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vous adoucissez les souffrances de vos fidèles par la grâce de votre Fils unique, et vous comblez d'une béatitude toute pure vos saints dans la gloire de votre Fils unique. Ce sont les admirables degrés par lesquels vous conduisez vos ouvrages. Vous m'avez tiré du premier, faites-moi passer par le second pour arriver au troisième. Seigneur, c'est la grâce que je vous demande.

XII. Ne permettez pas que je sois dans un tel éloignement de vous, que je puisse considérer votre âme triste jusqu'à la mort et votre corps abattu par la mort pour mes propres péchés sans me réjouir de souffrir et dans mon corps et dans mon âme. Car qu'y a-t-il de plus honteux, et néanmoins de plus ordinaire dans les chrétiens et dans moimême, que, tandis que vous suez le sang pour l'expiation de nos offenses, nous vivions dans les délices, et que des chrétiens qui font profession d'être à vous, que ceux qui, par le baptême, ont renoncé au monde pour vous suivre, que ceux qui ont juré solennellement à la face de l'Eglise de vivre et de mourir avec vous, que ceux qui font profession de croire que le monde vous a persécuté et crucifié,que ceux qui croient que vous vous êtes exposé à la colère de Dieu et à la cruauté des hommes pour les racheter de leurs crimes : que ceux, dis-je, qui croient toutes ces vérités, qui considèrent votre corps comme l'hostie qui s'est livrée pour leur salut, qui considèrent les plaisirs et les péchés du monde comme l'unique sujet de vos souffrances, et le monde même comme votre bourreau, recherchent à flatter leurs corps par ces mêmes plaisirs, parmi ce même monde; et que ceux qui ne pourraient sans frémir d'horreur voir un homme caresser et chérir le meurtrier de son père, qui se serait livré pour lui donner la vie, puissent vivre, comme j'ai fait, avec une pleine joie parmi le monde, que je sais avoir été véritablement le meurtrier de celui que je reconnais pour mon Dieu et mon père, qui s'est livré pour mon propre salut, et qui a porté en sa personne la peine de mes iniquités! Il est juste, Seigneur, que vous ayez interrompu une joie aussi criminelle que celle dans laquelle je me reposais à l'ombre de la mort.

XIII. Otez donc de moi, Seigneur, la tristesse que l'amour de moi-même pourrait me donner de mes propres souffrances et des choses du monde qui ne réussissent pas au gré des inclinations de mon cœur, et qui ne regardent pas votre g'oire; mais mettez en moi une tristesse conforme à la vôtre. Que mes souffrances servent à apaiser votre colère. Faites-en une occasion de mon salut et de ma conversion. Que je ne souhaite désormais de santé et de vie qu'afin de l'employer et de la finir pour vous, avec vous et en vous. Je ne vous demande ni santé, ni maladie, ni vie, ni mort; mais que vous disposiez de ma santé et de ma maladie, de ma vie et de ma mort pour votre gloire, pour mon salut et

pour l'utilité de l'Eglise et de vos saints, dont j'espère, par votre grâce, faire une por tion. Vous seul savez ce qui m'est expédient: vous êtes le souverain maître, faites ce que vous voudrez. Donnez-moi, ôtez-moi, mais conformez ma volonté à la vôtre; et que dans une soumission humble et parfaite, et dans une sainte confiance, je me dispose à recevoir les ordres de votre providence éternelle, et que j'adore également tout ce qui me vient de vous.

XIV. Faites, mon Dieu, que, dans une uniformité d'esprit toujours égale, je reçoive toule sorte d'événements, puisque nous ne savons ce que nous devons demander, et que je ne puis en souhaiter l'un plutôt que l'autre sans présomption et sans me rendre juge et responsable des suites que votre sagesse a voulu justement me cacher. Seigneur, je sais que je ne sais qu'une chose : c'est qu'il est bon de vous suivre, et qu'il est mauvais de vous offenser. Après cela, je ne sais lequel est le meilleur ou le pire en toutes choses; je ne sais lequel m'est profitable, ou de la santé ou de la maladie, des biens ou de la pauvreté, ni de toutes les choses du monde. C'est un discernement qui passe la force des hommes et des anges, et qui est caché dans les secrets de votre providence que j'adore et que je ne veux pas approfondir.

