Page images
PDF
EPUB

SCÈNE SUIVANTE.

HARPAGON, ANSELME, ÉLISE, MARIANE, VALÈRE,
FROSINE, MAITRE JACQUES, LE COMMISSAIRE,

HARP. (à Anselme.) C'est là votre fils?

ANS. Oui.

HARP. Je vous prends à partie pour me payer dix

mille écus qu'il m'a volés.

ANS. Lui, vous avoir volé!

HARP. Lui-même.

VAL. Qui vous dit cela?

HARP. Maître Jacques.

VAL. (d muître Jacques.) C'est toi qui le dis?
MAI. JACQ. Vous voyez que je ne dis rien.

Harp. Oui, voilà monsieur le commissaire qui a reçu sa déposition.

VAL. Pouvez-vous me croire capable d'une action si lâche ?

HARP. Capable ou non capable, je veux ravoir mon argent. (Harpagon voyant deux chandelles allumées en souffle une.

SCÈNE SUIVANTE.

e.)

HARPAGON, ANSELME, ÉLISE, MARIANE, CLEANTE, VALÈRE, FROSINE, LE COMMISSAIRE, MAITRE Jacques, LA FLÈCHE.

CLÉ. Ne vous tourmentez point, mon père, et n'accusez personne. J'ai découvert des nouvelles de votre affaire; et je viens ici pour vous dire que, si vous voulez me laisser épouser Mariane, votre argent vous sera rendu.

HARP. Où est-il ?

CLÉ. Ne vous en mettez point en peine, il est en lieu dont je réponds, et tout ne dépend que de moi; c'est à vous de me dire à quoi vous vous déterminez; et vous pouvez choisir, ou de me donner Mariane, ou de perdre

votre cassette.

HARP. N'en a-t-on rien ôté ?

CLE. Rien du tout. Voyez si c'est votre dessein de souscrire à ce mariage, et de joindre votre consentement à celui de sa mère, qui lui laisse la liberté de faire un choix.

ANS. Seigneur Harpagon, allons, consentez, ainsi que moi, à ce double hyménée.

HARP. Il faut pour me donner conseil que je voie ma

cassette.

CLÉ. Vous la verrez saine ct entière.

HARP. Je n'ai point d'argent à donner en mariage à mes enfants.

ANS. Hé bien, j'en ai pour eux; que cela ne vous inquiète point.

HARP. Vous obligerez-vous à faire tous les frais de ces deux mariages?

ANS. Oui, je m'y oblige. Etes-vous satisfait?

HARP. Oui, pourvu que pour les noces vous me fassiez faire un habit.

ANS. D'accord. Allons jouir de l'allégresse que cet heureux jour nous présente.

LE COм. Holà, messieurs, holà. Tout doucement, s'il vous plaît. Qui me paiera mes écritures?

HARP. Nous n'avons que faire de vos écritures.

LE COM. Oui; mais je ne prétends pas, moi, les avoir faites pour rien.

HARP. (montrant maître Jacques.) Pour votre paiement, voilà un homme que je vous donne à pendre.

On

MAI. JACQ. Hélas! comment faut-il donc faire? me donne des coups de bâton pour dire vrai, et on me veut pendre pour mentir.

ANS. Seigneur Harpagon, il faut lui pardonner cette imposture.

HARP. Vous paierez donc le commissaire ?

ANS. Soit. Allons vite faire part de notre joie à votre mère.

HARP. Et moi, voir ma chère cassette.

FIN DE L'AVare.

Les lignes suivantes sont extraites du Cours de Littérature de

Laharpe, ouvrage où respire la plus saine critique, et le goût le plus exquis.

L'éloge d'un écrivain est dans ses ouvrages; on pourrait dire que l'éloge de Molière est dans ceux des écrivains qui l'ont précédé et qui l'ont suivi, tant les uns et les autres sont loin de lui. Regnard, Dancourt, Dufrény, font rire, et étincellent d'esprit; le Joueur, et le Légatuire sont d'excellentes comédies; le Glorieux, la Metromanie, et le Méchant, ont des beautés d'un autre ordre ; mais rien de tout cela n'est Molière : il a un trait de physionomie qu'on n'attrape point: on le retrouve jusque dans ses moindres farces, qui ont toujours un fonds de vérité et de morale. Ses comédies bien lues, pourraient suppléer à l'expérience. Il plaît autant à la lecture qu'à la représentation, ce qui n'est arrivé qu'à Racine et à lui; et même de toutes les comédies, celles de Molière sont à peu près les seules que l'on aime à relire.

LES ANIMAUX MALADES DE LA PESTE.

