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l'inondation du déluge, qu'une petite portion de terre qu'habitaient ceux de Sodome, reçut depuis par le feu?

CHAPITRE II.

Que c'est contre la vérité de soutenir qu'il
y ail eu une infinité de personnes qui aient
suivi la seule lumière naturelle le che-
par
min étroit du paradis, avant que Jésus-
Christ füt venu le tracer par son exemple
et par son sang.

C'est donc sans fondement qu'on ose dire qu'une infinité de personnes, depuis Adam jusqu'à Abraham, qui viclèrent le droit de la nature, ne laissèrent pas d'être du nombre des élus, ayant fait d'ailleurs quantité d'actions vertueuses, et que leur repentance imaginaire leur ait obtenu de la miséricorde de Dieu la rémission de leurs péchés. Car s'il est fort aisé d'attribuer ainsi le salut éternel à une infinité de personnes, et de s'imaginer vainement avoir entre ses mains les clés du ciel pour l'ouvrir à qui l'on veut, il n'est pas si aisé de le prouver. En effet ce que Jésus-Christ marque dans l'Evangile, de la difficulté qu'il y a d'entrer et de marcher dans la voie qui y conduit, qu'il assure être si étroite, qu'il faut faire violence pour y entrer, fait bien voir que sa doctrine ne s'accorde pas avec le sentiment de ces auteurs du salut des païens, qui veulent nous faire accroire que le chemin du ciel est si aisé, si large et si facile à tenir, qu'avant même que le Fils de Dieu nous le fût venu tracer par son exemple et par son sang, la seule lumière de la raison y faisait marcher un nombre infini de païens, et les redressait facilement lorsqu'ils s'étaient égarés.

Il faut donc nous en tenir à la parole de Jésus-Christ et à ce que l'Ecriture sainte nous enseigne, qui est bien contraire à toules ces imaginations pélagiennes, et qui nous apprend que dans ces premiers temps du monde la connaissance et l'adoration du vrai Dieu était demeurée en peu de familles, tout le reste des hommes vivant selon l'inclination de la nature corrompue, comme saint Paul nous en assure, lorsqu'il dit (Act., XIV): In præteritis generationibus dimisit omnes gentes ingredi vias suas, que Dieu avait laissé toutes les nations marcher dans leurs propres voies avant la venue de JésusChrist, el (Rom., V): Regnavit mors ab Adam usque ad Moysen, que la mort avait régné depuis Adam jusqu'à Moise. C'est ce qui a fait dire à saint Bernard, que Dieu à peine commença à se rendre pitoyable au temps de son ami Abraham, et à saint Chrysostome, que ces anciens justes, comme Noé, Abrabam, Loth et Moïse ne sont pas tant admirables pour avoir vécu saintement, que pour avoir vécu dans un temps où l'on ne trouvait personne qui fût dans la bonne voie. Ainsi, dit ce saint docteur, ils ont été comme des étoiles dans une obscure nuit, comme des roses entre des épines, comme des brebis au milieu d'une infinité de loups, et ils

ont marché dans des voies entièrement opposées à celles du reste des hommes.

Et c'est en vain qu'on allègue pour appuyer ce sentiment, que Dieu n'a point d'égard à la condition des personnes, et qu'il ne dénie jamais sa grâce et son assistance spéciale aux vertueux, de quelque condition qu'ils soient, et en quelque temps qu'ils aient été. Mais il n'y a qu'à répondre que si le Sauveur du monde recommandait autrefois à ses disciples avec tant de soin, de se donner de garde du levain des pharisiens: Cavete a fermento pharisæorum (Matth., XVI), nous n'avons pas moins sujet de recommander aux fidèles de ce temps-ci de se donner de garde du levain des pélagiens: Cavete a fermento pelagianorum.

