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VI. Ne vous étonnez pas de voir des personnes simples croire sans raisonnement. Dieu leur donne l'amour de sa justice et la haine d'eux-mêmes. Il incline leur cœur à croire. On ne croira jamais d'une croyance utile et de foi, si Dieu n'incline le cœur; et on croira dès qu'il l'inclinera. Et c'est ce que David connaissait bien, lorsqu'il disait: Inclina cor meum, Deus, in testimonia tua (Ps.CXVIII, 36). VII. Ceux qui croient sans avoir examiné les preuves de la religion croient parce qu'ils ont une disposition intérieure toute sainte, et que ce qu'ils entendent dire de notre religion y est conforme. Ils sentent qu'un Dieu les a faits; ils ne veulent aimer que lui, ils ne veulent haïr qu'eux-mêmes ils sentent qu'ils n'en ont pas la force, qu'ils sont incapables d'aller à Dieu; et que si Dieu ne vient à eux, ils ne peuvent avoir aucune communication avec lui: et ils entendent dire dans notre religion qu'il ne faut aimer que Dieu, el ne haïr que soi-même; mais qu'étant tous corrompus et incapables de Dieu, Dieu s'est fait homme pour s'unir à nous. Il n'en faut pas davantage pour persuader des hommes qui ont cette disposition dans le cœur, et cette connaissance de leur devoir et de leur incapacité.

VIII. Ceux que nous voyons chrétiens sans la connaissance des prophéties et des preuves ne laissent pas d'en juger aussi bien que ceux qui ont cette connaissance. Ils en jugent par le cœur comme les autres en jugent par l'esprit. C'est Dieu lui-même qui les incline à croire, et ainsi ils sont très-efficacement persuadés.

J'avoue bien qu'un de ces chrétiens qui croient sans preuves n'aura peut-être pas de quoi convaincre un infidèle qui en dira autant de soi. Mais ceux qui savent les preuves de la religion prouveront sans difficulté que ce fidèle est véritablement inspiré de Dieu, quoiqu'il ne pût le prouver lui-même.

ARTICLE VII.

Image d'un homme qui s'est lassé de chercher Dieu par le seul raisonnement, et qui commence à lire l'Ecriture.

I. En voyant l'aveuglement et la misère de l'homme, et ces contrariétés étonnantes qui se découvrent dans sa nature; et regardant tout l'univers muet, et l'homme sans lumière, abandonné à lui-même et comme égaré dans ce recoin de l'univers, sans savoir qui l'y a mis, ce qu'il est venu y faire, ce qu'il deviendra en mourant, j'entre en effroi comme un homme qu'on aurait porté endormi dens une île déserte et effroyable, et qui s'éveillerait sans connaître où il est et sans avoir aucun moyen d'en sortir et sur cela j'admire comment on n'entre pas en désespoir d'un si misérable état. Je vois d'autres personnes auprès de moi de semblable nature: je leur demande s'ils sont mieux instruits que moi, et ils me disent que non; et sur cela ces misérables égarés, ayant regardé autour d'eux., et ayant vu quelques objets plaisants, s'y sont donnés et s'y sont attachés. Pour

moi, je n'ai pu m'y arrêter ni me reposer dans la société de ces personnes semblables à moi, misérables comme moi, impuissantes comme moi. Je vois qu'ils ne m'aideraient point à mourir: je mourrai seul; il faut donc faire comme si j'étais seul: or, si j'étais seul, je ne bâtirais point des maisons, je ne m'embarrasserais point dans les occupations tumultuaires, je ne chercherais l'estime de personne; mais je tâcherais seulement de découvrir la vérité.

