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SCENE SUIVANTE.

SUJET.

Scapin s'est aussi engagé à tirer cinq cents écus de
Géronte, père de Léandre.

SCAPIN, GERONTE.

SCAP. (faisant semblant de ne pas voir Géronte.) O ciel! O disgrâce imprévue! O misérable père! Pauvre Géronte, que feras-tu ?

GER. (à part.) Que dit-il là de moi, avec ce visage affligé ?

SCAP. N'y a-t-il personne qui puisse me dire où est le seigneur Géronte?

GER. Qu'y a-t-il, Scapin?

SCAP. Où pourrai-je le rencontrer pour lui dire cette infortune?

GER. Qu'est-ce que c'est donc ?

SCAP. En vain je cours de tous côtés pour le pouvoir

trouver.

GER. Me voici.

SCAP. Il faut qu'il soit caché dans quelque endroit qu'on ne puisse point deviner.

GÉR. Holà. Es-tu aveugle, que tu ne me vois pas ? SCAP. Ah! monsieur, il n'y a pas moyen de vous ren

contrer.

GER. Il y a une heure que je suis devant toi. Qu'estce que c'est donc qu'il y a?

SCAP. Monsieur...

GÉR. Quoi?

SCAP. Monsieur votre fils...

GER. Hé bien ? mon fils...

SCAP. Est tombé dans une disgrâce la plus étrange du monde.

GER. Et quelle ?

SCAP. Je l'ai trouvé tantôt tout triste de je ne sais quoi que vous lui avez dit, où vous m'avez mêlé assez mal à propos; et cherchant à divertir cette tristesse, nous sommes allés nous promener sur le port. Là, en

tr'autres plusieurs choses, nous avons arrêté nos yeux sur une galère turque assez bien équipée. Un jeune Turc de bonne mine nous a invités à aller à bord, et nous a présenté la main. Nous y avons passé. Il nous a fait mille civilités, nous a donné la collation, où nous avons mangé des fruits excellents, et bu du vin le meilleur qui se puisse boire.

GER. Qu'y a-t-il de si affligeant à tout cela? SCAP. Attendez, monsieur, nous y voici. Pendant que nous mangions, il a fait mettre la galère en mer; et se voyant éloigné du port, il m'a fait mettre dans un esquif, et m'envoie vous dire que, si vous ne lui envoyez par moi tout à l'heure cinq cents écus, il va vous emmener votre fils à Alger.

GÉR. Comment! cinq cents écus!

SCAP. Oui, monsieur; et de plus, il ne m'a donné pour cela que deux heures.

GÉR. Ah! le pendard de Turc! m'assassiner de la façon !

SCAP. C'est à vous, monsieur, d'aviser promptement aux moyens de sauver des fers un fils que vous aimez avec tant de tendresse.

GER. Mais qu'allait-il faire dans cette galère ?

SCAP. Il ne songeait pas à ce qui est arrivé.

GER. Va-t'en Scapin, va-t'en vite dire à ce Ture que je vais envoyer la justice après lui.

SCAP. La justice en pleine mer! vous moquez-vous des gens?

?

GER. Mais qu'allait-il faire dans cette galère ?

SCAP. Une méchante destinée conduit quelquefois les personnes.

GER. Il faut, Scapin, il faut que tu fasses ici l'action d'un serviteur fidèle.

SCAP. Quoi, monsieur ?

GER. Que tu ailles dire à ce Turc qu'il me renvoie mon fils, et que tu te mettes à sa place, jusqu'à ce que j'aie amassé la somme qu'il demande.

SCAP. Hé! monsieur, songez-vous à ce que vous dites? et vous figurez-vous que ce Turc ait si peu de

sens que d'aller recevoir un misérable comme moi à la place de votre fils?

GER. Mais qu'allait-il faire dans cette galère?

SCAP. Il ne devinait pas ce malheur. Songez, monsieur, qu'il ne m'a donné que deux heures. GER. Tu dis qu'il demande......

SCAP. Cinq cents écus.

GER. Cinq cents écus! n'a-t-il point de conscience? SCAP. Vraiment oui, de la conscience, un Turc! GER. Sait-il bien ce que c'est que cinq cents écus? SCAP. Oui, monsieur, il sait que c'est mille cinq cents livres.

GER. Croit-il, le traître, que mille cinq cents livres se trouvent dans le pas d'un cheval ?*

SCAP. Ce sont des gens qui n'entendent point de rai

sons.

GER. Mais qu'allait-il faire dans cette galère? SCAP. Il est vrai; mais quoi! on ne prévoyait choses. De grâce, monsieur, dépêchez.

GER. Tiens, voilà la clef de mon armoire.
SCAP. Bon.

GER. Tu l'ouvriras.