XV. Faites donc, Seigneur, que, tel que je sois, je me conforme à votre volonté; et qu'étant malade comme je suis, je vous glorifie dans mes souffrances. Sans elles, je ne puis arriver à la gloire; et vous-même, mon Sauveur, n'avez voulu y parvenir que par elles. C'est par les marques de vos souffrances que vous avez été reconnu de vos disciples, et c'est par les souffrances que vous reconnaissez aussi ceux qui sont vos disciples. Reconnaissez-moi donc pour votre disciple dans les maux que j'endure, et dans mon corps et dans mon esprit, pour les offenses que j'ai commises; et parce que rien n'est agréable à Dieu s'il ne lui est of fert par vous, unissez ma volonté à la vôtre et mes douleurs à celles que vous avez souffertes. Faites que les miennes deviennent les vôtres unissez-moi à vous, remplissez-moi de vous et de votre Esprit saint. Entrez dans mon cœur et dans mon âme pour y porter mes souffrances et pour continuer d'endurer en moi ce qui vous reste à souffrir de votre passion, que vous achevez dans vos membres jusqu'à la consommation parfaite de votre corps; afin qu'étant plein de vous, ce ne soit plus moi qui vive et qui souffre, mais que ce soit vous qui viviez et qui souffricz en moi, ô mon Sauveur! et qu'ainsi ayant quelque petite part à vos souffrances, vous me remplissiez entièrement de la gloire qu'elles Vous ont acquise, dans laquelle vous vivez avec le Père et le Saint-Esprit, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-ill

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COMPARAISON DES ANCIENS CHIRETIENS AVEC CEUX D'AUJOURD'HUI.

COMPARAISON DES ANCIENS CHRÉTIENS AVEC CEUX D'AUJOURD'HUI (1).

On ne voyait, à la naissance de l'Eglise, que des chrétiens parfaitement instruits dans tous les points nécessaires au salut: au lieu que l'on voit aujourd'hui une ignorance si grossière, qu'elle fait gémir tous ceux qui ont des sentiments de tendresse pour l'Eglise. On n'entrait alors dans l'Eglise qu'après de grands travaux et de longs désirs on s'y trouve maintenant sans aucune peine, sans soin et sans travail. On n'y était admis qu'après un examen très-exact: on y est reçu maintenant avant qu'on soit en état d'être examiné. On n'y était reçu alors qu'après avoir abjuré sa vie passée; qu'après avoir renoncé au monde, et à la chair, et au diable on y entre maintenant avant qu'on soit en état de faire aucune de ces choses. Enfin, il fallait autrefois sortir du monde pour être reçu dans l'Eglise au lieu qu'on entre aujourd'hui dans l'Eglise au même temps que dans le monde. On connaissait alors, par ce procédé, une distinction essentielle du monde avec l'Eglise; on les considérait comme deux contraires, comme deux ennemis irréconciliables, dont l'un persécute l'autre sans discontinuation, et dont le plus faible, en apparence, doit un jour triompher du plus fort: entre ces deux partis contraires, on quittait l'un pour entrer dans l'autre ; on abandonnait les maximes de l'un pour suivre celles de l'autre, on se dévêtait des sentiments de l'un pour se revêtir des sentiments de l'autre ; enfin on quittait, on renonçait, on abjurait le monde, où l'on avait reçu sa première naissance, pour se vouer totalement à l'Eglise, où l'on prenait comme sa seconde naissance; et ainsi on concevait une très-grande différence entre l'un et l'autre aujourd'hui on se trouve presque en même temps dans l'un comme dans l'autre ; et le même moment qui nous fait naître au monde nous fait renaître dans l'Eglise; de sorte que la raison survenant ne fait plus de distinction de ces deux mondes si contraires; elle s'élève et se forme dans l'un et dans l'autre tout ensemble on fréquente les sacrements, et on jouit des plaisirs de ce monde; et ainsi, au lieu qu'autrefois on voyait une distinction essentielle entre l'un et l'autre, on les voit maintenant confondus et mêlés, en sorte qu'on ne les discerne quasi plus.