Ainsi, considérant combien il y a d'apparence qu'il y a autre chose que ce que je vois, j'ai recherché si ce Dieu, dont tout le monde parle, n'aurait pas laissé quelques marques de lui. Je regarde de toutes parts, et ne vois partout qu'obscurité. La nature ne m'offre rien qui ne soit matière de doute et d'inquiétude. Si je n'y voyais rien qui marquât une Divinité, je me déterminerais à n'en rien croire. Si je voyais partout les marques d'un Créateur, je reposerais en paix dans la foi. Mais, voyant trop pour nier, et trop peu pour m'assurer, je suis dans un état à plaindre, et où j'ai souhaité cent fois que, si un Dieu soutient la nature, elle le marquât sans équivoque; et que, si les marques qu'elle en donne sont trompeuses, elle les supprimât tout à fait ; qu'elle dit tout ou rien, afin que je visse quel parti je dois suivre. Au lieu qu'en l'état où je suis, ignorant ce que je suis et ce que je dois faire, je ne connais ni ma condition ni mon devoir. Mon cœur tend tout entier à connaître où est le vrai bien, pour le suivre. Rien ne me serait trop cher pour cela.

Je vois des multitudes de religions en plusieurs endroits du monde et dans tous les temps. Mais elles n'ont ni morale qui puisse me plaire, ni preuves capables de m'arrêter. Et ainsi j'aurais refusé également la religion de Mahomet, et celle de la Chine, et celle des anciens Romains, et celle des Egyptiens, par cette seule raison que l'une n'ayant pas plus de marques de vérité que l'autre, ni rien qui détermine, la raison ne peut pencher plutôt vers l'une que vers l'autre.

Mais en considérant ainsi cette inconstante et bizarre variété de mœurs et de croyances dans les divers temps, je trouve en une petite partie du monde un peuple particulier, séparé de tous les autres peuples de la terre, et dont les histoires précèdent de plusieurs siècles les plus anciennes que nous ayons. Je trouve donc ce peuple, grand et nombreux, qui adore un seul Dieu, et qui se conduit par une loi qu'ils disent tenir de sa main. fis soutiennent qu'ils sont les seuls du monde auxquels Dieu a révélé ses mystères, que tous les hommes sont corrompus et dans la disgrâce de Dieu; qu'ils sont tous abandonnés à leurs sens et à leur propre esprit ; et que de là viennent les étranges égarements et les changements continuels qui arrivent entre eux, et de religion, et de coutume, au lieu qu'eux demeurent inébranlables dans leur conduite mais que Dieu ne laissera pas éternellement les autres peuples dans ces tenèbres; qu'il viendra un Libérateur pour

tous; qu'ils sont au monde pour l'annoncer; qu'ils sont formés exprès pour être les hérauts de ce grand événement, et pour appeler tous les peuples à s'unir à eux dans l'attente de ce Libérateur.

La rencontre de ce peuple m'étonne et me semble digne d'une extrême attention, par quantité de choses admirables et singulières qui y paraissent.

C'est un peuple tout composé de frères : et au lieu que tous les autres sont formés de l'assemblage d'une infinité de familles, celuici, quoique si étrangement abondant, est tout sorti d'un seul homme; el étant ainsi une même chair et membres les uns des autres, ils composent une puissance extrême d'une seule famille. Cela est unique.

Ce peuple est le p us ancien qui soit dans la connaissance des hommes: ce qui me semble devoir lui attirer une vénération particulière, et principalement dans la recherche que nous faisons; puisque si Dieu s'est de tout temps communiqué aux hommes, c'est à ceux-ci qu'il faut recourir pour en savoir la tradition.

Ce peuple n'est pas seulement considérable par son antiquité; mais il est encore singulier en sa durée, qui a toujours continué depuis son origine jusqu'à maintenant : car, au lieu que les peuples de la Grèce, d'Italie, de Lacédémone, d'Athènes, de Rome, et les autres qui sont venus si longtemps après, ont fini il y a longtemps, ceux-ci subsistent toujours, et ma gré les entreprises de tant de puissants rois qui ont cent fois essayé de les faire périr, comme les historiens le témoignent, et comme il est aisé de le juger par l'ordre naturel des choses pendant un si long espace d'années, ils se sont toujours conservés, et, s'étendant depuis les premiers temps jusqu'aux derniers, leur histoire enferme dans sa durée celle de toutes nos histoires.

