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ACTE PREMIER.

SCÈNE PREMIÈRE.

M. JOURDAIN, en robe de chambre; LE MAITRE de muSIQUE, LE MAITRE DE DANSE, L'ELÈVE du Maître de musique, DEUX LAQUAIS.

M. JOUR. Hé bien, messieurs, qu'est-ce? Me ferezvous voir votre petite drôlerie?

LE MAI. DE DANSE. Comment! quelle petite drôlerie? M. JOUR. Hé! là...comment appelez-vous cela? votre prologue ou dialogue de chansons et de danse?

LE MAI. DE DANSE. Ah! ah!

LE MAI. DE MUS. Vous nous y voyez préparés. M. JOUR. Je vous ai fait un peu attendre; mais c'est que je me fais habiller aujourd'hui comme les gens de qualité, et mon tailleur m'a envoyé des bas de soie que j'ai pensé ne mettre jamais.

LE MAI. DE MUS. Nous ne sommes ici que pour attendre votre loisir.

M. JOUR. Je vous prie tous deux de ne vous point en aller qu'on ne m'ait apporté mon habit, afin que vous me puissez voir.

LE MAI. DE DANSE. Tout ce qu'il vous plaira.

M. JOUR. Vous me verrez équipé comme il faut, depuis les pieds jusqu'à la tête.

Le mai. de mus. Nous n'en doutons point.
M. JOUR. Je me suis fait faire cette robe-ci.
LE MAI. DE DANSE. Elle est fort belle.

M. JOUR. Mon tailleur m'a dit que les gens étaient comme cela le matin.

de qualité

LE MAI. DE MUS. Cela vous sied à merveille.
M. JOUR. Laquais! holà, mes deux laquais !
PREMIER LAQUAIS. Que voulez-vous, monsieur ?

M. JOUR. Rien. C'est pour voir si vous m'entendez bien. (au maître de musique et au maître de danse.) Que dites-vous de mes livrées ?

LE MAI. DE DANSE. Elles sont magnifiques.
M. JOUR. Laquais !

PREMIER LAQUAIS. Monsieur.

M. JOUR. L'autre laquais.

SECOND LAQUAIS. Monsieur.

M. JOUR. (ôtant sa robe de chambre.) Tenez ma robe. (au maître de musique et au maître de danse.) Me trouvezvous bien comme cela?

LE MAI. DE DANSE. Fort bien. On ne peut pas mieux. M. JOUR. Voyons un peu votre affaire.

LE MAI. DE MUS. Je voudrais bien auparavant vous faire entendre un air (montrant son élève) qu'il vient de composer pour la sérénade que vous m'avez demandée. C'est un

de mes écoliers qui a pour ces sortes de choses un talent admirable.

M. JOUR. Oui: mais il ne fallait pas faire faire cela par un écolier; et vous n'étiez pas trop bon vous-même pour cette besogne-là.

LE MAI. DE MUS. Monsieur, ces sortes d'écoliers en savent autant que les plus grands maîtres, et l'air est aussi. beau qu'il s'en puisse faire. Écoutez seulement. (I chante.)

M. JOUR. Cette chanson me semble un peu lugubre; elle endort.

LE MAI. DE MUS. Il faut, monsieur, que l'air soit accommodé aux paroles.

M. JOUR. On m'en apprit un tout-à-fait joli il y a quelque temps. Attendez...là... Comment est-ce qu'il dit? LE MAI. DE DANSE. Je ne sais.

M. JOUR. Il y a du mouton dedans.
LE MAI. DE DANSE. Du mouton ?
M. JOUR. Oui. Ah! (Il chante.)

Je croyais Jeanneton
Aussi douce que belle;
Je croyais Jeanneton
Plus douce qu'un mouton.
Hélas! hélas ! elle est cent fois,
Mille fois plus cruelle

N'est-il pas joli ?

Que n'est le tigre aux bois.

LE MAI. DE MUS. Le plus joli du monde.

LE MAI. DE DANSE. Et vous le chantez bien.

M. JOUR. C'est sans avoir appris la musique.

LE MAI. DE MUS. Vous devriez l'apprendre, monsieur

comme vous faites la danse; ce sont deux arts qui ont une étroite liaison ensemble.

LE MAI DE DANSE. Et qui ouvrent l'esprit d'un homme aux belles choses.

M. JOUR. Est-ce que les gens de qualité apprennent aussi la musique ?

LE MAI DE MUS. Oui, monsieur.

M. JOUR. Je l'apprendrai donc. Mais je ne sais quel temps je pourrai prendre; car, outre le maître d'armes qui me montre, j'ai arrêté encore un maître de philosophie qui doit commencer ce matin.

LE MAI. DE MUs. La philosophie est quelque chose; mais la musique, monsieur, la musique...

LE MAI. DE DANSE. La musique et la danse... La musique et la danse, c'est là tout ce qu'il faut.

LE MAI. DE MUS. Il n'y a rien qui soit si utile dans un état que la musique.