De là vient qu'on ne voyait autrefois entre les chrétiens que des personnes très-instruites, au lieu qu'elles sont maintenant dans une ignorance qui fait horreur; de là vient qu'autrefois ceux qui avaient été rendus. chrétiens par le baptême et qui avaient quitté les vices du monde pour entrer dans la piété

(1) Quoique ces réflexions soient peu développées, elles nous ont paru mériter d'être conservées,

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de l'Eglise retombaient si rarement de l'Eglise dans le monde au lieu qu'on ne voit maintenant rien de plus ordinaire que les vices du monde dans le cœur des chrétiens. L'Eglise des saints se trouve toute souillée par le mélange des méchants; et ses enfants, qu'elle a conçus et portés dès l'enfance dans ses flancs, sont ceux-là mêmes qui portent dans son cœur, c'est-à-dire jusqu'à la participation de ses plus augustes mystères, le plus grand de ses ennemis, l'esprit du monde, l'esprit d'ambition, l'esprit de vengeance l'esprit d'impureté, l'esprit de concupiscence; et l'amour qu'elle a pour ses enfants l'oblige d'admettre jusque dans ses entrailles le plus cruel de ses persécuteurs. Mais ce n'est pas à l'Eglise que l'on doit imputer les malheurs qui ont suivi un changement si funeste; car, comme elle a vu que le délai du baptême laissait un grand nombre d'enfants dans la malédiction d'Adam, elle a voulu les délivrer de cette masse de perdition, en précipitant le secours qu'elle leur donne; et cette bonne mère ne voit qu'avec un regret extrême que ce qu'elle a procuré pour le salut de ses enfants devienne l'occasion de la perte des adultes.

Son véritable esprit est que ceux qu'elle retire dans un âge si tendre de la contagion du monde s'écartent bien loin des sentiments du monde; elle prévient l'usage de la raison pour prévenir les vices où la raison corrompue les entraînerait: et avant que leur esprit puisse agir, elle les remplit de son esprit, afin qu'ils vivent dans l'ignorance du monde et dans un état d'autant plus éloigné du vice, qu'ils ne l'auront jamais connu. Cela paraît par les cérémonies du baptême; car elle n'accorde le baptême aux enfants qu'après qu'ils ont déclaré par la bouche des parrains, qu'ils le désirent, qu'ils croient, qu'ils renoncent au monde et à Satan; et comme elle veut qu'ils conservent ces dispositions dans toute la suite de leur vie, elle leur commande expressément de les garder inviolablement, et. elle enjoint par un commandement indispensable, aux parrains d'instruire les enfants. de toutes ces choses, car elle ne souhaite pas que ceux qu'elle a nourris dans son sein depuis l'enfance soient aujourd'hui moins instruits et moins zélés que ceux qu'elle admeltait autrefois au nombre des siens. Elle ne désire pas une moindre perfection dans. ceux qu'elle nourrit que dans ceux qu'elle recoit.

Cependant on en use d'une façon si contraire à l'intention de l'Eglise, qu'on ne peut y penser sans horreur. On ne fait quasi plus de réflexion sur un aussi grand bienfait, parce qu'on ne l'a jamais demandé, parce qu'on ne se souvient pas même de l'avoir recu. Mais comme il est évident que l'Eglise

ne demande pas moins de zèle dans ceux qui ont été élevés esclaves de la foi que dans ceux qui aspirent à le devenir, il faut se mettre devant les yeux l'exemple des catéchumènes, considérer leur ardeur, leur dévotion, leur horreur pour le monde, leur généreux renoncement au monde, et si on ne les jugeait pas dignes de recevoir le baptême sans ces dispositions, ceux qui ne les trouvent pas en eux doivent donc se soumettre à recevoir l'instruction qu'ils auraient eue s'ils commençaient à entrer dans la communion de l'Eglise, il faut de plus qu'ils se soumettent à une pénitence telle, qu'ils n'aient plus envie de la rejeter et qu'ils aient moins d'aversion pour l'austérité de la mortification des sens, qu'ils ne trouvent de charmes dans l'usage des délices vicieuses du péché.