La loi par laquelle ce peuple est gouverné est tout ensemble la plus ancienne loi du monde, la plus parfaite et la seule qui ait toujours été gardée sans interruption dans un état. C'est ce que Philon, juif, montre en divers lieux, et Josèphe, admirablement : contre Appion, où il fait voir qu'elle est si ancienne que le nom même de loi n'a été connu des plus anciens que plus de mille ans après; en sorte qu'Homère, qui a parlé de tant de peuples, ne s'en est jamais servi. Et il est aisé de juger de la perfection de celte lo par sa simple lecture, où l'on voit qu'on y a pourvu à toutes choses avec tant de sagesse, tant d'équité, tant de jugement, que les plus anciens législateurs grecs et romains, en ayant quelque lumière, en ont emprunté leurs principales lois; ce qui parait par celle qu'ils appellent des Douze Tables et par les autres preuves que Josèphe en donne.

Mais cette loi est en même temps la plus sévère et la plus rigoureuse de toutes, obligeant ce peuple, pour le retenir dans son devoir, à mille observations particulières et pénibles, sous peine de la vie. De sorte que c'est une chose étonnante qu'elle se soit tou

jours conservée, durant tant de siècles, parmi un peuple rebelle et impatient comme celui-ci; pendant que tous les autres états ont changé de temps en temps leurs lois, quoique tout autrement faciles à observer.

II. Ce peuple est encore admirable en sincérité. Ils gardent avec amour et fidélité le livre où Moïse déclare qu'ils ont toujours été ingrats envers Die u, et qu'il sait qu'ils le seront encore plus après sa mort; mais qu'il appelle le ciel et la terre à témoin contre eux, qu'il le leur a assez dit; qu'enfin Dieu, s'irritant contre eux, les dispersera par tous les peuples de la terre; que comme ils l'ont irrité en adorant des dieux qui n'étaient point leurs dieux, il les irritera en appelant un peuple qui n'était point son peuple. Cependant ce livre, qui les déshonore en tant de façons, ils le conservent aux dépens de leur vie. C'est une sincérité qui n'a point d'exemple dans le monde, ni sa racine dans la nature.

Au reste, je ne trouve aucun sujet de douter de la vérité du livre qui contient toutes ces choses; car il y a bien de la différence entre un livre que fait un particulier, et qu'il jette parmi le peuple, et un livre qui fait luimême un peuple. On ne peut douter que le livre ne soit aussi ancien que le peuple.

C'est un livre fait par des auteurs contemporains. Toute histoire qui n'est pas contemporaine est suspecte, comme les livres des sibylles et de Trismégiste; et tant d'autres qui ont eu crédit au monde, et se trouvent faux dans la suite des temps. Mais il n'en est pas de même des auteurs contemporains."

III. Qu'il y a de différence d'un livre à un autre Je ne m'étonne pas de ce que les Grecs ont fait l'Iliade, ni les Egyptiens et les Chinois leurs histoires. Il ne faut que voir comment cela est né.

Ces historiens fabuleux ne sont pas contemporains des choses dont ils écrivent. Homère fait un roman, qu'il donne pour tel; car personne ne doutait que Troie et Agamemnon n'avaient non plus été que la pomme d'or (1). Il ne pensait pas aussi à en faire une histoire, mais seulement un divertissement. Son livre est le seul qui était de son temps la beauté de l'ouvrage fait durer la chose; tout le monde l'apprend et en parle : il faut la savoir; chacun la sait par cœur. Quatre cents ans après, les témoins des choses ne sont plus vivants; personne ne sait plus, par sa connaissance, si c'est une fable ou une histoire on l'a seulement apprise de ses ancêtres, cela peut passer pour vrai.

ARTICLE VIII.

Les Juifs considérés par rapport à notre religion.