En effet, on ne saurait plus visiblement renouveler les erreurs de ces hérétiques, qu'en disant que Dieu ferait acception des personnes, s'il ne donnait sa grâce et son assistance spéciale aux païens vertueux en apparence. Car il est constant que c'est là un des principaux points que toute l'Eglise a eu le plus en horreur dans les pélagiens, et c'est dire comme eux, que la grâce se donne selon les mérites et les bonnes œuvres faites par les forces de la nature; et ainsi faire que la grâce ne soit plus grâce, suivant cette décision de saint Paul, si claire et si précise: Si autem gratia, jam non ex operibus; alioquin gratia, jam non est gratia (Rom.. XI).

Mais l'Eglise a toujours répondu que le vice d'acception des personnes n'a lieu qu'en des choses qui sont dues; et que comme la grâce n'est due à personne depuis le péché d'Adam qui nous a tous rendus dignes de la colère de Dieu, comme dit saint Paul, Dieu donne et refuse sa grâce à qui il lui plaît, sans pouvoir être accusé de faire acception de personnes, dit saint Augustín (Lib. II, ad Bonif., c. 7), lorsque de deux débiteurs également redevables, on remet à l'un, et on exige de l'autre ce qui est également dû par tous les deux Nulla est acceptio personarum in duobus debitoribus æqualiter reis, si alteri remittitur, alteri exigitur, quod pariter ab utroque debetur: quoniam quod ab iræ vasis exigit justitia punientis, hoc vasis misericordiæ dimittit gratia liberantis.

Mais les auteurs qui tiennent le salut des païens, ont d'autant moins de raison de soutenir que Dieu n'a pas dénié l'assistance de ses grâces spéciales aux païens qui l'ont invoqué et qui ont vécu moralement bien, qu'ils sont obligés de reconnaître par l'autorité des conciles, que toutes ces vertus païennes ensemble ne sont pas suffisantes pour nous concilier cette grâce qui est un pur don du ciel. Et ce qui fait voir combien ces auteurs sont éloignés de l'esprit de vérité, et ne sont poussés que par l'esprit d'erreur et de mensonge; c'est qu'on voit qu'ils embrassent les erreurs comme des vérités, et rejettent les vérités comme des erreurs : en sorte qu'ils bâtissent et détruisent en mẻme temps. Car nous avons vu qu'ils prétendent trouver dans les païens ces vertus théo logales qui nous viennent de l'infusion divine

pour une fin surnaturelle et particulièrement l'amour de Dieu sur toutes choses. Ils ajoutent qu'ils ne croient pas que cet amour de Dieu sur toutes choses soit une disposison à la grâce, ce qui est tout à fait insoutenable, puisque ce qu'ils rejettent comme une opinion particulière de quelques docteurs est une vérité très - catholique. Car personne ne peut douter que ce qui est inspiré par le Saint-Esprit, et qui nous vient de l'infusion divine pour une fin surnaturelle, ne nous dispose à recevoir la grâce. Il y a bien quelques docteurs catholiques qui n'ont pas cru (s'étant en cela tellement écartés du sentiment des anciens pères) qu'on dût donner le nom de mérite à cette disposition; mais tous avouent que l'acte d'amour de Dieu sur toutes choses, est la plus prochaine disposition à la grâce; et même que cette contrition qui ne renferme qu'un commencement de l'amour de Dieu, nous y dispose. Ainsi l'on ne peut pas dire que toutes les vertus ensemble ne sont pas des attraits suffisants pour nous concilier cette grâce qui est un pur don du ciel. Car si l'on entend parler des vertus divines dont le Saint-Esprit nous inspire les mouvements, il est très-faux que ces vertus, c'est-à-dire la foi, l'espérance et la charité, ne soient pas des attraits suffisants pour nous faire obtenir la grâce, quoiqu'elle soit un pur don du ciel.