Pour les disposer à s'instruire, il faut leur faire entendre la différence des coutumes qui ont été pratiquées dans l'Eglise suivant la diversité des temps. Dans l'Eglise naissante, on enseignait les catéchumènes, c'est-à-dire ceux qui prétendaient au baptême, avant que de le leur conférer, et on ne les y admettait qu'après une pleine instruction des mystères de la religion, qu'après une pénitence de leur vie passée, qu'après une grande connaissance de la grandeur et de l'excellence de la profession de la foi et des maximes chrétiennes où ils désiraient entrer pour jamais, qu'après des marques éminentes d'une conversion véritable du cœur et qu'après un extrême désir du baptême. Ces choses étant connues de toute l'Eglise, on leur conférait le sacrement d'incorporation par lequel ils devenaient membres de l'Eglise. Aujourd'hui le baptême ayant été accordé aux enfants ayant l'usage de la raison, par des considé

rations très-importantes, il arrive que la négligence des parents laisse vieillir les chré tiens sans aucune connaissance de notre religion.

Quand l'instruction précédait le baptême, tous étaient instruits; mais maintenant que le baptême précède l'instruction, l'enseignement qui était nécessaire pour le sacrenient est devenu volontaire et ensuite négligé et enfin presque aboli. La raison persuadait de la nécessité de l'instruction, de sorte que quand l'instruction précédait le baptême, la nécessité de l'un faisait que l'on avait recours à l'autre nécessairement: au lieu que le bap tême précédant aujourd'hui l'instruction, comme on a été fait chrétien sans avoir été instruit, on croit pouvoir demeurer chrétien sans se faire instruire, et au lieu que les premiers chrétiens témoignaient tant de reconnaissance pour une grâce que l'Eglise n'accordait qu'à leurs longues prières, les chrétiens d'aujourd'hui ne témoignent que de l'ingratitude pour cette même grâce qu'elle leur accorde avant même qu'ils aient été en état de la demander. Si elle détestait si fort les chutes des premiers chrétiens, quoique si rares, combien doit-elle avoir en abomination les chutes et les rechutes continuelles des derniers, quoiqu'ils lui soient beaucoup plus redevables; puisqu'elle les a tirés bien plus tôt et bien plus libéralement de la damnation où ils étaient engagés par leur première naissance! Elle ne peut voir sans gémir abuser de la plus grande de ses grâces, et que ce qu'elle a fait pour assurer leur salut devienne l'occasion presque assurée de leur perte, car elle n'a pas changé d'esprit, quoiqu'elle ait changé de coutume.

FRAGMENT D'UN ÉCRIT

SUR LA CONVERSION DU PÉCHEUR.

La première chose que Dieu inspire à l'âme qu'il daigne toucher véritablement est une connaissance et une vue tout extraordinaire, par laquelle l'âme considère les choses et elle-même d'une façon toute nouvelle.

Cette nouvelle lumière lui donne de la crainte, et lui apporte un trouble qui traverse le repos qu'elle trouvait dans les choses qui faisaient ses délices.

Elle ne peut plus goûter avec tranquillité les objets qui la charmaient. Un scrupule continuel la combat dans cette jonissance, et cette vue intérieure ne lui fait plus trouver cette douceur accoutumée parmi les choses où elle s'abandonnait avec une pleine effusion de cœur.

Mais elle trouve encore plus d'amertume dans les exercices de piété que dans les vanités du monde. D'une part, la vanité des objets visibles la touche plus que l'espérance des invisibles; et de l'autre, la solidité des invisibles la touche plus que la vanité des vi

sibles. Et ainsi la présence des uns et l'absence des autres excite son aversion; de sorte qu'il naît dans elle un désordre et une confusion qu'elle a peine à démêler, mais qui est la suite d'anciennes impressions longtemps senties, et des nouvelles qu'elle éprouve. Elle considère les choses périssables comme périssantes, et même déjà péries; et, à la vue certaine de l'anéantissement de tout ce qu'elle aime, elle s'effraie dans cette considération, en voyant que chaque instant lui arrache la jouissance de son bien, et que ce qui lui est le plus cher s'écoule à tout moment, et qu'enfin un jour certain viendra auquel elle se trouvera dénuée de toutes les choses auxquelles elle avait mis son espérance. De sorte qu'elle comprend parfaitement que, son cœur ne s'étant`attaché qu'à des choses fragiles et vaines, son âme doit se trouver seule et abandonnée au sortir de cette vie, puisqu'elle n'a pas eu soin de se joindre à un bien véritable et sub

sistant par lui-même qui pût la soutenir durant et après cette vie.