I. La création et le déluge étant passés,

(1) On ne peut assurément voir dans cette pomme d'or qu'une allégorie ingénieuse. Mais de ce qu'Homère écrivit trois ou quatre cents ans après l'événement qu'il raconte, de ce qu'il a orné son sujet de toutes les richesses de son imagination, on aurait grand tort de conclure que ce sujet n'est en lui-même qu'une fable, et que Troie n'a pas existé (Edit. de 1822).

et Dieu ne devant plus détruire le monde non plus que le créer, ni donner de ces grandes marques de lui, il commença d'établir un peuple sur la terre, formé exprès, qui devait durer jusqu'au peuple que le Messie formerait par son esprit.

II. Dieu voulant faire paraître qu'il pouvait former un peuple saint d'une sainteté invisible, et le remplir d'une gloire éternelle, a fait dans les biens de la nature ce qu'il devait faire dans ceux de la grâce; afin qu'on jugeât qu'il pouvait faire les choses invisibles, puisqu'il faisait bien les visibles. Il a donc sauvé son peuple du déluge dans la personne de Noé, il l'a fait naître d'Abraham, il l'a racheté d'entre ses ennemis et l'a mis dans le repos.

L'objet de Dieu n'était pas de sauver du déluge et de faire naître d'Abraham, tout un peuple, simplement pour l'introduire dans une terre abondante; mais comme la nature est une image de la grâce, aussi ces miracles visibles sont les images des invisibles qu'il voulait faire.

III. Une autre raison pour laquelle il a formé le peuple juif, c'est qu'ayant dessein de priver les siens des biens charnels et périssables, il voulait montrer, par tant de miracles, que ce n'était pas par impuissance.

Ce peuple était plongé dans ces pensées terrestres que Dieu aimait leur père Abraham, sa chair et ce qui en sortirait; et que c'était pour cela qu'il les avait multipliés et distingués de tous les autres peuples, sans souffrir qu'ils s'y mêlassent: qu'il les avait retirés de l'Egypte avec tous ces grands signes qu'il fit en leur faveur; qu'il les avait nourris de la manne dans le désert; qu'il les avait menés dans une terre heureuse et abondante; qu'il leur avait donné des rois et un temple bien bâti, pour y offrir des bêtes et pour y être purifiés par l'effusion de leur sang, et qu'il devait leur envoyer le Messie pour les rendre maîtres de tout le monde.

Les Juifs étaient accoutumés aux grands et éclatants miracles; et n'ayant regardé les grands coups de la mer Rouge et de la terre de Chanaan que comme un abrégé des grandes choses de leur Messie, ils attendaient de lui encore des choses plus éclatantes, et dont tout ce qu'avait fait Moïse ne fût que l'échantillon.

Ayant donc vieilli dans ces erreurs charnelles, Jésus-Christ est venu dans le temps prédit, mais non pas dans l'éclat attendu; et ainsi ils n'ont pas pensé que ce fût lui. Après sa mort, saint Paul est venu apprendre aux hommes que toutes ces choses étaient arrivées en figures, que le royaume de Dieu n'était pas dans la chair, mais dans l'esprit ; que les ennemis des hommes n'étaient pas les Babyloniens, mais leurs passions; que Dieu ne se plaisait pas aux temples faits de la main des hommes, mais dans un cœur pur et humilié; que la circoncision du corps était inutile, mais qu'il fallait celle du cœur, etc.

IV. Dieu n'ayant pas voulu découvrir ces choses à ce peuple qui en était indigne, et ayant voulu néanmoins les prédire afin

qu'elles fussent crues, en avait prédit le temps clairement, et les avait même quelquefois exprimées clairement; mais ordinairement en figures, afin que ceux qui aimaient les choses (1) figurantes s'y arrélassent, et que ceux qui aimaient les (2) figurées les y vissent. C'est ce qui a fait qu'au temps du Messie les peuples se sont partagés : les spirituels l'ont reçu; et les charnels, qui l'ont rejeté, sont demeurés pour lui servir de témoins.