Nous ne pouvons pas nier, dit saint Augustin (1), que la foi ne mérite la grâce qui nous fait faire de bonnes œuvres.... Mais si quelqu'un prend de là sujet de dire: Comment est-ce que la foi qui nous fait mériter, nous est donnée gratuitement? On lui répondra avec l'Apôtre: Qu'avez-vous que vousn'ayez point reçu? Ainsi, lorsque la foi obtient la grace de la justification, ce n'est pas le mérite de l'homme qui précède la grâce de Dieu, mais c'est la grace même qui mérite que Dieu l'augmente et la fasse croître, afin qu'après avoir reçu son accroissement, elle mérite de recevoir sa perfection.

Que si par ces vertus on entend les vertus humaines des philosophes païens, c'est assurément avec grande raison que l'on doit dire que toutes ces vertus ensemble ne sont pas des attraits suffisants pour nous concilier la grâce; mais l'on doit inférer de là qu'on ne peut dire sans erreur qu'on ne peut rien penser de plus conforme à la bonté et à la justice de Dieu, que de supposer qu'elle n'a pas dénié la grâce spéciale par laquelle on fait le bien à ceux qu'on prétend qui l'ont invoquée par la pratique de toutes ces vertus, puisque c'est une erreur condamnée par toute

(1) Ep. 196. nunc. 186. Si quis autem dixerit quod gratiam bene operandi fides mereatur, negare non possumus..., nec dicat sibi, si ex fide quomodo gratis? Quod enim fides meretur, cur non potius redditur quam donatur? Non dicat ista homo fidelis, quia... respondetur ei, quid habes quod non accepisti? Cum ergo fides impetrat justificationem... non gratiam Dei aliquid meriti præcedit humani, sed ipsa gratia meretur augeri, ut aucta mereatur perfici

l'Eglise, et qui est expressément anathém?tisée par ce canon du concile d'Orange (1): Si quis invocatione humand gratiam Dei dicit posse conferri, non autem ipsam gratiam facere ut invocetur à nobis, contradicit Isaia prophetæ, vel Apostolo idem dicenti : Inventus sum à non quærentibus me, palam apparui his qui me non interrogabant. Et, selon les pères, on ne doit point admettre de vertu parfaite en ceux qui ne suivent que ces lumières de la nature (comme faisaient ces prétendus vertueux du paganisme), qui porte Dieu à ne leur pas dénier l'assistance de sa grâce, que l'on ne s'expose à retomber dans cette hérésie pélagienne, que la grâce est donnée selon les mérites.

C'est ce que saint Prosper (2) reprochait aussi à Cassien: Comment est-il possible, lui dit ce saint, que vous ne vous aperceviez pas que vous retombez dans ce que l'Eglise a con- ' damné tant de fois, et que bon gré malgré que vous en ayez, vous vous engagez à dire que la gráce est donnée selon les mérites, lorsque vous assurez que les hommes peuvent produire quelque chose d'eux-mêmes qui leur fasse recevoir la grâce?

Il ne servirait de rien de se retrancher à dire, pour éviter cette erreur, que cela n'empêche pas que la grâce ne soit un pur don du ciel: car c'était l'artifice dont les semipélagiens se servaient, protestant d'avoir en horreur cette hérésie des pélagiens, que la grâce est donnée selon les mérites. C'est pourquoi ils se contentaient de dire qu'il pouvait y avoir quelque chose de bon dans I'homme avant la grâce, qui à la vérité n'était pas digne de la grâce, mais était seulement une occasion à Dieu de la lui donner.

Il parait même qu'ils étaient sur cela si réservés, que, loin de se persuader que l'homme pût de lui-même entrer dans la pratique de toutes les vertus, et par cette pratique attirer sur lui la grâce de Dieu, ils croyaient sculement qu'il pouvait avoir quelque commencement de bonne volonté, quelque pensée de recourir au médecin, quelque désir d'être guéri, quoiqu'ils le crussent hors d'état de se guérir. De sorte qu'ils ne laissaient pas de publier qu'ils détestaient avec horreur celui qui soutiendrait qu'il serait resté quelque force dans la nature, par laquelle elle pût s'avancer elle-même dans le recouvrement de sa santé.