UN mal qui répand la terreur,
Mal que le ciel en sa fureur

Inventa pour punir les crimes de la terre,
La peste, (puisqu'il faut l'appeler par son nom),
Capable d'enrichir en un jour l'Achéron,*
Faisait aux animaux la guerre.

Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés.
On n'en voyait point d'occupés
A chercher le soutien d'une mourante vie;
Nul mets n'excitait leur envie :
Ni loups, ni renards n'épiaient
La douce et l'innocente proie:
Les tourterelles se fuyaient;

Plus d'amour, partant plus de joie.

Le lion tint conseil, et dit: Mes chers amis,
Je crois que le ciel a permis

Pour nos péchés cette infortune :
Que le plus coupable de nous

Se sacrifie aux traits du céleste courroux;
Peut-être il obtiendra la guérison commune.
L'histoire nous apprend qu'en de tels accidents
On fait de pareils dévouements.

* Fleuve des enfers. Ici, poét. pour le séjour des morts.

Ne nous flattons donc point, voyons sans indulgence
L'état de notre conscience.

Pour moi, satisfaisant mes appétits gloutons,
J'ai dévoré force moutons.

Que m'avaient-ils fait ? nulle offense.
Même il m'est arrivé quelquefois de manger
Le berger.

Je me dévouerai donc, s'il le faut : mais je pense
Qu'il est bon que chacun s'accuse ainsi que moi ;
Car on doit souhaiter, selon toute justice,
Que le plus coupable périsse.

Sire, dit le renard, vous êtes trop bon roi ;
Vos scrupules font voir trop de délicatesse.
Eh bien! manger moutons, canaille, sotte espèce,
Est-ce un péché? Non, non: vous leur fîtes, seigneur.
En les croquant, beaucoup d'honneur.

Et quant au berger, l'on peut dire
Qu'il était digne de tous maux,

Etant de ces gens-là qui sur les animaux
Se font un chimérique empire.

Ainsi dit le renard; et flatteurs d'applaudir.
On n'osa trop approfondir

Du tigre, ni de l'ours, ni des autres puissances,
Les moins pardonnables offenses:
Tous les gens querelleurs, jusqu'aux simples mâtins,
Au dire de chacun, étaient de petits saints.
L'âne vint à son tour, et dit : J'ai souvenance
Qu'en un pré de moines passant,

La faim, l'occasion, l'herbe tendre, et, je pense,
Quelque diable aussi me poussant,

Je tondis de ce pré la largeur de ma langue.
Je n'en avais nul droit, puisqu'il faut parler net.
A ces mots, on cria haro* sur le baudet.

Un loup, quelque peu clerc,† prouva par sa harangue
Qu'il fallait dévouer ce maudit animal,

Ce pelé, ce galeux, d'où venait tout leur mal.
Sa peccadille fut jugée un cas pendable.

Manger l'herbe d'autrui! quel crime abominable!

A hue and cry.

† A scholar.

Rien que la mort n'était capable
D'expier son forfait. On le lui fit bien voir.
Selon que vous serez puissant ou misérable,

Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.
LA FONTAINE,

"La plupart des fables de La Fontaine sont des scènes parfaites pour les caractères et le dialogue. Dans cette fable admirable des Animaux malades de la peste, quoi de plus parfait que la con. fession de l'âne? Comme toutes les circonstances sont faites pour atténuer sa faute qu'il semble vouloir aggraver si bonnement! En un pré de moines passant, &c. . . . . la largeur de ma langue.

Et ce cri qui s'élève :

Manger l'herbe d'autrui !

L'herbe d'autrui! comment tenir à ces traits-là? On en citerait mille de cette force. Mais il faut s'en rapporter au goût et à la mémoire de ceux qui aiment La Fontaine; et qui ue l'aime pas ?" -LAHARPE.

CHARLES XII A BENDER.*

(1713.-Charles XII cerné à Bender par les Turcs, se défend héroïquement avec soixante Suédois dans une maison où il s'était barricadé avec eux.)

LES Suédois, étant enfin maîtres de la maison, refermèrent et barricadèrent encore les fenêtres. Ils ne manquaient point d'armes: une chambre basse, pleine de mousquets et de poudre, avait échappé à la recherche tumultueuse des janissaires; on s'en servit à propos : les Suédois tiraient à travers les fenêtres, presque à bout portant, sur cette multitude de Turcs dont ils tuèrent deux cents, en moins d'un demi-quart d'heure.

Le canon tirait contre la maison; mais les pierres étant fort molles, il ne faisait que des trous et ne renver

sait rien.

Le kan des Tartares et le bacha, qui voulaient prendre le Roi en vie, honteux de perdre du monde et d'occuper

Ville forte de Russie, province de Bessarabie, cédée aux Russes par les Turcs en 1812. Pop. 9,000 habitants.

« PreviousContinue »