V. Les Juifs charnels n'entendaient ni la grandeur ni l'abaissement du Messie, prédit dans leurs prophéties. Ils l'ont méconnu dans sa grandeur: comme quand il est dit que le Messie sera seigneur de David, quoique son fils; qu'il est avant Abraham, et qu'il (3) l'a vu. Ils ne le croyaient pas si grand qu'il fût de toute éternité; et ils l'ont méconnu de même dans son abaissement et dans sa mort. Le Messie, disaient-ils, demeure éternellement, et celui-ci dit qu'il mourra. Ils ne le croyaient donc ni mortel ni éternel : ils ne cherchaient en lui qu'une grandeur charnelle.

Ils ont tant aimé les choses figurantes et les ont si uniquement attendues, qu'ils ont méconnu la réalité quand elle est venue dans le temps et en la manière prédite.

VI. Ceux qui ont peine à croire en cherchent un sujet en ce que les Juifs ne croient pas. Si cela était si clair, dit-on, pourquoi ne croyaient-ils pas? Mais c'est leur refus même qui est le fondement de notre croyance. Nous y serions bien moins disposés, s'ils étaient des nôtres. Nous aurions alors un bien plus ample prétexte d'incrédulité et de défiance. Cela est admirable de voir des Juifs, grands amateurs de choses prédites, et grands ennemis de l'accomplissement, et que cette aversion même ait été prédite!

VII. Il fallait que, pour donner foi au Messie, il y eût des prophéties précédentes, et qu'elles fussent portées par des gens non suspects et d'une diligence, d'une fidélité et d'un zèle extraordinaire et connu de toute la terre.

Pour faire réussir tout cela, Dieu a choisi ce peuple charnel auquel il a mis en dépôt les prophéties qui prédisent le Messie comme libérateur et dispensateur des biens charnels que ce peuple aimait; et ainsi il a eu une ardeur extraordinaire pour ses prophètes, et a porté à la vue de tout le monde ces livres où ce Messie est prédit: assurant toutes les nations qu'il devait venir et en la manière prédite dans leurs livres, qu'ils tenaient ouverts à tout le monde. Mais étant déçus par l'avé nement ignominieux et pauvre du Messie, ils ont été ses plus grands ennemis. De sorte

(1) C'est-à-dire les choses charnelies qui servaient de figures.

(2) C'est-à-dire les vérités spirituelles figurées par les choses charnelles.

(3) Ce dernier qu'il pourrait être équivoque s'il n'était déterminé par les textes évangéliques que l'auteur à 11 en vue Abraham, votre père, dit Jésus-Christ, a désiré avec ardeur de voir mon jour, il l'a vu, et il en a été cous blé de joie..... Avant qu'Abraham fût, j'étais. » (Jean, Vill, 38, 58.) — C'est donc Abraham qui a vu (Edit. de 1787).

et

que voilà le peuple du monde le moins suspect de nous favoriser qui fait pour nous, qui, par le zèle qu'il a pour sa loi et pour ses prophètes, porte et conserve avec une exactitude incorruptible, et sa condamnation el nos preuves.

VIII. Ceux qui ont rejeté et crucifié JésusChrist, qui leur a été en scandale, sont ceux qui portent les livres qui témoignent de lui, et qui disent qu'il sera rejeté en scandale. Ainsi ils ont marqué que c'était lui en le refusant; et il a été également prouvé et par les Juifs justes qui l'ont reçu, et par les injustes qui l'ont rejeté : l'un et l'autre ayant été pré

dits.

