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s'être assuré, qu'ils s'étaient abstenus du commerce des femmes : tout cela n'était que des figures. L'Eglise qui sait que ses ministres doivent être plus purs et plus parfaits que ceux de l'ancienne loi, a très-sagement ordonné que les prêtres, qui n'ont pas seulement des jours particuliers, mais qui peuvent être tous les jours appliqués à l'autel et au Saint des Saints, soient aussi dans une continuelle et parfaite pureté outre que le mariage divisant ceux qui sont mariés, et partageant leurs soins (En la I. aux Cor. c. VII, v. 32 et suivants) entre Dieu et leurs familles, n'est point un état propre aux prêtres, qui étant entièrement consacrés à Dieu, ne doivent point étre embarrassés des affaires séculières.

On fait encore une querelle à l'Eglise catholique touchant les vœux monastiques. L'on ne peut pas condamner les vœux en général. L'Ecriture sainte est remplie de témoignages qui prouvent que les vœux sont agréables à Dieu. Mais pour les vœux monastiques en particulier, on ne peut les blâmer, qu'on ne condamne la liberté que ceux du peuple de Dieu avaient autrefois de se (Aux Nombr. ch, VI, dans tout le chap.) consacrer à lui par des vœux solennels, et la pratique des Nazaréens. Dans la nouvelle loi les veuves, dont saint Paul fait mention,

s'obligeaient par vœu à la viduité. (En la 1. à Tim. ch. V, v. 3, 7, 11 et 12), Ce qui se faisait saintement dans ces temps apostoliques, s'est fait dans la suite avec plus d'étendue.

Enfin quant au service divin en langue non vulgaire, comme l'Ecriture n'a rien prescrit de précis pour cela, l'Eglise en a la pleine et libre disposition. Ce qu'on allègue de saint Paul ne regarde point la liturgie, mais le don des langues, que Dieu accordait en ce temps-là pour l'édification des fidèles. Et quand on voudrait appliquer cela à la liturgie, l'Apôtre fournit lui-même la réponse, en disant que, si l'on n'entend pas la langue en laquelle on parle dans l'Eglise, il faut (En la 1. aux Cor. lisez tout le ch. XIV), l'interpréter, et que cette interprétation édifie. Or on fait voir dans le système qu'on ne manque point d'interprétation par les instructions pastorales, par les sermons et par les traductions fidèles et approuvées, et de l'Ecriture et des offices divins.

Après les éclaircissements de cette addition, l'on ne croit pas qu'on puisse accuser l'auteur du système d'avoir rien avancé qui soit éloigné de l'Ecriture; et qu'on ne doive au contraire avouer que toute sa doctrine est conforme àce divin dépôt de la parole de Dieu, et appuyée même formellement sur son témoignage.

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PASCAL (BLAISE) naquit à Clermont en Auvergne, le 19 juin 1623, d'un président à la cour des aides. Les mathématiques eurent pour lui un attrait singulier; mais son père fui en cacha avec soin les principes, de peur qu'elles ne le dégoûtassent de l'étude des langues. Le jeune Pascal, gêné dans son goût pour la géométrie, ne devint que plus ardent à l'apprendre, et il y réussit à un certain point, de même que dans la physique. Son Traité de l'Equilibre des liqueurs, et les Problèmes qu'il a résolus sur la cycloïde, prouvent que, s'il avait vécu plus longtemps, il aurait excellé dans les sciences auxquelles il s'était consacré. Voilà l'éloge que l'on doit à ses talents. Mais lorsqu'on dit que, dès l'âge le plus tendre, Pascal, sans le secours d'aucun livre, et par les seules forces de son génie, parvint à découvrir et à démontrer toutes les propositions du premier livre d'Euclide jusqu'à la 32, on répond qu'un homme de ce mérite n'a pas besoin de panégyriques fondés sur des fables inventées à plaisir lorsqu'on veut faire regarder Pascal comme l'auteur du sentiment de la gravité de l'air, parce qu'il a fait faire à M. Périer, son beau-frère, cette expérience sur le Puy-de-Dôme, on répond que cette expérience est de Descartes, qui, deux ans auparavant, le pria de la vouloir faire (comme il est marqué dans la lettre 77, t. I, de ce philosophe), et que d'ailleurs

