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PRÉCIS DU RESTE DE LA PIÈCE.

Léandre, à qui Lucinde est attachée, venant à faire un grand héritage, Géronte consent à lui donner sa fille en mariage, et celle-ci recouvre l'usage de la parole. Sganarelle, bien payé de ses ordonnances, prend goût au métier. Il raisonne ainsi sur sa nouvelle profession :-" Ma foi, cela ne va pas mal. On vient me chercher de tous côtés; et, si les choses vont toujours de même, je suis d'avis de m'en tenir toute ma vie à la médecine. Je trouve que c'est le meilleur métier de tous; car, soit qu'on fasse bien, ou soit qu'on fasse mal, on est toujours payé de même sorte. La méchante besogne ne retombe jamais sur notre dos; et nous taillons comme il nous plaît sur l'étoffe où nous travaillons. Un cordonnier en faisant des souliers ne saurait gâter un morceau de cuir qu'il n'en paie les pots cassés ;* mais ici l'on peut gâter un homme sans qu'il en coûte rien. Les bévues ne sont point pour nous, et c'est toujours la faute de celui qui meurt. Enfin, le bon de cette profession est qu'il y a, parmi les morts, une honnêteté, une discrétion la plus grande du monde, et jamais on n'en voit se plaindre du médecin qui les a tués."

LA LAITIÈRE ET LE POT AU LAIT.

PERRETTE, sur sa tête ayant un pot au lait,
Bien posé sur un coussinet,
Prétendait arriver sans encombre à la ville.
Légère et court vêtue, elle allait à grands pas,
Ayant mis ce jour-là, pour être plus agile,
Cotillon simple et souliers plats.
Notre laitière ainsi troussée
Comptait déjà dans sa pensée

* Payer les pots cases, to pay the piper.

Tout le prix de son lait; en employait l'argent;
Achetait un cent d'œufs; faisait triple couvée :
La chose allait à bien par son soin diligent.
Il m'est, disait-elle, facile

D'élever des poulets autour de ma maison;
Le renard sera bien habile

S'il ne m'en laisse assez pour avoir un cochon.
Le porc à s'engraisser coûtera peu de son;
Il était, quand je l'eus, de grosseur raisonnable:
J'aurai, le revendant, de l'argent bel et bon.
Et qui m'empêchera de mettre en notre étable,
Vu le prix dont il est, une vache et son veau,
Que je verrai sauter au milieu du troupeau ?
Perrette là-dessus saute aussi, transportée :
Le lait tombe; adieu, veau, vache, cochon, couvée.
La dame de ces biens, quittant d'un œil marri
Sa fortune ainsi répandue,

Va s'excuser à son mari,

En grand danger d'être battue.
Le récit en farce en fut fait;
On l'appela le Pot au lait.

Quel esprit ne bat la campagne?
Qui ne fait châteaux en Espagne ?

Chacun songe en veillant; il n'est rien de plus doux.

LA FONTAINE,

LES CHÂTEAUX EN ESPAGNE.

VICTOR, valet d'ORLANGE l'homme aux châteaux. On peut bien quelquefois se flatter dans la vie : J'ai, par exemple, hier, mis à la loterie, Et mon billet enfin pourrait bien être bon. Je conviens que cela n'est pas certain: oh non; Mais la chose est possible, et cela doit suffire. Puis, en me le donnant, on s'est mis à sourire, Et l'on m'a dit: "Prenez, car c'est là le meilleur." Si je gagnais pourtant le gros lot, quel bonheur !

J'achèterai d'abord une ample seigneurie....
Non, plutôt une bonne et grasse métairie ;
Oh! oui, dans ce canton; j'aime ce pays-ci;
Et Justine, d'ailleurs, me plaît beaucoup aussi.
J'aurai donc à mon tour des gens à mon service
Dans le commandement je serai peu novice;
Mais je ne serai point dur, insolent, ni fier,
Et me rappellerai ce que j'étais hier.
Ma foi, j'aime déjà ma ferme à la folie.

Moi! gros fermier! j'aurai ma basse-cour remplie
De poules, de poussins que je verrai courir :

De mes mains chaque jour je prétends les nourrir.
C'est un coup d'œil charmant! et puis cela rapporte.
Quel plaisir quand, le soir, assis devant ma porte,
J'entendrai le retour de mes moutons bêlants,
Que je verrai de loin revenir à pas lents,
Mes chevaux vigoureux et mes belles génisses!
Ils sont nos serviteurs, elles sont nos nourrices.
Et mon petit Victor, sur son âne monté,
Fermant la marche avec un air de dignité !
Je serai plus heureux que Monsieur sur un trône.
Je serai riche, riche, et je ferai l'aumône.