C'est pour cela que les prophéties ont un sens caché, le spirituel, dont ce peuple était ennemi, sous le charnel qu'il aimait. Si le sens spirituel eût été découvert, ils n'étaient pas capables de l'aimer; et ne pouvant le porter, ils n'eussent pas eu de zèle pour la conservation de leurs livres et de leurs cérémonies. Et s'ils avaient aimé ces promesses spirituelles, et qu'ils les eussent conservées incorrompues jusqu'au Mes sie, leur témoignage n'eût pas eu de force, puisqu'ils en eussent été amis. Voilà pourquoi il était bon que le sens spirituel fût couvert. Mais, d'un autre côté, si ce sens eût été tellement caché, qu'il n'eût point du tout paru, il n'eût pu servir de preuve au Messie. Qu'a-t-il donc été fait? Ce sens a été couvert sous le temporel dans la foule des passages, et a été découvert clairement en quelquesuns outre que le temps et l'état du monde ont été prédits si clairement, que le soleil n'est pas plus clair. Et ce sens spirituel est si clairement expliqué en quelques endroits, qu'il fallait un aveuglenient pareil à celui que la chair jette dans l'esprit, quand il lui est assujetti, pour ne pas le reconnaître.

Voilà donc quelle a été la conduite de Dieu. Ce sens spirituel est couvert d'un autre en une infinité d'endroits, et découvert en quelques-uns, rarement, à la vérité, mais en telle sorte néanmoins, que les lieux où il est caché sont équivoques et peuvent convenir aux deux au lieu que les lieux où il est découvert sont univoques, et ne peuvent convenir qu'au sens spirituel.

De sorte que cela ne pouvait induire en erreur, et qu'il n'y avait qu'un peuple aussi charnel que celui-là qui pût s'y méprendre.

Car quand les biens sont promis en abondance, qui les empêchait d'entendre les véritables biens, sinon leur cupidité, qui déterminait ce sens aux biens de la terre ? Mais ceux qui n'avaient des biens qu'en Dieu, les rapportaient uniquement à Dieu; car il y a deux principes qui partagent les volontés des hommes, la cupidité et la charité. Ce n'est pas que la cupidité ne puisse demeurer avec la foi, et que la charité ne subsiste avec les biens de la terre. Mais la cupidité use de Dieu et jouit du monde; et la charité, au contraire, use du monde et jouit de Dieu.

Or la dernière fin est ce qui donne le nom aux choses. Tout ce qui nous empêche d'y arriver est appelé ennemi. Ainsi les créatures, DEMONST. EVANG. III

2.

quoique bonnes, sont ennemics des justes, quand elles les détournent de Dieu; et Dieu même est l'ennemi de ceux dont il trouble la convoitise.

Ainsi, le mot d'ennemi dépendant de la dernière fin, les justes entendaient par là leurs passions, et les charnels entendaient par là les Babyloniens de sorte que ces termes n'étaient obscurs que pour les injustes. Et c'est ce que dit Isaïe: Signa legem in discipulis meis (Is., VIII, 16); et que JésusChrist sera pierre scandaleuse (Ibid., 14). Mais bienheureux ceux qui ne seront point scandalisés en lui (Matth., XI, 16). Osée le dit aussi parfaitement: Où est le sage, et il entendra ce que je dis; car les voies de Dieu sont droites; les justes y marcheront, mais les méchants y trébucheront (Osée, XIV, 10)?

Et cependant ce testament fait de telle sorte, qu'en éclairant les uns, il aveugle les autres, marquait, en ceux mêmes qu'il aveuglait, la vérité qui devait être connue des autres; car les biens visibles qu'ils recevaient de Dieu étaient si grands et si divins, qu'il paraissait bien qu'il avait le pouvoir de leur donner les invisibles et un Messie.

IX. Le temps du premier avénement de Jésus-Christ est prédit; le temps du second ne l'est point (1), parce que le premier devait être caché; au lieu que le second doit être éclatant et tellement manifeste, que ses ennemis mêmes le reconnaîtront. Mais comme il ne devait venir qu'obscurément et pour être connu seulement de ceux qui sonderaient les Ecritures, Dieu avait tellement disposé les choses, que tout servait à le faire reconnaître. Les Juifs le prouvaient en le recevant; car ils étaient les dépositaires des prophéties; et ils le prouvaient aussi en ne le recevant point, parce qu'en cela ils accomplissaient les prophéties.