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cetle expérience n'est qu'une suite de celle de Torricelli; lorsqu'enfin on raconte que Pascal dès l'âge de 16 ans, composa un Traité des sections coniques, qui fut admiré de tous les savants géomètres, on répond avec Descartes, dans sa 38 lettre au père Mersenne, tom. III, que c'était une simple révision du traité de M. Des-Argues. « J'ai aussi reçu, dit Descartes dans cette lettre l'Essai touchant les coniques du fils de M. Pascal; et, avant que d'en avoir lu la motié, j'ai jugé qu'il avait pris presque tout de M. Des-Argues, ce qui m'a été confirmé incontinent après par la confession qu'il en fit lui-même. » Pascal continuant à se faire de la réputation, se retira à Port-Royal-des-Champs, et se consacra dans cette retraite à l'étude de l'Ecriture sainte. Les solitaires qui habitaient ce désert étaient alors dans l'ardeur de leurs disputes avec les jésuites. Ils cherchaient toutes les voies de rendre ces pères odieux : Pascal fit plus, aux yeux des Français, il les tourna en ridicule. Ses 18 Lettres provinciales parurent toutes in-4°, l'une après l'autre, depuis le mois de janvier 1656, jusqu'au mois de mars de l'année suivante. Elles sont un mélange de plaisanterie fine et de satire violente; avant d'être publiées, elles furent revues par Arnauld et Nicole. On prétend que Bossuet, interrogé lequel de tous les ouvrages écrits en français il aimerait mieux

avoir fait, répondit, les Provinciales. C'est Voltaire qui rapporte cette anecdote; il cite pour garant Bussi-Rabutin, évêque de Luçon, de qui, dit-il, il l'avait entendu dire. Pour la vérifier, il aurait fallu rappeler à la vie cet évéque (1). Telles sont les preuves de Voltaire, et c'est sur sa parole que la plupart des lexicographes répètent des assertions si peu vraisemblables. Les gens sensés savent qu'il ne faut jamais se défier plus de cet homme que quand il affirme quelque chose avec plus d'assurance. Les Provinciales furent foudroyées par la puissance ecclé siastique et par la puissance civile. Le pape, le conseil d'Etat, des parlements, des évêques, les condamnèrent comme un libelle diffamatoire. Le parlement d'Aix les fit brùler par le bourreau le 9 février 1657; mais tous ces anathèmes ne servirent qu'à les répandre. «Vous semble-t-il, dit Racine, que les Lettres provinciales soient autre chose que des comédies? L'auteur a choisi ses personnages dans les couvents et dans la Sorbonne. Il introduit sur la scène tantôt des jacobins et tantôt des docteurs, et toujours des jésuites. Le monde en a ri pendant quelque temps, et le plus austère janséniste aurait cru trahir la vérité, que de n'en pas rire.>> (Lettre de M. Racine, ou Réplique aux Réponses de MM. Dubois et Barbier d'Aucour, dans l'Abrégé de l'Histoire de Port-Royal, Cologne, 1770, p. 73). Ajoutons à ce jugement de Racine celui de Voltaire ( Siècle de Louis XIV): «Il est vrai, dit cet auteur, que tout le livre porte à faux. On attribuait adroitement à toute la société des opinions extravagantes de quelques jésuites espagnols et flamands. On les aurait déterrées aussi bien chez les casuistes dominicains et franciscains; mais c'était aux seuls jésuites qu'on en voulait. On táchait, dans ces Lettres, de prouver qu'ils avaient eu un dessein formé de corrompre les hommes ; dessein qu'aucune société n'a jamais eu et ne peut avoir.»

(1) Foisset, dans la notice que nous empruntons ci-après aux annales de Philosophie chrétienne, fait porter le juge ment de Bossuet sur les Pensées au lieu des Provinciales, ce qui paraît en effet plus conforme au caractère de l'illustre orateur.