De là vient qu'elle commence à considérer comme un néant tout ce qui doit retourner dans le néant, le ciel, la terre, son corps, ses parents, ses amis, ses ennemis, les biens, la pauvreté, la disgrâce, la prospérité, l'honneur, l'ignominie, l'estime, le mépris, l'autorité, l'indigence, la santé, la maladie, et la vie même. Enfin tout ce qui doit moins durer que son âme est incapable de satisfaire le désir de cette âme qui cherche sérieusement à s'établir dans une félicité aussi durable qu'elle-même.

Elle commence à s'étonner de l'aveuglement où elle était plongée; et quand elle considère, d'une part, le long temps qu'elle a vécu sans faire ces réflexions, et le grand nombre de personnes qui vivent de la sorte, et, de l'autre, combien il est constant que l'âme étant immortelle ne peut trouver sa félicité parmi des choses périssables et qui lui scront ôtées au moins à la mort, elle entre dans une sainte confusion et dans un étonnement qui lui porte un trouble bien salu

taire.

Car elle considère que, quelque grand que soit le nombre de ceux qui vieillissent dans les maximes du monde, et quelque autorité que puisse avoir cette multitude d'exemples de ceux qui posent leur félicité au monde, il est constant néanmoins que même quand les choses du monde auraient quelque plaisir solide (ce qui est reconnu pour faux par un nombre infini d'expériences si funestes et si continuelles), la perte de ces choses est iné vitable au moment où la mort doit enfin nous en priver.

De sorte que l'âme s'étant amassé des trésors de biens temporels, de quelque nature qu'ils soient, soit or, soit science, soit réputation, c'est une nécessité indispensable qu'elle se trouve dénuée de tous ces objets de sa félicité; et qu'ainsi, s'ils ont eu de quoi la satisfaire, ils n'auront pas de quoi la satisfaire toujours; et que si c'est se procurer un bonheur véritable, ce n'est pas se procurer un bonheur durable, puisqu'il doit être borné avec le cours de cette vie.

Aussi, par une sainte humilité que Dieu relève au-dessus de la superbe, elle commence à s'élever au dessus du commun des hommes. Elle condamne leur conduite, elle déteste leurs maximes, elle pleure leur aveuglement, elle se porte à la recherche du véritable bien; elle comprend qu'il faut qu'il y ait ces deux qualités : l'une, qu'il dure autant qu'elle, et l'autre qu'il n'y ait rien de plus aimable.

Elle voit que dans l'amour qu'elle a eu pour le monde, elle trouvait en lui cette scconde qualité, dans son aveuglement, car elle ne reconnaissait rien de plus aimable. Mais comme elle n'y voit pas la première, elle connaît que ce n'est pas le souverain bien. Elle le cherche donc ailleurs, et connaissant par une lumière toute pure qu'il n'est point dans les choses qui sont en elle, ni

hors d'elle, ni devant elle, elle commence à le chercher au-dessus d'elle.

Cette élévation est si éminente et si trans cendante qu'elle ne s'arrête pas au ciel; il n'a pas de quoi la satisfaire, ni au dessus du ciel, ni aux anges, ni aux êtres les plus parfaits. Elle traverse toutes les créatures, et ne peut arrêter son cœur qu'elle ne soit rendue jusqu'au trône de Dieu, dans lequel elle commence à trouver son repos et ce bien qui est tel qu'il n'y a rien de plus aimable, et qui ne peut lui être ôté que par son propre consentement.

Car encore qu'elle ne sente pas ces charmes dont Dieu récompense l'habitude dans la piété, elle comprend néanmoins que les créa tures ne peuvent pas être plus aimables que le Créateur; et sa raison aidée des lumières de la grâce lui fait connaître qu'il n'y a rien de plus aimable que Dieu, et qu'il ne peut être ôté qu'à ceux qui le rejettent, puisque c'est le posséder que de le désirer, et que le refuser c'est le perdre.