X. Les Juifs avaient des miracles, des prophéties qu'ils voyaient accomplir; et la docirine de leur loi était de n'adorer et de n'aimer qu'un Dieu : elle était aussi perpétuelle. Ainsi elle avait toutes les marques de la vraie religion: aussi l'était-elle. Mais il faut distinguer la doctrine des Juifs d'avec la doctrine de la loi des Juifs. Or la doctrine des Juifs n'était pas vraie, quoiqu'elle eût les miracles, les prophéties, et la perpétuité; parce qu'elle n'avait pas cet autre point de n'adorer et de n'aimer que Dieu.

La religion juive doit donc être regardée différemment dans la tradition de leurs saints et dans la tradition du peuple. La morale et la félicité en sont ridicules dans la tradition du peuple; mais elle est incomparable dans celle de leurs saints. Le fondement en est

(1) Au lieu de la négation absolne, l'auteur aurait pu dire ne l'est pas aussi clairement; car les trois temps et demi de Daniel (Dan., VII, 25; et XII, 7), et les quarantedeux mois de S. Jean (poc. XI, 2; et XII, 5) paraissent conduire là, suivant les théologiens. Mais que signifient ces temps et ces mois, c'est ce que l'Ecriture ne dit pas. Jésus-Christ annonce aussi les signes qui précèderont la fin du monde, et il ajoute: «Lorsque vous verrez toutes ces choses, sachez que Fils de l'homme est prés. (Matth. XXIV, 33; Marc.; XIII, 29, L. XXI. 31.) (Edit.de1787).

(Vingt-quatre.)

admirable. C'est le plus ancien livre du monde et le plus authentique; et au lieu que Mahomet, pour faire subsister le sien, a défendu de le lire, Moïse, pour faire subsister le sien, a ordonné à tout le monde de le lire.

XI. La religion juive est toute divine dans son autorité, dans sa durée, dans sa perpétuité, dans sa morale, dans sa conduite, dans sa doctrine, dans ses effets, etc. Elle a été formée sur la ressemblance de la vérité du Messie; et la vérité du Messie a été reconnue par la religion des Juifs, qui en était la figure.

Parmi les Juifs, la vérité n'était qu'en figure. Dans le ciel, elle est découverte. Dans l'Eglise, elle est couverte, et reconnue par le rapport à la figure. La figure a été faite sur la vérité, et la vérité a été reconnue sur la figure.

XII. Qui jugera de la religion des Juifs par les grossiers la connaîtra mal. Elle est visible dans les saints livres et dans la tradition des prophètes, qui ont assez fait voir qu'ils n'entendaient pas la loi à la lettre. Ainsi notre religion est divine dans l'Evangile, les apôtres et la tradition; mais elle est toute défigurée dans ceux qui la traitent mal.

XII. Les Juifs étaient de deux sortes. Les uns n'avaient que les affections païennes, les autres avaient les affections chrétiennes. Le Messie, selon les Juifs charnels, doit être un grand prince temporel. Selon les chrétiens charnels, il est venu nous dispenser d'aimer Dieu, et nous donner des sacrements qui opèrent tout sans nous. Ni l'un ni l'autre n'est la religion chrétienne, ni juive. Les vrais Juifs et les vrais chrétiens ont reconnu un Messie qui les ferait aimer de Dieu, et par cet amour, triompher de leurs ennemis.

XIV. Le voile qui est sur les livres de l'Ecriture pour les Juifs y est aussi pour les mauvais chrétiens, et pour tous ceux qui ne se haïssent pas eux-mêmes. Mais qu'on est bien disposé à les entendre et à connaître Jésus-Christ, quand on se hait véritablement soi-même !