L'auteur des Provinciales se brouilla avec ses intimes amis, parce qu'il changea de sentiment au sujet de la signature du Formufaire. Cependant Pascal dépérissait tous les jours; sa santé s'affaiblissait, et son cerveau se sentit de cette faiblesse. Il croyait toujours voir un abîme à son côté gauche; il y faisait mettre une chaise pour se rassurer. Ses amis, son confesseur, son directeur, avaient beau calmer ses alarmes, il se tranquillisait pour un moment, et l'instant d'après il creusait de nouveau le précipice (1). Il croyait aussi avoir eu une extase ou vision, dont il conserva la mémoire le reste de ses jours, dans un papier qu'il portait toujours sur lui, entre l'étoffe et la doublure de son habit.

Pascal mourut à Paris en 1662, à 39 ans. Outre les ouvrages dont nous avons parlé, on a de lui: des Pensées recueillies et données au public depuis sa mort, en 1670, en un vol. in-12. Ce sont différentes réflexions sur le christianisme. Il avait projeté d'en faire un ouvrage suivi; ses infirmités l'empêchèrent de remplir ce dessein. Un traité de l'Equilibre des liqueurs, in-12; quelques autres écrits pour les curés de Paris contre l'Apologie des casuistes du P. Pirot. Les éditions les plus recherchées des Provinciales sont, celle qui fut imprimée en quatre langues, à Cologne en 1684, in-8°; celle in-12, en français seulement, sans notes, imprimée à Cologne en 1657, et celle d'Amsterdam en 4 vol. in-12, 1739, avec les notes de Nicole, qui s'est caché sous le nom de Wendrock, comme Pascal sous celui de Louis Montalte. L'abbé Bossut, de l'académie des sciences, publia en 1779 une édition des OEuvres de Pascal, 5 vol. in8° : nous en avons, depuis, plusieurs autres, notamment celle de Paris, Didot, 1816, 2 vol. in-8°. M. Raymond a publié un éloge de Blaise Pascal, qui a été couronné par l'académie des Jeux Floraux de Toulouse, 1816.

(Extrait du Dictionnaire historique de Feller, édition de 1833. )

(1) On raconte qu'un jour les chevaux de sa voiture s'étant emportés au pont de Neuilly, il fut sur le point d'être précipité dans la rivière. C'est de ce moment que date cette espèce de terreur qui l'assiégea pendant tout le reste de sa vie.

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sans ordre quelconque et sans suite aucune,
quantité de chiffons de dimensions diverses,
ious précieux, puisque ce haut génie y avait
laissé empreints des éclairs de sa pensée, mais
tous à peu près illisibles. Ses amis de Port-
Royal y jetèrent les yeux, et familiers qu'ils
étaient avec les traits les plus informes de son
écriture, ils déchiffrèrent quelques-uns de ces
fragments, et y reconnurent avec admiration
autant de pierres d'attente du monument que
Pascal voulait élever à la vérité du dogme
chrétien. Confidents intimes de ce grand des-
sein, ils furent si frappés de ce qu'il se révé-
lait de vigueur et de puissance dans ce que la
mort en avait épargné, qu'ils s'empressèrent
de recueillir ces notes éparses, ces indications
hatives, haletantes, écourtées, écrites en de
rares et brefs intervalles pour fixer des sou-
venirs sans cesse troublés par d'atroces dou-
leurs.

NOTICE HISTORIQUE SUR LES PRINCIPALES ÉDITIONS DES PENSÉES DE PASCAL. 610

« La première chose que l'on fit (c'est PortRoyal qui parle), fut de faire copier ces petits morceaux de papier tels qu'ils étaient, et dans la même confusion qu'on les avait trouvés. Mais lorsqu'on les vit en eet état, et qu'on eut plus de facilité de les lire et de les examiner que dans les originaux, ils parurent d'abord si informes, si peu suivis, ei la plupart si peu expliqués, qu'on fut fort longtemps sans penser du tout à les faire imprimer...... Enfin on fut obligé de céder à l'impatience et au grand désir que tout le monde témoignait..., et ainsi on se résolut de les donner au public. »