LE MAI. DE DANSE. Il n'y a rien qui soit si nécessaire aux hommes que la danse.

LE MAI. DE MUS. Sans la musique un état ne peut subsister.

LE MAI. DE DANSE. Sans la danse un homme ne saurait rien faire.

LE MAI. DE MUS. Tous les désordres, toutes les guerres qu'on voit dans le monde, n'arrivent que pour n'apprendre pas la musique.

LE MAI. DE DANSE. Tous les malheurs des hommes, tous les revers funestes dont les histoires sont remplies, les bévues des politiques, les fautes des grands capitaines, tout cela n'est venu que pour ne savoir pas danser. M. JOUR. Comment cela?

LE MAI. DE MUS. La guerre ne vient-elle pas d'un manque d'union entre les hommes ?

M. JOUR. Cela est vrai.

LE MAI. DE MUS. Et si tous les hommes apprenaient la musique, ne serait-ce pas le moyen de s'accorder ensemble, et de voir dans le monde la paix universelle? M. JOUR. Vous avez raison.

LE MAI. DE DANSE. Lorsqu'un homme a commis une faute dans sa conduite, soit aux affaires de sa famille, ou

au gouvernement d'un état, ou au commandement d'une armée, ne dit-on pas toujours, Un tel a fait un mauvais pas dans une telle affaire ?

M. JOUR. Oui, on dit cela.

LE MAI. DE DANSE. Et faire un mauvais pas, peut-il procéder d'autre chose que de ne savoir pas danser? M. JOUR. Cela est vrai, et vous avez raison tous deux. LE MAI. DE DANSE. C'est pour vous faire voir l'excellence et l'utilité de la danse et de la musique.

M. JOUR. Je comprends cela à cette heure.

ACTE SECOND.

SCÈNE PREMIÈRE.

M. JOURDAIN, LE MAÎTRE DE MUSIQUE, LE MAÎTRE DE DANSE, UN LAQUAIS.

LE LAQ. Monsieur, voilà votre maître d'armes qui est là.

M. JOUR. Dites-lui qu'il entre ici pour me donner leçon.

SCÈNE II.

Les mêmes; UN MAITRE D'ARMES.

LE MAI D'AR. (après avoir pris deux fleurets de la main du laquais, et en avoir présenté un à M. Jourdain.) Allons, monsieur, la révérence. Votre corps droit. Vos pieds sur une même ligne. Avancez. Une, deux. Un saut en arrière. En garde, monsieur, en garde. (Le maître d'armes lui pousse deux ou trois bottes, en lui disant, En garde.)

M. JOUR. Hé!

LE MAI. DE MUS. Vous faites des merveilles.

:

LE MAI D'AR. Je vous l'ai déjà dit; tout le secret des armes ne consiste qu'en deux choses; à donner, et à ne point recevoir et, comme je vous fis voir l'autre jour par raison démonstrative, il est impossible que vous receviez, si vous savez détourner l'épée de votre ennemi de la ligne de votre corps; ce qui ne dépend seulement que d'un petit mouvement du poignet, ou en dedans, ou en dehors.

M. JOUR. De cette façon donc un homme, sans avoir du cœur, est sûr de tuer son homme, et de n'être point tué? LE MAI, D'AR. Sans doute. N'en vites-vous pas la démonstration?

M. JOUR. Oui.

LE MAI. D'AR. Et c'est en quoi l'on voit de quelle considération nous autres nous devons être dans un état, et combien la science des armes l'emporte hautement sur toutes les autres sciences inutiles, comme la danse, la musique, la...

LE MAI. DE DANSE. Tout beau! monsieur le tireur d'armes, ne parlez de la danse qu'avec respect.

LE MAI. DE MUS. Apprenez, je vous prie, à mieux traiter l'excellence de la musique.

LE MAI. D'AR. Vous êtes de plaisantes gens de vouloir comparer vos sciences à la mienne !

LE MAI. DE MUS. Voyez un peu l'homme d'importance! LE MAI. DE DANSE. Voilà un plaisant animal!

LE MAI. D'AR. Mon petit maître à danser, je vous ferai danser comme il faut. Et vous, mon petit musicien, je vous ferai chanter de la belle manière.

LE MAI. DE DANSE. Monsieur le batteur de fer, je vous apprendrai votre métier.

M. JOUR. (au maître de danse.) Etes-vous fou de l'aller quereller, lui qui sait tuer un homme par raison démonstrative.

LE MAI. DE DANSE. Je me moque de sa raison démonstrative.

LE MAI. D'AR. (au maître de danse.) Comment, petit impertinent !

M. JOUR. Hé! mon maître d'armes !

LE MAI. DE MUS. Laissez-nous un peu lui apprendre à parler.

M. JOUR. (au maître de musique.) De grâce! arrêtez

vous.

Le mot autre perd sa signification étant joint à nous ou à vous: nous autres, vous autres, ce sont des gallicismes. We, the like of us; you, the like of you.

L'emporter, to carry it (the prize), that is to say: to surpass, to be superior.

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