Si donc, nonobstant ces précautions, les pères n'ont pas faissé de condamner cette doctrine, comment eussent-ils pu souffrir celle qui passe bien plus avant, et qui ruine bien davantage la grâce de Jésus-Christ, en disant qu'on ne peut rien penser de plus conforme, non seulement à la bonté, mais aussi

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à la justice de Dieu, que de présupposer qu'il ne l'a pas déniée à ces païens vertueux? Ĉar, si cela est, la grâce leur était due, puisque la justice ne regarde que les choses dues. Et ainsi l'assistance qu'ils auraient reçue de Dieu ne leur aurait pas tenu lieu de grâce, mais de dette; et leurs bonnes œuvres auraient été cause que Dieu les aurait secourus; ce qui renverse toute la grâce, selon ces paroles de saint Paul: (Rom. XI) Si autem gratia, jam non ex operibus, alioquin gratia, jam non est gratia. C'est ce que remarque encore cet apôtre quand il dit: Que la récompense qui se donne à quelqu'un pour ses œuvres, ne lui est pas imputée comme une grâce, mais comme une dette (1). Et au contraire, lorsqu'un homme, sans faire des œuvres, croit en celui qui justifie le pécheur, sa foi lui est imputée à justice selon le décret de la grâce de Dieu. Et c'est aussi ce qui fait dire à saint Augustin que, pour se former l'idée d'une véritable grâce, c'est-à-dire qui ne dépende point des mérites, il est absolument nécessaire de reconnaître que la foi est un don de Dieu purement gratuit, qu'elle est le principe de toute justice; et qu'ainsi elle ne peut être précédée par aucun mérite, puisqu'elle précède toutes les bonnes œuvres qui pourraient tenir lieu de mérite, comme en étant l'origine et la source, tout ce qui ne se fait point par elle étant défectueux (2).

CHAPITRE III.

Nécessité de la foi en Jésus-Christ pour le salut, prouvée, parce que sans elle on n'obtient point la rémission du péché originel ni du péché actuel.

Il y a encore beaucoup d'autres maximes qui ont un rapport direct au sujet que nous traitons, et qui ne sont pas moins dangereuses, puisqu'elles ne tendent à rien moins qu'au renversement entier du mystère de l'incarnation de Jésus-Christ. Car on avance que les païens qui ont vécu au temps de la loi, et qui n'avaient qu'une connaissance de Dieu acquise par la raison sans aucune révélation particulière de l'incarnation de Jésus-Christ, ont pu sans cette foi être purifiés de leurs péchés; de sorte que, selon ces auteurs du salut des païens, le péché originel était remis dans les enfants par la créance que leurs parents avaient en Dieu; que ce même péché était remis dans les personnes plus âgées par la première bonne action qu'elles adressaient à Dieu, si heureusement qu'il l'avait agréa

(1) Romanor. 4. Ei autem qui operatur, merces non imputatur secundum gratiam, sed secundum debitum ei vero qui non operatur, credenti autem in in eum qui justificat impium, reputatur fides ejus ad justitiam secundum propositum gratiæ Dei.

(2) August. Epist. 105. jam. 194. Restat ut ipsam fidem nullis præcedentibus meritis, quoniam inde incipiant bona quæcumque sunt merita, sed gratuitum donum Dei esse fateamur si gratiam veram, id est sine meritis cogitamus. Opera quippe bona fiunt ab homine, fides autem fit in homine sine qua illa a nullo fiunt homine. Omne enim quod non est ex fide, peccatum est.

DEMONST. ÉVANG. III.

ble; et quant aux péchés mortels de ces der niers, que la rémission leur en était faite par la contrition, de même que nous croyons que les chrétiens l'obtiennent aujourd'hui.