Ainsi l'édition de Port-Royal, qui aurait dú étre une œuvre de piété amicale et d'enthousiasme chrétien, ne fut qu'un acte de tardive condescendance, j'ai presque dit de résignation. En ces temps de sérieux respect pour le public, on ne savait comment lui offrir des matériaux bruts, non disposés encore par l'architecte, non polis par la main assidue de l'ou vrier. « La première manière de l'exécuter qui vint dans l'esprit, et qui était sans doute la plus facile, était de les faire imprimer tout de suite dans le même état qu'on les avait trouvés. Mais l'on jugea bientôt que de le faire de cette sorte, c'eût été perdre presque tout le fruit qu'on en pouvait espérer...... Il y avait une autre manière, qui était d'y travailler auparavant, d'éclaircir les pensées obscures, d'achever celles qui étaient imparfaites; et en prenant dans tous ces fragments le dessein de M. Pascal, de suppléer en quelque sorte l'ouvrage qu'il voulait faire. Cette voie eût été assurement la plus parfaite; mais il était aussi très-difficile de la bien exécuter.... Ainsi l'on a choisi une manière entre deux. L'on a pris seulement dans ce grand nombre de pensées celles qui ont paru les plus claires et les plus achevées, et on les donna telles qu'on les avait trouvées, sans y rien ajouter, ni changer; si ce n'est qu'au lieu qu'elles étaient sans suite, sans liaison et dispersées confusément de côté et d'autre, on les a mises dans quelque sorte d'ordre, et réduit sous les mêmes titres celles qui étaient sur les mêmes sujets et l'on a supprimé toutes les autres qui étaient ou trop obscures ou trop imparfaites. »

Du propre aveu de MM. de Port-Royal,

leur édition est donc une édition tronquée, incomplète, et, notez ce point-ci, en dehors du plan de Pascal.

Non certes que ce plan fût ignoré d'eux : ils consacrent au contraire la meilleure part de leur préface à l'exposer avec détail, d'après un entretien de l'auteur, antérieur à sa dernière maladie. Et savez-vous ce qu'ils ajoutent? « Il ne faut pas s'étonner si, dans le peu qu'on en donne (il s'agit des Pensées), on n'a pas gardé son ordre et sa suite pour la distribution des matières. Comme on n'avait presque rien qui se suivit, il eût été inutile de s'attacher à cet ordre. On espère même qu'il y aura peu de personnes qui, après avoir bien conçu une fois le dessein de M. Pascal, ne suppléent d'elles-mêmes au défaut de cet ordre; et qui, en considérant avec attention les diverses matières répandues dans ces fragments, ne jugent facilement où elles doivent être rapportées suivant l'idée de celui qui les avait écri

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tes.»

Ainsi les solitaires de Port-Royal conviennent que le plan de leur édition n'a rien de commun avec celui de l'auteur, et, chose naïve, ils se sont abstenus de suivre ce plan, à raison de la facilité même avec laquelle il pouvait étre rétabli.

El ce n'est pas l'unique défaut de l'édition princeps des Pensées. Les amis de Pascal en avaient supprimé un assez grand nombre. Bien plus, malgré le témoignage qu'ils se rendent de n'avoir rien changé à celles qu'ils publient, les manuscrits attestent que les premiers éditeurs en ont modifié quelques-unes. La hardiesse, tranchons le mot, la témérité apparente de plusieurs de ces pensées, pouvait servir des passions alors flagrantes. Port-Royal, suspect à plus d'un titre, Port-Royal, foyer d'une double opposition, politique et religieuse, devait craindre de confirmer et d'irriter les préventions toutes-puissantes du grand Roi. Le 20 novembre 1668, Arnauld écrivait au beau-frère de Pascal (Ch. Périer): « Il ne « faut pas être si difficile, ni si religieux à « laisser un ouvrage comme il est sorti de la « main de l'auteur, quand on le veut exposer « à la censure publique. On ne saurait être « trop exact quand on a affaire à des enne« mis d'aussi méchante humeur que les nô« tres. Il est bien plus à propos de prévenir « les chicanes, que de se réduire à la néces«sité de faire des apologies. » Voilà sous l'influence de quelles préoccupations les Pensées parurent pour la première fois, en 1670. De notables fragments sur l'impuissance de la raison humaine dans la sphère métaphysique et sur ses incertitudes dans l'édifice de nos institutions civiles, manquent à cette édition comme à toutes celles qui ont suivi durant un demi-siècle.