XV. Les Juifs charnels tiennent le milieu entre les chrétiens et les païens. Les païens ne connaissent point Dieu et n'aiment que la terre. Les Juifs connaissent le vrai Dieu et n'aiment que la terre. Les chrétiens connaissent le vrai Dieu et n'aiment point la terre. Les Juifs et les païens aiment les mêmes biens. Les Juifs et les chrétiens connaissent le même Dieu.

XVI. C'est visiblement un peuple fait exprès pour servir de témoin au Messie. Il porte les livres, et les aime, et ne les entend point. Et tout cela est prédit; car il est dit que les jugements de Dieu leur sont confiés, mais comme un livre scellé.

Tandis que les prophètes ont été pour maintenir la loi, le peuple a été négligent. Mais depuis qu'il n'y a plus eu de prophète, le zèle a succédé; ce qui est une providence admirable.

XVII. La création du monde commençant à s'éloigner, Dieu a pourvu d'un historien contemporain, et a commis tout un peuple

pour la garde de ce livre, afin que cette bistoire fût la plus authentique du monde, et que tous les hommes pussent apprendre une chose si nécessaire à savoir, et qu'on ne peut savoir que par là.

cela

XVIII. Moïse était habile homme est clair. Donc, s'il eût eu dessein de tromper, il eût fait en sorte qu'on n'eût pu le convaincre de tromperie. Il a fait tout le contraire; car, s'il eût débité des fables, il n'y eût point eu de Juif qui n'en eût pu reconnaftre l'imposture.

Pourquoi, par exemple, a-t-il fait la vie des premiers hommes si longue, et si peu de de générations? Il eût pu se cacher dans une multitude de générations, mais il ne le pouvait en si peu; car ce n'est pas le nombre des années, mais la multitude des générations, qui rend les choses obscures.

La vérité ne s'altère que par le changement des hommes. Et cependant il met deux choses les plus mémorables qui se soient jamais imaginées, savoir, la création et le déluge, si proches, qu'on y touche par le peu qu'il fait de générations. De sorte qu'au temps où il écrivait ces choses, la mémoire devait encore en être toute récente dans l'esprit de tous les Juifs.

Sem, qui a vu Lamech, qui a vu Adam, a vu au moins Abraham; et Abraham a vu Jacob, qui a vu ceux qui ont vu Moïse. Done le déluge et la création sont vrais. Cela conclut entre de certaines gens qui l'entendent bien.

La longueur de la vie des patriarches, au lieu de faire que les histoires passées se perdissent, servait au contraire à les conserver. Car ce qui fait que l'on n'est pas quelquefois assez instruit dans l'histoire de ses ancêtres, c'est qu'on n'a jamais guère vécu avec eux, et qu'ils sont morts souvent avant que l'on eût atteint l'âge de raison. Mais lorsque les hommes vivaient si longtemps, les enfants vivaient longtemps avec leurs pères; et ainsi ils les entretenaient longtemps. Or de quoi les eussent-ils entretenus sinon de l'histoire de leurs ancêtres; puisque toute l'histoire était réduite à celle-là, et qu'ils n'avaient ni les sciences ni les arts qui occupent une grande partie des discours de le vie? Aussi l'on voit qu'en ce temps-là les peuples avaient un soin particulier de conserver leurs généalogies.

XIX. Plus j'examine les Juifs, plus jy trouve de vérités; et cette marque quis sont sans prophètes ni roi, et qu'étant nos ennemis ils sont d'admirables témoins de la vérité de ces prophéties où leur vie et leur aveuglement même est prédit. Je trouve en cette enchâssure cette religion toute divine dans son autorité, dans sa durée, dans sa perpétuité, dans sa morale, dans sa conduite, dans ses effets. Et ainsi je tends les bras à mon libérateur, qui, ayant été prédit durant quatre mille ans, est venu souffrir et mourir pour moi sur la terre dans les temps et dans toutes les circonstances qui en ont été prédites, et, par sa grâce, j'attends la mort en paix dans l'espérance de lui être éternellement uni; et je vis

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