Qui ne voit que si ces maximes avaient cours dans la religion chrétienne, elles la renverseraint absolument? car si cela était, Jésus-Christ serait mort en vain, comme dit saint Paul, et la publication de l'Evangile n'aurait fait que rendre le salut plus difficile qu'il n'était auparavant. Car maintenant nous sommes obligés de croire une grande quantité de mystères qui surpassent notre intelligence, ce qui fait qu'une infinité d'hérétiques se sont damnés et se damnent encore pour ne les vouloir pas croire; au lieu que, selon les principes de ces auteurs, les païens n'avaient qu'à croire qu'il y a un Dieu, ce que la seule raison nous peut apprendre. Aujour d'hui, selon la créance de l'Eglise catholique, les enfants des chrétiens les plus saints ne sont point sauvés s'ils ne reçoivent le baptême, lequel souvent on ne leur peut conférer; et selon ces auteurs, parmi les païens la seule connaissance naturelle qu'ils avaient de Dieu effaçait dans leurs enfants le péché originel, et dans les plus âgés la première bonne action qu'ils adressaient à Dieu; ct ainsi du reste.

En vérité, si ce n'est pas là ébranler les principaux fondements de la religion chrétienne, on ne sait plus ce que c'est. Et quand il y aurait quelques scolastiques qui seraient tombés dans quelques-unes de ces erreurs, ce serait une imposture que de les vouloir attribuer non seulement à l'Eglise, mais même à toute l'école. Car ce que quelquesuns ont dit, que le péché originel se remettait par la foi de leurs parents, ne se doit entendre que d'une vraie foi au Messie à venir, et non pas d'une connaissance naturelle de Dieu; puisque cette connaissance ne peut être appelée foi, comme on a déjà dit, sans renverser tous les principes de notre religion, qui nous apprennent que la foi doit être fondée sur la révélation de la parole de Dieu, et non pas sur la lumière de la raison.

Enfin, on pourrait dire avec vérité qu'il n'y aurait plus rien d'assuré dans la doctrine de l'Eglise, s'il était permis d'enseigner qu'une foi chimérique des païens, c'est-à-dire une connaissance naturelle d'un premier auteur de toutes choses, telle l'ont que pu avoir Socrate, Platon, Aristote, et les autres philosophes, ait effacé dans leurs enfants le péché originel.

Ce que l'on ajoute, que ces impies obtenaient la rémission de leurs péchés mortels par le moyen de la contrition, de la même manière que les chrétiens l'obtiennent aujourd'hui, n'est pas moins faux et pernicieux, car il n'y a point de contrition véritable sans la foi en Jésus-Christ; et il est visible que cette doctrine ne tend qu'à faire croire qu'il importe peu d'être chrétien pour être sauvé, et que la justification des pécheurs n'est pas un privilége de la loi de grâce, et de cet esprit divin que Jésus-Christ ne communique qu'à ceux qui croient en lui mais une œuvre de la na(Douze.)

ture et de la ralson, qui ne dépend que de la volonté des hommes.

CHAPITRE IV.

Que les malédictions prononcées contre es paiens par S. Paul dans son Epitre aux Romains, s'entendent généralement.

Ce que l'on dit, pour parer les malédictions que S. Paul a prononcées dans son Epître aux Romains, contre les païens, que cet apôtre n'a pas entendu parler des bons ni des vertueux, mais seulement des méchants et de ceux que Dieu avait laissé tomber dans un esprit de réprobation, ou qu'il avait abandonnés à leur sens reprouvé, ne se peut dire assurément qu'en se jouant impunément de l'Ecriture sainte, dont les moindres paroles nous doivent être ado

rables.

En effet, on sait que le dessein de l'Apôtre dans cette Epître, est de montrer que la vocation des païens, aussi bien que celle des juifs, était une œuvre de la pure miséricorde de Dieu, sans que leurs bonnes œuvres (comme quelques-uns se le persuadaient ) y eussent donné aucun sujet. C'est pourquoi il y montre qu'ils étaient tous coupables, criminels et dignes de mort et qu'ainsi Dieu n'avait pu être attiré à leur faire part de ses grâces que par sa seule bonté.

