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M. G. Oh, oh, monsieur!

M. P. Des manières nobles et franches qui gagnent le cœur de tout le monde.

M. G. Oh! point, monsieur !

M. P. Parbleu! la couleur de ce drap fait plaisir à la vue.

M. G. Je le crois, c'est couleur de marron.

M. P. De marron? Que cela est beau! Gage, M. Guillaume, que vous avez imaginé cette couleur-là? M. G. Oui, oui, avec mon teinturier.

M. P. Je l'ai toujours dit, il y a plus d'esprit dans cette tête-là que dans toutes celles du village.

M. G. Ah! ah! ah!

M. P. (tâtant le drap.) Cette laine me paraît assez bien conditionnée.

M. G. C'est pure laine d'Angleterre.

M. P. Je l'ai cru...A propos d'Angleterre, il me semble, M. Guillaume, que nous avons autrefois été à l'école ensemble ?

M. G. Chez monsieur Nicodème ?

M. P. Justement. Vous étiez beau comme l'Amour.
M. G. Je l'ai ouï dire à ma mère.

M. P. Et vous appreniez tout ce qu'on voulait.
M. G. A dix-huit ans, je savais lire et écrire.

M. P. Quel dommage que vous ne vous soyez pas appliqué aux grandes choses!

Savez-vous bien, M. Guillaume, que vous auriez gouverné un État ?

M. G. Comme un autre.

M. P. Tenez, j'avais justement dans l'esprit une couleur de drap comme celle-là. Il me souvient que ma femme veut que je me fasse faire un habit. Je songe que demain matin à cinq heures, en apportant vos trois cents écus, je prendrai peut-être de ce drap.

M. G. Je vous le garderai.

M. P. (à part.) Le garderai......ce n'est pas là mon compte. (à M. G.) Pour racheter une rente, j'avais mis à part ce matin douze cents livres, où je ne voulais pas toucher; mais je vois bien, M. Guillaume, que vous en aurez une partie.

M. G. Ne laissez pas de racheter votre rente; vous aurez toujours de mon drap.

M. P. Je le sais bien; mais je n'aime point à prendre à crédit......Que je prends de plaisir à vous voir frais et gaillard! Quel air de santé et de longue vie!

M. G. Je me porte bien.

M. P. Combien croyez-vous qu'il me faudra de ce drap, afin qu'avec vos trois cents écus, j'apporte aussi de quoi le payer?

M. G. Il vous en faudra..............Vous voulez sans doute l'habit complet?*

M. P. Oui, très complet, justaucorps, culotte, et veste, doublés de même, et le tout bien long et bien large.

M. G. Pour tout cela, il vous en faudra......oui...... six aunes. Voulez-vous que je les coupe en attendant?

M. P. En attendant......non, monsieur, non, l'argent à la main, s'il vous plaît, l'argent à la main : c'est ma méthode.

M. G. Elle est fort bonne. (à part.) Voici un homme très exact.

M. P. Vous souvient-il, M. Guillaume, d'un jour que nous soupâmes ensemble à l'écu de France?

M. G. Le jour qu'on fit la fête du village?

M. P. Justement. Nous raisonnâmes à la fin du repas sur les affaires du temps, et je vous ouïs dire de belles choses.

M. G. Vous vous en souvenez ?

M. P. Si je m'en souviens! Vous prédîtes dès-lors tout ce que nous avons vu depuis dans Nostradamus. M. G. Je vois les choses de loin.

M. P. Combien, M. Guillaume, me ferez-vous payer l'aune de ce drap?

M. G. (regardant la marque.) Voyons....un autre en paierait, ma foi! six écus; mais allons......je vous le laisserai à cinq écus.

M. P. (à part.) Le Juif!-(à M. G.) Cela est trop honnête! six fois cinq écus, ce sera justement......

M. G. Trente écus.

Un habit complet, a complete suit of clothes.

M. P. Oui, trente écus; le compte est bon......Parbleu pour renouveler connaissance, il faut que nous mangions, demain à dîner, une oie dont un plaideur m'a fait présent.

M. G. Une oie! je les aime fort.

M. P. Tant mieux. Touchez là; à demain à dîner ; ma femme les apprête à miracle-Par ma foi! il me tarde qu'elle me voie sur le corps un habit de ce drap. Croyez-vous qu'en le prenant demain matin, il soit fait à dîner?

M. G. Si vous ne donnez du temps au tailleur, il vous le gâtera.

M. P. Ce serait grand dommage.

M. G. Faites mieux. Vous avez, dites-vous, l'argent tout prêt ?

M. P. Sans cela, je n'y songerais pas.

M. G. Je vais le faire porter chez vous par un de mes garçons. Il me souvient qu'il y en a là de coupé justement ce qu'il vous en faut.

