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ERNEST. Une place! vous en avez tant!

LE DOCT. Raison de plus! Ce sont des droits, cela prouve qu'on a du mérite, du crédit. J'en ai déjà parlé à Mme de Nangis, une femme charmante, qui a dans le monde une puissance d'opinion... Elle seule aurait fait ma réputation, si elle n'eût été déjà faite. C'est moi qui l'ai tirée dernièrement de cette maladie que vous avez soignée.

ERNEST. Oui, Monsieur, j'ai passé cinq jours et cinq nuits à l'hôtel.

LE DOCT. C'est vrai! je n'y pensais plus. Quoique parfaitement rétablie et en apparence bien portante, elle souffre. Et il y a trois jours que je lui ai promis un mot de consultation, que j'ai oublié net.

ERNEST. Vous avez pu l'oublier !

LE DOCT. Sur le nombre, c'est facile; mais puisque mes chevaux ne sont pas encore mis, j'aurai le temps d'écrire ma consultation...... (Après avoir écrit.) Voilà qui est fini...... Je m'en vais!-Vous n'oublierez pas ce matin de passer* à mon hôpital.

ERNEST. Quoi! vous n'irez pas ?

LE DOCT. Je ne peux pas tout faire. Il faut que j'aille aujourd'hui même toucher mes appointements de médecin en chef.

ERNEST. C'est qu'il y aura peut-être des opérations importantes; et si je ne réussis pas......

LE DOCT. Tant pis pour vous, vous en aurez le blâme. ERNEST. Et si j'ai du succès vous en aurez l'honneur. LE DOCT. Qu'est-ce à dire...... ?

ERNEST. Que j'ai besoin, Monsieur, de vous parler une fois à cœur ouvert. Depuis trois ans, je me suis attaché à vous; je n'ai épargné ni mon temps ni mes peines; mes travaux mêmes vous ont été souvent utiles; et loin de me protéger, de me produire, il semble que vous ayez pris à tâche de me tenir dans l'ombre.

* Passer s'emploie de préférence aux verbes aller et venir, quand il s'agit de parler poliment. On dit, je l'ai fait prier de passer chez moi; mais on dira en parlant de son domestique, je lui ai fait dire de venir chez moi à midi.

LE DOCT. Ce n'est pas ma faute; c'est la vôtre si vous n'avez rien de ce qu'il faut pour parvenir. Vous êtes trop jeune, trop timide; vous vous effrayez d'un rien. Dans la dernière maladie de Mme de Nangis, par exemple, quand j'ai prescrit cette ordonnance salutaire, qui l'a sauvée, je vous ai vu pâlir, hésiter...... Vous ne sauriez jamais de vous-même prendre un parti vigoureux et décisif.

ERNEST. C'est ce qui vous trompe, Monsieur; selon moi, cette ordonnance devait tuer la malade.

LE DOCT. (d'un air railleur.) Vraiment! qui vous l'a dit?

ERNEST. L'événement même; car je n'en ai pas suivi un mot j'ai fait tout le contraire; et la marquise existe

encore.

LE DOCT. (furieux.) Monsieur, un pareil manque d'égards......un tel abus de confiance......

ERNEST. Vous êtes le seul qui en soyez instruit; mais quand je me tais sur ce qui pourrait nuire à votre réputation, ne cachez pas au moins ce qui pourrait servir la mienne. Que la bonté soit chez vous égale au talent; et quand vous êtes arrivé, daignez tendre la main à ceux qui marchent derrière vous!

LE DOCT. Demain, Monsienr, vous êtes libre, nous nous séparerons. (A Guillaume qui entre.) Hé bien, cette voiture.....

GUILLAUME. Elle est prête.

LE DOCT. C'est bien heureux ! Vous porterez cette lettre à l'instant à l'hôtel de Nangis? Vous la remettrez à la marquise elle-même, entendez-vous? (à Ernest.) Adieu, Monsieur. (à part.) Un jeune homme qui me doit tout......que j'ai fait ce qu'il est......quelle ingratitude! (Il sort.)

SCRIBE.-Né à Paris, en 1791.

LE MÉDECIN MALGRÉ LUI.

COMÉDIE DE MOLIÈRE.

PERSONNAGES.

GÉRONTE, père de Lucinde.
LUCINDE, fille de Géronte.
SGANARELLE, mari de Martine.
MARTINE, femme de Sganarelle.
M. ROBERT, Voisin de Sganarelle.
VALÈRE et LUCAS, domestiques de Géronte.

SCÈNE PREMIÈRE.