SCAP. Fort bien.

pas les

GÉR. Tu trouveras une grosse clef du côté gauche, qui est celle de mon grenier.

SCAP. Oui.

GER. Tu iras prendre toutes les hardes qui sont dans cette grande manne, et tu les vendras aux fripiers, pour aller racheter mon fils.

SCAP. (en lui rendant la clef.) Hé monsieur, rêvezvous ? Je n'aurais pas cent francs de tout ce que vous dites; et, de plus, vous savez le peu de temps qu'on m'a donné.

GER. Mais qu'allait-il faire dans cette galère ?

SCAP. Oh! que de paroles perdues! Laissez là cette galère, et songez que le temps presse, et que vous courez risque de perdre votre fils. Hélas! mon pauvre maître, peut-être que je ne te verrai de ma vie, et qu'à l'heure

*Se trouvent dans le pas d'un cheval, are so readily to be found

P

que je parle on t'emmène esclave à Alger! Mais le ciel me sera témoin que j'ai fait pour toi tout ce que j'ai pu, et que, si tu manques à être racheté, il n'en faut accuser que le peu d'amitié d'un père.

GÉR. Attends, Scapin, je m'en vais querir cette somme. SCAP. Dépêchez donc vite, monsieur; je tremble que l'heure ne sonne.

GER. N'est-ce pas quatre cents écus que tu dis?
SCAP. Non, cinq cents écus.

GER. Cinq cents écus?

SCAP. Oui.

GÉR. Qu'allait-il faire dans cette galère ?
SCAP. Vous avez raison: mais hâtez-vous.
GER. N'y avait-il point d'autre promenade ?
SCAP. Cela est vrai: mais faites promptement.
GÉR. Ah! maudite galère !

SCAP. (à part.) Cette galère lui tient au cœur.

GER. Tiens, Scapin, je ne me souvenais pas que je viens justement de recevoir cette somme en or; et je ne croyais pas qu'elle dût m'être sitôt ravie. (tirant sa bourse de sa poche, et la présentant à Scapin.) Tiens, va-t'en racheter mon fils.

SCAP. (tendant la main.) Oui, monsieur.

GER. (retenant sa bourse, qu'il fait semblant de vouloir donner à Scapin.) Mais dis à ce Turc que c'est un scélérat.

SCAP. (tendant encore la main.) Oui.

GER. (recommençant la même action.) Un infâme.
SCAP. (tendant toujours la main.) Oui.

GÉR. Un homme sans foi, un voleur.

SCAP. Laissez-moi faire.

GER. Qu'il me tire cinq cents écus contre toute sorte de droit.

SCAP. Oui.

GER. Et que, si jamais je l'attrape, je saurai me venger de lui.

SCAP. Oui.

GER. (remettant sa bourse dans sa poche, et s'en allant.) Va, va vite, requérir mon fils.

SCAP. (courant après Géronte.) Holà, monsieur.

GÉR. Quoi ?

SCAP. Où est donc cet argent ?

GER. Ne te l'ai-je pas donné ?

SCAP. Non vraiment; vous l'avez remis dans votre poche.

GER. Ah! c'est la douleur qui me trouble l'esprit. SCAP. Je le vois bien.

GER. Qu'allait-il faire dans cette galère? Ah maudite galère traître de Ture!

SCAP. (seul.) Il ne peut digérer les cinq cents écus que je lui arrache.

MOLIÈRE.

LE MEUNIER, SON FILS, ET L'ANE.

Contenter tout le monde !
Écoutez ce récit...

J'ai lu dans quelque endroit, qu'un meunier et son fils,
L'un vieillard, l'autre enfant, non pas des plus petits,
Mais garçon de quinze ans, si j'ai bonne mémoire,
Allaient vendre leur âne, un certain jour de foire.
Afin qu'il fût plus frais et de meilleur débit,
On lui lia les pieds, on vous le suspendit :

Puis cet homme et son fils le portent comme un lustre.
Pauvres gens! idiots! couple ignorant et rustre!
Le premier qui les vit, de rire s'éclata;

*

Quelle farce, dit-il, vont jouer ces gens-là?
Le plus âne des trois n'est pas celui qu'on pense.
Le meunier, à ces mots, connaît son ignorance :
Il met sur pieds sa bête, et la fait détaler.
L'âne, qui goûtait fort l'autre façon d'aller,
Se plaint en son patois. Le meunier n'en a cure;
Il fait monter son fils, il suit: et, d'aventure,
Passent trois bons marchands. Cet objet leur déplut.
Le plus vieux, au garçon s'écria tant qu'il put:
Oh! là! oh! descendez, que l'on ne vous le dise,
Jeune homme, qui menez laquais à barbe grise!

Cest-à-dire, ne s'en met point en peine.

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