Qui ne voit donc que c'est sans raison que l'on dit que S. Paul ne parle pas contre les bons et les vertueux païens, dont on prétend que le nombre est infini, puisque son dessein est de prouver qu'ils étaient tous vicieux et méchants, comme il le dit clairement: (Romanor. III): Causati enim sumus Judæos et Græcos omnes sub peccato esse. Nous avons déjà convaincu et les Juifs et les Gentils d'être tous dans le péché.

Mais ce qu'il y a de remarquable, c'est que c'est principalement ceux des philosophes que l'on prétend avoir été bons et vertueux, que S. Paul déclare avoir été plus impies et plus abominables devant Dieu. Car n'est-il pas évident que ce n'est pas au simple peuple des Gentils, mais aux philosophes et aux sages que s'adressent les menaces que S. Paul (Romanor. 1) Qui veritatem Dei in injustitia detinent, etc., fait à ceux qui retiennent la vérité de Dieu dans l'injustice? Et à qui cela peut-il convenir, qu'à ceux qui, connais sant Dieu, non seulement ne se sont pas mis en peine de porter le peuple à ne rendre point aux créatures les honneurs qu'ils ne devaient qu'au Créateur, mais qui ont euxmêmes adoré toutes les abominations du paganisme? N'est-ce pas encore aux saints prétendus de ces auteurs et à ces pères spirituels du paganisme, que s'adressent ces foudres de l'Apôtre, lorsqu'il dit d'eux : (1) Qu'ayant connu Dieu, ils ne l'ont point glorifié comme Dieu, et ne lui ont point rendu

(1) Rom. I. Cum Deum cognovissent, non sicut Deum glorificaverunt, aut gratias egerunt; sed evanuerunt in cogitationibus suis, et obscuratum est insipiens cor corum: dicentes enim se esse sapientes, Stulti facti sunt.

grâces; mais se sont égarés dans leurs vains raisonnements, et que leur cœur destitué d'intelligence, a été rempli de ténèbres : en voulant, ajoute-t-il, passer pour les sages du monde, ils sont devenus fous et insensés. Et c'est même pour leur ôter toute sorte d'excuses, que cet apôtre conclut (1) par la condamnation formelle de tous ces prétendus vertueux qui, après avoir connu la justice de Dieu, n'ont pas compris que ceux qui font ces choses, sont dignes de mort, et non seulement ceux qui les font, mais aussi ceux qui approuvent ceux qui les font. Par où il fait voir clairement que la seule approbation silence, et en ne s'opposant pas à toutes les qu'ils ont donnée pour le moins par leur impiétés du paganisme, les a rendus dignes de mort; et par conséquent, que c'est s'opposer directement à la parole de Dieu, que de leur attribuer le salut éternel.

CHAPITRE V.

Réponse à cette objection: Que Dieu serait injuste, s'il n'avait accordé les lumières de la foi et de la religion à toutes ces nations; et que ceux à qui il les aurait refusées, seraient excusables et en état de salut.

Il est donc inutile de dire qu'il est de la bonté de Dieu de n'obliger jamais les hommes à l'impossible, et qu'ainsi un Américain qui n'a jamais entendu parler de la véritable religion, ne peut être condamné par la justice de Dicu aux peines éternelles, en vivant moralement bien et ressemblant aux bons païens qui, se laissant conduire par la lumière naturelle de la raison, adoraient un seul Dieu créateur de toutes choses, et vivaient sans idolâtrie. Car comment peut-on s'imaginer, sans renoncer à toute la doctrine de notre foi, et se déclarer ennemi de la grace et de la croix de Jésus-Christ, que des gens ensevelis dans les ténèbres du paganisme, parviennent à la véritable adoration de Dieu, et par son moyen à la béatitude éternelle, en se laissant conduire par la seule lumière naturelle de la raison? Que deviendrait donc ce que l'Ecriture sainte nous apprend, que Dieu ne reçoit pour adorateurs que ceux qui l'ado rent en esprit et en vérité? que c'est à JésusChrist seul à former ces adorateurs, parce que personne ne peut parvenir au Père que par le Fils; ni recevoir l'esprit de grâce et de vérité, qui peut seul rendre à Dieu nos adorations agréables, qu'étant uni par la foi à celui qui en est l'unique source, et à qui scut il appartient de répandre l'esprit de Dieu dans le cœur de ceux qui croient en lui, suivant la promesse qu'il en a faite dans l'Evangile : Qui credit in me, flumina de ventre ejus fluent aquæ vive: Hoc autem dirit de spiritu quem accepturi erant credentes in eum (Joan. VII). C'est donc une hérésie manifeste de croire le contraire et de se persuader que la lumière naturelle de la raison, c'est-à