Toutefois, rendons grâces à Port-Royal : tout défectueux que fût ce petit volume, il n'en sauvait pas moins de l'oubli un des trois plus mémorables monuments de la langue fran çaise, et l'élan le plus admirable peut-être qu ait transporté jamais un génie d'homme. Aussi telle fut la fortune de ce livre que, dès son ap parition, il fut placé à une incomparable hou

tour dans l'estime publique, et qu'il n'en a pas déchu un seul jour. On demandait à Bossuet quel était l'ouvrage ancien ou moderne qu'il aimerait le mieux avoir fait les Pensées de M. Pascal, répondit le grand homme. Et l'un des docteurs de Sorbonne, à qui le manuscrit avait été soumis écrivait dans son approbation ces magnifiques paroles: « Il semble que cet homme incomparable non seulement voit comme les anges les conséquences dans leurs principes, mais qu'il nous parle comme ces purs esprits, par la seule direction de ses pensées.» II. SUPPLÉMENT DE DESMOLETS.—MANUSCRITS DE PASCAL.

En 1728, dans le 5 tome des Mémoires de littérature et d'histoire, espèce de garde-meuble littéraire où s'enfouissaient des débris de portefeuilles assez mélés, les curieux lurent le titre suivant: OEuvres posthumes, ou suite des Pensées de M. Pascal, extraites du manuscrit de M. l'abbé Périer, son neveu. Les curieux furent peu touchés de cette découverte, car c'en était une, et l'on continua de réimprimer l'édition de Port-Royal, sans tenir grand compte des Pensées jusqu'alors inédites qui enrichissaient en assez grand nombre le répertoire dont je viens de parler, non plus que d'un entretien fort remarquable de Pascal avec Sacy, sur Epictète et Montaigne, qui se trouve inhumé dans le même volume.

On avait pourtant quelque obligation au père Desmolets, bibliothécaire de la maison de l'Oratoire à Paris, pour le double présent qu'il venait de faire à la philosophie et aux lettres. L'entretien avec le Maistre de Sacy est une clé fort importante pour le livre des Pensées. Epictète et Montaigre y sont considérés comme la dernière et la plus complète expression de deux sectes dont l'une s'appuie sur la grandeur, et l'autre sur la faiblesse de l'homme; deux thèses également incontestables, également invincibles, et qui ne peuvent être conciliées que par la révélation. Si M. Ch. Nodier (je dis M. Nodier le bibliographe, car il y en a plusieurs) avait eu cette pièce présente à l'esprit, les Questions de littérature légale n'eussent point eu le tort grave de dénoncer Pascal comme un plagiaire, pour quelques citations de Montaigne, plus ou moins littérales, que le grand homme destinait à justifier son point de vue sur ce philosophe, et qui. égarées parmi les chiffons dont est sorti le livre des Pensées, ont été confondues par les premiers éditeurs (lecteurs peu assidus de Montaigne) avec l'œuvre originale et tout à fait supérieure qu'ils offraient au public. Ce même entretien avec Sacy parut de nouveau en 1736, avec quelques variantes, dans le second tome des Mémoires de Nicolas Fontaine pour servir à l'histoire de Port-Royal. Mais ce qui est demeuré propre au P. Desmolets, c'est la publication d'un certain nombre de Pensées dont quelques-unes (et ce ne sont pas les moins importantes) ont été négligées par les éditeurs subséquents et par Bossul lui-même. Nous citerons entre autres les trois derniers mots de cette phrase de Pascal: S'il y a un Dieu, il est infiniment incompré

.