Ainsi elle se réjouit d'avoir trouvé un bien qui ne peut pas lui être ravi tant qu'elle le désirera, et qui n'a rien au dessus de soi.

Et dans ces réflexions nouvelles elle entre dans la vue des grandeurs de son Créateur, et dans des humiliations et des adorations profondes. Elle s'anéantit en sa présence: et ne pouvant former d'elle-même une idée assez basse, ni en concevoir une assez relevée de ce bien souverain, elle fait de nouveaux efforts pour se rabaisser jusqu'aux derniers abîmes du néant, en considérant Dieu dans des immensités qu'elle multiplie. Enfin, dans cette conception qui épuise ses forces, elle l'adore en silence, elle se considère comme sa vile et inutile créature, et, par ses respects réitérés, l'adore et le bénit, et voudrait à jamais le bénir et l'adorer.

Ensuite elle reconnaît la grâce qu'il lui a faite de manifester son infinie majesté à un si chétif vermisseau; elle entre en confusion d'avoir préféré tant de vanités à cedivin maître, et, dans un esprit de componction et de pénitence, elle a recours à sa pitié pour arrêter sa colère, dont l'effet lui parait épouvan table dans la vue de ses immensités.

Elle fait d'ardentes prières à Dieu pour obtenir de sa miséricorde que, comme il lui a plu de se découvrir à elle, il lui plaise de la conduire à lui et lui faire naître les moyens d'y arriver. Car c'est à Dieu qu'elle aspire: elle n'aspire encore d'y arriver que par des moyens qui viennent de Dieu même ; parce qu'elle veut qu'il soit lui-même son chemin, son objet et sa dernière fin. Ensuite de ces prières, elle conçoit qu'elle doit agir conformément à ses nouvelles lumières.

Elle commence à connaître Dieu et désire d'y arriver mais comme elle ignore les moyens d'y parvenir; si son désir est sincère, véritable, elle fait la même chose qu'une personne qui,désirant arriver à quelque lieu, ayant perdu le chemin et connaissant son égarement, aurait recours à ceux qui sauraient parfaitement ce chemin. Elle consulte de même ceux qui peuvent l'instruire de la

voie qui mène à ce Dieu qu'elle a si longtemps abandonné. Mais, en demandant à la connaître, elle se résout de conformer à la vérité connue le reste de sa vie; et comme sa faiblesse naturelle avec l'babitude qu'elle a au péché où elle a vécu l'ont réduite dans l'impuissance d'arriver à la félicité qu'elle désire, elle implore de sa miséricorde les moyens d'arriver à lui, de s'attacher à lui, d'y adhérer éternellement. Tout occu

pée de cette beauté si ancienne et si nouvelle pour elle, elle sent que tous ses mouvements doivent se porter vers cet objet; elle comprend qu'elle ne doit plus penser ici-bas qu'à adorer Dieu comme créature, lui rendre gråces comme redevable, lui satisfaire comme coupable, le prier comme indigente, jusqu'à ce qu'elle n'ait plus qu'à le voir, l'aimer, le louer dans l'éternité.

VIE DE PELLISSON.

