la douleur de quitter un oncle à qui j'avais tant d'obligation, j'attendris le bon homme, qui me donna plus d'argent qu'il ne m'en aurait donné s'il eût pu lire au fond de mon âme. Avant mon départ, j'allai embrasser mon père et ma mère, qui ne m'épargnèrent pas les Ils m'exhortèrent à prier Dieu pour mon oncle, à vivre en honnête homme, à ne me point engager dans de mauvaises affaires, et sur toute chose à ne pas prendre le bien d'autrui. Après qu'ils m'eurent longtemps harangué, ils me firent présent de leur bénédiction. Aussitôt je montai sur ma mule, et sortis de la ville.

remontrances.

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