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Un autre service rendu par le père Desmolets, c'était la révélation d'une source demeurée inconnue et qu'il n'a probablement pas épuisée; je parle du manuscrit de l'abbé Périer, neveu maternel de Pascal. De quelles mains Desmolets tenait-il ce manuscrit ? Peutêtre de l'abbé Périer lui-même, tout au moins de ses héritiers immédiats. Ce fut la destinée de ce digne oratorien d'étre favorisé de beaucoup de confidences semblables: Mallebranche, le père Lami, d'autres encore, le firent dépositaire de ceux de leurs manuscrits_qu'ils n'avaient pas eu le temps de publier. Bibliothécaire d'une congrégation savante, qui ne passait point pour hostile au jansénisme, sa position dut être un titre de plus à la confiance de la famille de Pascal. Son supplément au livre des Pensées n'a pu toutefois lut coûter beaucoup de peine. Aucune trace d'un classement, ni d'un arrangement quelconque: les matières viennent comme les notes éparses de l'auteur sont tombées sous la main du copiste. De brèves indications marginales sur l'objet de chaque pensée sont tout le travail de l'éditeur.

III.-ÉDITION DE CONDORCET.

Cinquante ans passèrent encore sans qu'on remuat la cendre de Pascal. On était en plein 18 siècle, lorsqu'en 1776, le marquis de Condorcet, secrétaire perpétuel de l'académie des sciences, prit à táche d'en finir avec la seule renommée chrétienne qui imposát encore aux géomètres, et donna le volume intitulé Eloge et Pensées de Pascal, qui mérita l'honneur d'être annoté par Voltaire en 1778. Cette falsification est dès longtemps jugée. On ne croit plus aujourd'hui que Condorcet fuût le secrétaire de Marc-Aurèle, ni qu'il ait été si supérieur au secrétaire de Port-Royal, comme Voltaire le dit dans ses notes. On n'approuve plus qu'un éditeur, quel qu'il soit, se substitue à l'auteur, et qu'en publiant un livre aussi intimement chrétien que celui de Pascal, on se croie permis de mutiler ses vues sur l'Ecriture, et de retrancher tout un ensemble de considérations sur la personne de J.-C.

Mais le vice radical du remaniement de Condorcet fut d'imaginer un ordre double de Pensées, les unes purement philosophiques et morales, les autres relatives à la religion, el de scinder ainsi l'unité du dessein de Pascal jusqu'à le rendre méconnaissable. Conçoit-on, par exemple, que cinq des fameux chapitres sur l'homme, si hautement, si profondément inspirés et dominés par la foi au dogme de la chute originelle, soient entièrement séparés par Condorcet du sixième chapitre, qui a pour titre : Contrariétés étonnantes dans la nature de l'homme? Les uns sont classés dans la première partie de l'édition de 1776, l'as

tre dans la seconde. Ainsi Pascal parle-t-il tour à tour de la grandeur de l'homme et de sa faiblesse, de son orgueil et de ses misères : il ne fait que de la morale. Mais résume-t-il sa pensée et repasse-t-il comme à la fois toutes ces contrariétés, il fait de la religion. La belle chose que la philosophie ! comme disait M.Jourdain.

Je n'ai garde, au reste, de calomnier personne; et quand je reproche à Condorcet d'avoir falsifié Pascal, je n'entends pas dire qu'il ait altéré le texte autrement que par des interversions et des suppressions, ce qui est bien, certes, la manière de falsifier la plus adroite. A cela près, l'édition de Condorcet est fidèle; il a généralement conservé les leçons originales, se bornant à mettre en relief le côté sceptique du livre, et à donner le change sur la pensée fondamentale qui en est l'âme, en rejetant toute la partie religieuse sur les derniers plans. L'éditeur tient fort à prouver d'ailleurs que la faiblesse de l'homme, ses vices et ses crimes ne viennent point de sa déchéance primitive, mais des institutions sociales. Seulement il oublie de démontrer que ces institutions si perverses ne viennent pas de l'homme, et que sa faiblesse n'y soit pour rien. La naïveté est forte: mais qui ferait l'histoire des distractions que donne l'esprit de parti, dirait vraiment des choses incroyables.

IV.

ÉDITION DE L'ABBÉ BOSSUT.