M. P. (prenant le drap.) Cela est heureux!

M. G. Attendez. Il faut auparavant que je l'aune en votre présence.

M. P. Bon! est-ce que je ne me fie pas à vous?

M. G. Donnez, donnez; je vais vous le faire porter, et vous m'enverrez par le retour......

M. P. Le retour......non, non; ne détournez pas vos gens; je n'ai que deux pas à faire d'ici chez moi...... Comme vous dites, le tailleur aura plus de temps.

M. G. Laissez-moi vous donner un garçon qui me rapportera l'argent.

M. P. Eh, point, point. Je ne suis pas glorieux; il est presque nuit; et sous ma robe on prendra ceci pour un sac de procès.

M. G. Mais, monsieur, je vais toujours vous donner

un garçon pour......

M. P. Eh, point de façon, vous dis-je......à cinq heures précises, trois cent trente écus, et l'oie à diner. Oh ça, il se fait tard: adieu, mon cher voisin, serviteur.

M. G. Serviteur, monsieur, serviteur. (M. Patelin sort.) Observations.-L'AVOCAT PATELIN est une ancienne comédie ra

jeunie par Brueys en 1706. Ce nom de Patelin a passé dans la langue française, pour signifier un homme souple et artificieux, qui par des manières flatteuses et insinuantes fait venir les autres à ses fins.

DON JUAN ET SON CRÉANCIER.

DON JUAN; SGANARELLE, LA VIOLETTE, RAGOTIN,
valets de don Juan.

LA VIO. Monsieur, voilà votre marchand, monsieur Dimanche, qui demande à vous parler.

SGAN. Bon! voilà ce qu'il nous faut, un compliment de créancier! De quoi s'avise-t-il de nous venir demander de l'argent? et que ne lui disais-tu que monsieur n'y est pas ?*

LA VIO. Il y a trois quarts d'heure que je le lui dis ; mais il ne veut pas le croire, et s'est assis là-dedans pour attendre.

SGAN. Qu'il attende tant qu'il voudra.

D. JUAN. Non; au contraire, faites-le entrer. C'est une fort mauvaise politique que de se faire céler aux créanciers. Il est bon de les payer de quelque chose; et j'ai le secret de les renvoyer satisfaits, sans leur donner

un sou.

SCÈNE SUIVANTE.

DON JUAN, M. DIMANCHE, SGANARELLE, LA VIOLETTE,

RAGOTIN.

D. JUAN. Ah, monsieur Dimanche, approchez; que je suis ravi de vous voir, et que je veux de mal à mes gens, de ne vous pas faire entrer d'abord! J'avais donné ordre qu'on ne me fît parler à personne; mais cet ordre n'est pas pour vous, et vous êtes en droit de ne trouver jamais de porte fermée chez moi.

M. DIM. Monsieur, je vous suis fort obligé.

On dit, Monsieur n'y est pas, pour dire, Monsieur n'est pas chez lui, ou n'est pas à la maison.

D. JUAN. (parlant à ses laquais.) Parbleu, coquins, je vous apprendrai à laisser M. Dimanche dans une antichambre, et je vous ferai connaître les gens.

M. DIм. Monsieur, cela n'est rien.

D. JUAN. Comment ? vous dire que je n'y suis pas, à M. Dimanche, au meilleur de mes amis?

M. DIм. Monsieur, je suis votre serviteur.

venu...

J'étais

D. JUAN. Allons vite! un siége pour M. Dimanche. M. DIM. Monsieur, je suis bien comme cela.

D. JUAN. Point, point: je veux que vous soyez assis

comme moi.

M. DIм. Cela n'est point nécessaire.

D. JUAN. Apportez un fauteuil.

M. DIM. Monsieur, vous vous moquez, et...

D. JUAN. Non, non: je sais ce que je vous dois, et je ne veux point qu'on mette de différence entre nous deux.

M. DIм. Monsieur!...

D. JUAN. Allons, asseyez-vous.

M. DIм. Il n'est pas besoin, monsieur, et je n'ai qu'un mot à vous dire. J'étais...

D. JUAN. Mettez-vous là, vous dis-je.

M. DIм. Non, monsieur, je suis bien; je viens pour... D. JUAN. Non, je ne vous écoute point, si vous n'êtes point assis.

M. DIM. Monsieur, je fais ce que vous voulez. Je... D. JUAN. Parbleu, monsieur Dimanche, vous vous portez bien.

M. DIм. Oui, monsieur, pour vous rendre service. Je suis venu...

D. JUAN. Vous avez un fonds de santé admirable, des lèvres fraîches, un teint vermeil, et des yeux vifs.

M. DIм. Je voudrais bien...

D. JUAN. Comment se porte madame Dimanche, votre épouse?

M. DIм. Fort bien, monsieur, Dieu merci.

D. JUAN. C'est une brave femme.

M. DIм. Elle est votre servante, monsieur. Je venais...

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