(1) Rom. X. Cum justitiam Dei cognovissent, non intellexerunt, quoniam qui talia agunt, digni sunt morte, et non solum qui faciunt, sed etiam qui consentiunt facientibus.

dire une lumière éteinte et obscurcie, une raison aveugle et corrompue, puisse inspirer à des hommes qui gémissent sous la tyranniedu démon et du péché, et qui n'ont jamais entendu parler de la vraie religion, les véritables sentiments de cette piété toute spirituelle et toute divine par laquelle Dieu veut être adoré, et qu'il couronne dans le ciel d'une récompense éternelle. C'est pourquoi il n'y a que dans la doctrine des pélagiens, qu'on puisse mettre en doute la damnation de tous ces Américains avant qu'ils eussent été éclairés de la lumière de l'Evangile, et lorsqu'ils ne se conduisaient que selon celle de la raison.

Il n'est point même nécessaire d'attendre au dernier jour pour s'assurer de l'arrêt que le souverain juge doit prononcer contre eux; il le leur a déjà prononcé dans son Evangile Qui non crediderit condemnabitur (Marc. XVI), Quiconque n'aura point cru, sera condamné; et non seulement il le sera, mais il l'est dès maintenant, Qui non credit, jam judicatus est, quia non credit in nomine unigeniti Filii Dei ( Joan. III). L'ignorance où ils ont été des mystères de notre foi peut à la vérité être cause qu'ils en seront moins punis en l'autre monde, mais non pas qu'ils ne le seront point du tout, et qu'ils éviteront entièrement les supplices éternels. Et c'est ce que le Sauveur du monde nous a voulu enseigner, lorsqu'il dit dans S. Luc, que le serviteur qui a connu la volonté de son maître, et ne l'a point faite, sera battu rudement; mais que celui qui ne l'a point connue, et qui a fait des choses dignes de châtiment, sera moins battu.

Aussi voyons-nous que tous les anciens pères, défenseurs de la grâce de Jésus-Christ, ont décidé cette vérité contre les pélagiens : ils ont soutenu constamment que quelque involontaire que pût être l'ignorance de la vraie religion, elle ne pouvait pas empêcher que tous ceux qui ne croyent point nos mystères, ne fussent damnés, quoiqu'ils ne les crussent point parce qu'ils n'en avaient jamais entendu parler. (1) Il n'y a point de doute, dit S. Augustin, que celui qui pèche avec science, ne soit plus coupable que celui qui pèche par ignorance; et néanmoins les hommes ne doivent pas se flatter sur cette ignorance pour trouver dans ces ténèbres de quoi excuser leurs péchés; car il y a bien de la différence entre ne connaître pas et ne vouloir pas connaître; et quant à celui de qui le prophète dit, il n'a point voulu être instruit pour faire le bien, il est clair qu'il est con

(1) August.lib.de Gratia et Lib. Arbitr. cap.3. Ecce ubi ostendit gravius peccare hominem scientem, quam nescientem: nec tamen ideo confugiendum est ad ignorantiæ tenebras, ut in eis quisque requirat excusationem aliud est enim nesciisse, aliud scire noluisse, voluntas quippe in eo arguitur, de quo dicitur, noluit intelligere ut bene ageret. Sed et illa ignorantia quæ non est eorum qui scire nolunt, sed eorum qui tanquam simpliciter nesciunt, neminem sic excusat ut sempiterno igne non ardeat, si propterea non credidit quia non audivit omnino quid crederet, scd fortasse ut minus ardeat.