PELLISSON-FONTANIER (PAUL), né à Béziers, en 1624, d'une famille de robe, originaire de Castres, perdit son père de bonne heure. Sa mère l'éleva dans la religion prétendue réformée. Ses talents donnaient des espérances à cette secte; il avait autant de pénétration que de vivacité dans l'esprit. Il étudia successivement à Castres, à Montauban et à Toulouse. Les auteurs latins, grecs, français, espagnols, italiens, lui devinrent familiers. A peine avait-il donné quelques mois à l'étude du droit, qu'il entreprit de paraphraser les Institutes de Justinien. Cet ouvrage, imprimé à Paris, in-8°, en 1645, était écrit de façon à faire douter que ce fût la production d'un jeune homme. Pellisson parut bientôt avec éclat dans le barreau de Castres; mais lorsqu'il y brillait le plus, il fut attaqué de la petite-vérole. Cette maladie affaiblit ses yeux et son tempérament, et le rendit le modèle de la laideur. Sa figure était tellement changée, que Mile de Scudéri, son amie, disait en plaisantant qu'il abusait de la permission qu'ont les hommes d'être laids. Il était étroitement lié avec cette personne aussi laide que lui, et il figura dans les romans de cette femme auteur sous les noms d'Acante et d'Herminius. Plusieurs ouvrages qu'il composa à Paris l'y firent connaitre avantageusement de tout ce qu'il y avait alors de gens d'esprit et de mérite. Il s'y fixa en 1652, et l'Académie française, dont il avait écrit l'Histoire, fut si contente de cet ouvrage, qu'elle lui ouvrit ses portes. Fouquet, instruit de son mérite, le choisit pour son premier commis et lui donna toute sa confiance. Ses soins furent récompensés en 1660, par des lettres de conseiller d'état. Il avait eu beaucoup de part aux secrets de Fouquet; il en eut aussi à sa disgrace. Il fut conduit à la Bastille, et n'en sortit que quatre ans après, sans qu'on pût jamais le détacher de son maître. Il y composa pour lui des Mémoires qui sont des chefs-d'œuvre. Si quelque chose approche de Cicéron, dit l'auteur du Siècle de Louis XIV, ce sont ces trois Factums. Ils sont dans le même genre que plusieurs discours de ce célèbre orateur, un mélange d'affaires judiciaires et d'affaires d'état, traitées solidement avec un art qui parait peu, et une éloquence touchante. » Fouquel se serait peut-être perdu sans la présence

d'esprit de Pellisson. Confrontés ensemble, le premier craignait qu'on ne lui opposât des pièces redoutables: il demeurait interdit, lorsque Pellisson s'écria: Monsieur, si vous ne saviez pas que les papiers qui attestent le fait dont on vous charge, sont brûlés, vous ne le nieriez pas avec tant d'assurance. Fouquet, ainsi averti, tint ferme et ne put être convaincu. Pellisson avait conservé une foule d'amis dans ses malheurs, et ces amis obtinrent enfin sa liberté. Le roi le dédommagea de cette captivité par des pensions et des places. Il le chargea d'écrire son histoire, et I'emmena avec lui dans sa première conquête de la Franche-Comté. Pellisson méditait depuis longtemps d'abjurer la religion protestante; il exécuta ce dessein en 1670. Peu de temps après, il prit l'ordre de sous-diacre, et obtint l'abbaye de Gimont et le prieuré de Saint-Orens, riche bénéfice du diocèse d'Auch. L'archevêque de Paris ayant été reçu à 1 Académie française en 1671, Pellisson répondit à ce prélat avec autant d'esprit que de grâce. Ce fut dans cette occasion qu'il prononça le Panégyrique de Louis XIV, traduit en latin, en espagnol, en italien, en anglais, et même en arabe par un patriache du Mont-Liban. Il fut reçu la même année maître des requé tes. La guerre s'étant rallumée en 1672, il suivit Louis XIV dans ses campagnes. Son zèle pour la conversion des calvinistes lui mérita l'économat de Cluny en 1674, de SaintGermain-des-Prés en 1675, et de Saint-Denis en 1679. Le roi lui confia en même temps les revenus du tiers des économats, pour être distribués à ceux qui voudraient changer de religion, et qui par là pourraient se trouver dans l'abandon et le besoin. Il était occupé à réfuter les erreurs des protestants sur l'eucharistie, lorsqu'il fut surpris par la mort à Versailles, en 1693. Il ne reçut point les sacrements, parce qu'il n'en eut pas le temps. Il est faux qu'il les ait refusés, comme l'assurent encore aujourd'hui les calvinistes, el il est très-certain qu'il avait communié peu jours avant sa mort. On a de lui un grand nombre d'ouvrages. Les principaux sont: Histoire de l'Académie française, qui parut pourla pre mière fois en 1653, à Paris, in-12, et dont la meil leure édition est celle de l'abbé d'Olivet, qui l'a continuée, en 1730 vol. in-12. Trop de

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