Tout bas, sur mon passage, on se dira: "Voilà
Ce bon monsieur Victor." Cela me touchera.
Je puis bien m'abuser; mais ce n'est pas sans cause :
Mon projet est au moins fondé sur quelque chose;
(Il cherche.)
Sur un billet. Je veux revoir ce cher... Hé mais...
Où donc est-il? tantôt encore je l'avais.
Depuis quand ce billet est-il donc invisible?
Ah! l'aurais-je perdu? Serait-il bien possible?
Mon malheur est certain: Me voilà confondu.

(Il crie.)

Que vais-je devenir? Hélas! j'ai tout perdu.
COLLIN-D'HARLEVILLE, les Châteaux en Espagne.

FRAGMENTS.

QUAND un homme arrive au pouvoir, il a toutes les vertus d'une épitaphe; qu'il tombe dans la misère, il a plus de vices que n'en avait l'enfant prodigue.-(De Balzac.)

Accoutume-toi à l'économie, si tu ne veux pas te préparer une vieillesse mal aisée et délaissée de tout le monde; car quoiqu'il ne faille pas trop estimer les richesses, il est bon pourtant de passer pour être à son aise, parce que partout le pauvre est méprisé.-(Fragment du XIIe siècle.)

Vous demandez comment on fait fortune. Voyez ce qui se passe au parterre d'un spectacle, le jour où il y a foule, comme les uns restent en arrière, comme les premiers reculent, comme les derniers sont portés en avant. Cette image est si juste que le mot qui l'exprime a passé dans la langue du peuple. Il appelle faire fortune, se pousser. (Chamfort.)

Il y a une différence si immense entre celui qui a sa fortune toute faite et celui qui la doit faire, que ce ne sont pas deux créatures de la même espèce.-(Voltaire.)

Chaque peuple a son objet de crainte particulier. En Espagne, on craint par-dessus tout, l'enfer; en Italie, la mort; en Angleterre, la servitude et la pauvreté; en France, le ridicule et le déshonneur.-(Comte de Ségur.)

En fait de malheurs, regardez toujours au-dessous de vous; en fait de vertu et de science, regardez toujours au-dessus; ce sera le moyen de vous préserver du désespoir et de l'orgueil.-(Pensée de Saint-Martin.)

Les personnes vraiment de bonne compagnie sont toujours les plus difficiles à blesser le soin de leur réhabilitation ne les oblige pas de se gendarmer à tout propos. -(Marquis de Custine.)

Les peuples du continent ont remarqué qu'on trouve rarement un Anglais deux jours de suite de la même humeur. (Pouqueville.)

Lettres.

Des lettres ne plaisent guère au public que lorsqu'elles n'ont point été écrites pour le public. Travailler une lettre comme une production littéraire, c'est lui enlever d'avance tout ce qui fait le caractère et le charme de ce genre d'écrire, l'abandon, la grâce, et la familiarité. Madame de SÉVIGNÉ (1626-1696) a atteint la perfection du style épistolaire dans ses lettres à sa fille. Madame de MAINTENON (1635-1719), moins vive et moins piquante, se distingue par l'esprit d'observation, le naturel, et la précision. Si les lettres de Mme de Sévigné sont des chefs-d'œuvre de délicatesse et de grâce, celles de Mme de Maintenon sont des modèles de pureté de style et de raison. En lisant sa lettre à la duchesse de Bourgogne, on croit lire Salomon lui-même. Nous donnons quelques lettres de ces deux femmes célèbres. Après Madame de Sévigné, Voltaire est de tous nos écrivains celui qui a le mieux réussi dans le style épistolaire; il y a porté la facilité, l'esprit, et la grâce qu'on trouve dans ses productions de bon ton.

DE MME DE SÉVIGNÉ À SA FILLE, MME DE GRIGNAN.

A Paris, mercredi, 1er avril, 1671.

JE revins hier de Saint-Germain ; j'étais avec madame d'Arpajon. Le nombre de ceux qui me demandèrent de vos nouvelles, est aussi grand que celui de tous ceux qui composent la cour. Je pense qu'il est bon de distinguer la Reine, qui fit un pas vers moi, et me demanda des nouvelles de ma fille sur son aventure du Rhône*; je la remerciai de l'honneur qu'elle vous faisait de se souvenir Elle reprit la parole, et me dit: Contez-moi comme elle a pensé périr. Je me mis à lui conter votre belle hardiesse de vouloir traverser le Rhône par un grand vent, et que ce vent vous avait jetée rapidement sous une arche, à deux doigts du pilier, où vous auriez

de vous.

Mme de Grignan avait été exposée à un grand danger en traversant le Rhône près d'Avignon.

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