Trois années après la publication de Condorcet, Pascal eut enfin pour la première fois les honneurs d'une édition complète. Les Pensées y trouvèrent leur place. Jamais le texte n'en avait paru aussi épuré, aussi complet. Port-Royal avait, à peu près sans motifs, écarté des dissertations d'un intérêt élevé et d'une assez grande étendue sur l'autorité en matière de philosophie, par exemple, sur la géométrie en général et sur l'art de persuader: tous morceaux plus précieux que je ne puis dire, par l'exquise justesse et la singulière vigueur de raison qui les distinguent. L'abbé Bossut les inséra judicieusement dans son recueil.

Cette édition a généralement servi de modèle à toutes celles qui ont suivi; il y eut bien, jusque dans le xix siècle, des réimpressions du travail de Condorcet; bien plus, en 1783, un père André, de l'Oratoire, ex-bibliothécaire du chancelier d'Aguesseau, ex-éditeur de ses

auvres, et auteur de je ne sais quelle réfutation de l'Emile, fit réimprimer les Pensées suivant l'ordre de Port-Royal, non pourtant suns jeter à la suite, à titre de suppléments, les nombreuses additions empruntées par Bossut aux manuscrits originaux. Mais autant le bon oratorien, dans la première série, est fidèle à l'ombre de Port-Royal, autant, dans le supplément, s'attache-t-il jusqu'au scrupule, à la double division suivie par Condorcet et par Bossut; ce qui fait un admirable chaos. Le débit du livre n'en fut que plus prompt, et l'édition du P. André fut reproduite par la presse en 1787.

Vinrent ensuite MM. Renouard et Lefèvre, qui d'abord réimprimèrent le texte de Bossut, et finirent par l'allonger de quelques nouvelles pensées qu'ils avaient pris la peine d'extraire des manuscrits de Pascal, déposés à la bibliothèque du roi. Une de ces pensées est celleci: « Est fait prêtre maintenant qui veut l'étre, comme dans Jeroboam. » Il ne faut pas trop en vouloir aux précédentes éditions d'avoir négligé de parcils non-sens. Une autre particularité des éditions de M. Renouard, comme de celle de M. Lefèvre, c'est d'avoir pris au P. André une des imaginations les plus bouffonnes qui se puissent concevoir. Tous ces éditeurs mettent dans la bouche d'un incrédule qu'ils donnent pour interlocuteur à Pascal, toutes les pensées de Pascal lui-même, sur l'inefficacité des preuves communément reçues touchant l'existence de Dieu. L'incrédule et Pascal prennent tour à tour la parole, mais en ayant l'attention de ne point se répondre; c'est une série de monologues parallèles, véritables à parte de théâtre, qui pourraient se prolonger indéfiniment sans que la question eût fait un seul pas. Ainsi, l'incrédule dit : « S'il y a un Dieu, il est infiniment imcompréhensible, » et Pascal répond: Je n'entreprendrai pas ici de prouver la Trinité par des raisons naturelles, bien que son adversaire n' ait pas dit un mot de la Trinité. Sur quoi, l'incrédule s'écrie: «C'est une chose admirable que jamais auteur canonique ne s'est servi de la nature pour prouver Dieu; il fallait qu'ils fussent plus habiles que les plus habiles gens qui sont venus depuis; » et ainsi de suite.

Préface ),

(Th. FOISSET, Annales de philosophie chrétienne, tom. 11, pag. 8 et suiv.).

OU L'ON FAIT VOIR DE QUELLE MANIÈRE CES PENSÉES ONT ÉTÉ ÉCRITES ET RECUEILLIES; CE QUI EN A FAIT RETARDER L'IMPRESSION; QUEL ÉTAIT LE DESSEIN DE L'AUTEUR DANS CET OUVRAGE, ET COMMENT IL A PASSÉ LES DERNIÈRES ANNÉES DE SA VIE.

Pascal, ayant quitté fort jeune l'étude des mathématiques, de la physique et des autres

sciences profanes, dans lesquelles il avait fait un si grand progrès, commença, vers la

(1) Composée pour la première édition des Pensées publiée en 1669. DEMONST. EVANG. III.

(Vingt)

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