SGANARELLE, MARTINE,

SGAN. Non, je te dis que je n'en veux rien faire; c'est à moi de parler et d'être le maître.

MART. Et je te dis, moi, que je veux que tu vives à ma fantaisie, et que je ne me suis point mariée avec toi pour souffrir tes fredaines.

SGAN. Oh! la grande fatigue que d'avoir une femme ! et qu'Aristote a bien raison, quand il dit qu'une femme est un être insupportable!

MART. Voyez un peu l'habile homme, avec son benêt d'Aristote !

SGAN. Oui, habile homme. Trouve-moi un faiseur de fagots qui sache comme moi raisonner des choses, qui ait servi six ans un fameux médecin, et qui ait su dans son jeune âge son rudiment par cœur.

MART. Peste du fou!

SGAN. Peste de la femme !

MART. Maudits soient l'heure et le jour où je m'avisai d'aller dire oui !

SGAN. Maudit soit le notaire qui me fit signer ma ruine !

MART. C'est bien à toi vraiment à te plaindre de cette affaire ! Devrais-tu être un seul moment sans rendre grâce au ciel de m'avoir pour ta femme! et méritais-tu d'épouser une personne comme moi?

SGAN. Hé! tu fus bien heureuse de me trouver.

MART. Qu'appelles-tu bien heureuse de te trouver ? Un homme qui me réduit à la misère; un traître, qui mange tout ce que j'ai !......

SGAN. Tu as menti, j'en bois une partie.

MART. Qui vend pièce à pièce tout ce qui est dans le logis!......

SGAN. C'est vivre de ménage.*

MART. Qui m'a ôté jusqu'au lit que j'avais !......
SGAN. Tu t'en lèveras plus matin.

MART. Enfin qui ne laisse aucun meuble dans toute la maison!......

SGAN. On en déménage plus aisément.

MART. Et qui, du matin jusqu'au soir, ne fait que jouer et que boire!

SGAN. C'est pour ne me point ennuyer.

MART. Et que veux-tu pendant ce temps que je fasse avec ma famille ?

SGAN. Tout ce qu'il te plaira.

MART. J'ai quatre pauvres petits enfants sur les bras. SGAN. Mets-les à terre.

MART. Qui me demandent à toute heure du pain.

SGAN. Donne-leur le fouet: quand j'ai bien bu et bien mangé, je veux que tout le monde soit soûl dans ma maison.

MART. Et tu prétends, ivrogne, que les choses aillent toujours de même ?......

SGAN. Ma femme, allons tout doucement, s'il vous plaît.

MART. Que j'endure éternellement tes insolences ?...... SGAN. Ne nons emportons point, ma femme.

MART. Et que je ne sache pas trouver le moyen de te ranger à ton devoir?

* Vivre de ménage, Vivre avec économie; et par plaisanterie, Vendre ses meubles pour subsister.

SGAN. Ma femme, vous savez que je n'ai pas l'âme endurante, et que j'ai le bras assez bon.

MART. Je me moque de tes menaces.

SGAN. Ma petite femme, ma mie!

MART. Je te montrerai bien que je ne te crains nulle

ment.

SGAN. Ma chère moitié, vous avez envie de me dérober quelque chose.

MART. Crois-tu que je m'épouvante de tes paroles? SGAN. Doux objet de mes vœux, je vous frotterai les oreilles.

MART. Infâme!

SGAN. Ah! vous en voulez donc ? Voici le vrai moyen de vous apaiser. (Sganarelle prend un bâton et menace de battre sa femme.)

SCÈNE II.

M. ROBERT, SGANARELLE, MARTINE.

M. ROB. Holà! holà! holà! Fi! Qu'est-ce-ci? Quelle infamie! Peste soit le coquin de vouloir battre

sa femme!

MART. (à M. Rob.) Et je veux qu'il me batte, moi.
M. ROB. Ah! j'y consens de tout mon cœur.
MART. De quoi vous mêlez-vous ?

M. ROB. J'ai tort.

MART. Est-ce là votre affaire ?

M. ROB. Vous avez raison.

MART. Voyez un peu cet impertinent, qui veut empêcher les maris de battre leurs femmes !

M. ROв. Je me rétracte.

MART. Qu'avez-vous à voir là-dessus?
M. ROB. Rien.

MART. Est-ce à vous d'y mettre le nez?
M. ROB. Non.

MART. Mêlez-vous de vos affaires.

M. ROB. Je ne dis plus mot.

MART. Il me plaît d'être battue.

M. ROB. D'accord.

MART. Ce n'est pas à vos dépens.

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