damné comme s'étant volontairement rendu coupable. Mais encore qu'un homme ne soit point du nombre de ceux qui ne veulent pas connaître la vérité, mais ignore simplement ce qu'il doit faire, et ne croie point, parce qu'on ne lui a jamais dit ce qu'il devait croire; cette ignorance néanmoins ne l'excuse pas, et n'enpêchera pas qu'il ne soit brûlé dans le feu éternel; mais elle fait seulement, peut-etre qu'il sera brûlé avec moins de rigueur; non qu'il soit damné pour n'avoir pas cru en Jésus-Christ, n'en ayant jamais entendu parler, mais pour les autres péchés, soit originel, soit actuels, dont il est impossible de se pouvoir garantir, et de se purifier que par la foi en Jésus-Christ.

Le même saint docteur décide la même question dans une hypothèse très-considérable, et qui nous fait voir même clairement contre toutes les fausses prétentions des auteurs que nous combattons, que quelauc bonnes inclinations qu'ait une personne, et quelques vertus morales qui la rendent recommandable aux yeux des hommes, elle n'évitera point les supplices éternels si elle passe sa vie dans un pays où la foi n'ait point été annoncée. C'est lorsque pour fermer la bouche aux pélagiens, et les forcer à adorer la profondeur des jugements de Dieu qui fait miséricorde à qui il veut, et qui endurcit qui il lui plaît, comme dit S. Paul, il propose deux personnes dont Dieu sauve l'une et laisse perdre l'autre, quoique celle qu'it laisse perdre semble beaucoup mieux mériter l'assistance de sa grâce, que l'autre qu'il sauve. (1) A quoi, dit-il, peut-on rapporter, qu'à la hauteur des jugements incompréhensibles de Dieu, qu'un homme qui a été dès son enfance modeste, ingénieux, tempérant, qui a surmonté la plupart des passions, hai l'avarice, abhorré l'impureté, et qui a eu des inclinations favorables pour toutes les au tres vertus, ait vécu néanmoins dans un lieu où la foi de Jésus-Christ ne lui a pu être annoncée, par laquelle seule il pouvait étre délivré du supplice de la seconde mort, « qua sola posset a secundæ mortis pernicie liberari »? Car comment, dit l'Apôtre, invoqueront-ils

(1) August. lib. 1. de pecc. merit. et remiss. cap. 22. Nec ip-i qui hoc sentiunt, evadunt hujus quæstionis angustias, sed in eis coarctati et hærentes similiter, O altitudo exclamare coguntur! Unde enim fit, ut homo ab ineunti pueritia modestior, ingeniosior, temperantior, ex magna parte libidinum victor, qui oderit avaritiam, luxuriam detestetur, atque ad virtutes cæteras provectior aptiorque consurgat, et tamen in eo loco sit, ubi ei prædicari gratia christiana non possit. Quoniodo enim invocabunt, in quem non crediderunt? aut quomodo credent ei quem non audierunt? quomodo autem audient sine prædicante? Alius autem tardus ingenio, libidinibus deditus, flagitiis et facinoribus coopertus, ita gubernetur ut audiat, credat, baptizetur, rapiatur, aut si detentus hic fuerit, laudabiliter hic vivat. Ubi duo isti tam diversa merita contraxerunt, non dico ut iste credat, ille non credat, quod est propriæ voluntatis, sed ut iste audiat quod credat, ille non audiat? hoc enim non est in boniinis potestate........ Quid hinc respondeant, non video qui volentes humanis conjecturis justitiam Dei defendere, et ignorantes altitudinem gratiæ, fabulas im. probabiles texuerunt.

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