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bre d'éditions que l'on a faites des ouvrages de ce grand théologien.

En effet, peut-on lire ses Essais de Morale et ses Instructions théologiques, sans y reconnaitre la profondeur de sa science, la supé riorité de son génie, l'élévation et la solidité de ses pensées, la justesse et la force de ses raisonnements, aussi bien que la clarté et la précision de son style; les traits de son amour vif et ardent pour la vérité; enfin son zèle pour la sanctification des âmes? On trouve dans les ouvrages de ce grand homme toute la religion développée d'une manière admirable; c'est ce qu'on apercevra dans ce recueil, qui n'est composé que de ses propres textes qu'on a réunis sous différents titres, et que l'on a distribués en dix-huit chapitres et cent quarante paragraphes, où sont contenues les vérités les plus importantes de la religion. Ce ne sont pas simplement des pensées détachées, qui, pour l'ordinaire, ne satisfont point les lecteurs ; mais ce sont des instructions suivies qui, par le moyen de quelques liaisons très

courtes, ont toute une autre beauté, et se feront lire avec plaisir; ainsi l'on ne peut douter qu'elles ne soient très-propres, non seulement à porter la lumière dans l'esprit, mais même à toucher le cœur.

Comme on a eu principalement en vue de répandre l'esprit de M. Nicole, on a pensé

le vrai moyen étuit de donner un seul volume qui renfermat tout ce qu'il y a de plus intéressant dans les vingt-trois volumes de M. Nicole, et qui par là fût d'une acquisition facile : c'est ce que l'on a exécuté dans l'ouvrage que l'on donne au public.

Fasse le ciel que cet ouvrage contribue effi cacement à l'instruction, à l'édification et à la sanctification des fidèles qui auront soin de se nourrir des précieuses vérités qui y sont contenues! Les personnes déjà instruites et même celles qui ne le sont qu'imparfaitement, en pourront retirer beaucoup de profit; les jeunes gens surtout y trouveront et la connaissance de la religion, et la règle de leurs

mœurs.

L'ESPRIT

DE NICOLE

SUR LES VÉRITÉS DE LA RELIGION.

CHAPITRE PREMIER.

DE DIEU, DE SA NATURE ET DE SES PERFEC

TIONS.

§ 1. De l'existence de Dieu. Quelques efforts que fassent les hommes pour effacer l'impression que la vue de ce grand monde forme naturellement, qu'il y a un Dieu qui en est l'auteur, ils ne sauraient l'étouffer entièrement, tant elle a de racines fortes et profondes dans notre esprit. Si ce n'est pas un raisonnement invincible, c'est un sentiment et une vue qui n'ont pas moins de force que tous les raisonnements. Il ne faut pas se forcer pour s'y rendre; mais il faut se faire violence pour la contredire.

clion, leur naissance, leur accroissement, leur mort. Il est impossible qu'en contemplant toutes ces merveilles, l'esprit n'entende cette voix secrète, que tout cela n'est pas l'effet du hasard, mais de quelque cause qui possède en soi toutes les perfections que nous remarquons dans ce grand ouvrage.

En vain s'efforcerait-on d'expliquer les ressorts de cette étonnante machine, en disant qu'il n'y a en tout cela qu'une matière vaste dans son étendue, et un grand mouvement qui la dispose et qui l'arrange, puisqu'il faut toujours qu'on nous dise quelle est la cause de cette matière et de ce grand mouvement; et c'est ce qu'on ne saurait faire raisonnablement, sans remonter à un principe immatériel et intelligent qui ait produit et qui conserve l'un et l'autre.

La raison n'a qu'à suivre son instinct naturel, pour se persuader qu'il y a un Dieu créateur de tout ce que nous voyons, lors- Car quel moyen y a-t-il de concevoir que qu'elle jette les yeux sur les mouvements si celte masse morte et insensible que l'on apréglés de ces grands corps qui roulent sur pelle matière, soit un être éternel et sans nos têtes; sur cet ordre de la nature qui ne principe? Ne voit-on pas clairement qu'elle se dément jamais; sur l'enchaînement admi- n'a dans elle-même aucune cause de son rable de ses diverses parties qui se soutien- existence, et qu'il est ridicule d'attribuer au nent les unes les autres, et qui ne subsistent plus vil et au plus méprisable de tous les toutes que par l'aide naturelle qu'elles s'en-êtres la plus grande de toutes les perfections, treprêtent; sur cette diversité de pierres, de métaux, de plantes; sur cette structure admirable des corps animés; sur leur produ

qui est d'être par soi-même ? Je sens que je suis infiniment plus noble que cette matière : je la connais, et elle ne me connaît point.

néanmoins je sens en même temps que je ne suis point éternel. Il faut donc qu'elle ait aussi bien que moi une cause de son être ; et cette cause ne pouvant être matière, est ce principe immatériel et tout-puissant que nous cherchons.

Mais, s'il est ridicule de s'imaginer une matière qui subsiste par elle-même de toute éternité, sans cause et sans principe, il l'est beaucoup plus de supposer un mouvement incréé et éternel: car il est clair que nulle matière n'a dans soi-même le principe de son mouvement. Elle peut le recevoir d'ailleurs, mais elle ne peut se le donner à ellemême. Tout ce qu'elle en a lui est toujours communiqué par quelque autre cause; et quand elle a cessé de se mouvoir, elle deineure d'elle-même dans un éternel repos.

Qui a donc produit ce grand mouvement que nous voyons dans toutes les parties du monde, puisqu'il ne naît pas de la même matière, et qu'il n'y est pas attaché par une attache stable et fixe, mais qu'il passe d'une partie à une autre par un changement continuel? Fera-t-on aussi de cet accident un être éternel et subsistant par soi-même? Et ne doit-on pas reconnaître que, puisqu'il ne peut être sans cause, et que cette cause n'est pas la matière, il faut qu'il soit produit par un principe spirituel?

Que si ce principe est nécessaire pour produire ce mouvement, il ne l'est pas moins pour le régler et le borner à la mesure propre pour conserver le monde, et sans laquelle il le détruirait: car, encore qu'on puisse bien s'imaginer que ce mouvement qui forme, arrange et dissout tous les corps, est infini dans l'infinité des espaces, il est certain néanmoins qu'il est fini dans chaque partie, et que s'il était ou plus grand, ou moindre dans ce monde visible, il en changerait toute la face, et le renverserait entièrement. Qui l'a donc réduit à cette proportion où il est? Et comment, dans l'infinité des degrés dont il est capable, s'est-il trouvé justement dans celui qui a produit cet arrangement si admirable? La matière d'elle-même est indifférente à recevoir un plus grand ou moindre mouvement. L'un ou l'autre détruirait l'état présent du monde, et le renverserait entièrement. D'où vient donc qu'il s'est trouvé dans cet équilibre si juste? C'est par hasard, dit-on. On peut le dire de bouche; mais je ne sais si on peut le dire sérieusement.

Mais, outre la matière et le mouvement,

nous découvrons encore dans le monde des êtres pensants, parce que nous sommes assurés que nous pensons et que nous faisons avec raison le même jugement des autres hommes; et la considération de ces êtres nous mène encore plus directement à la connaissance de l'immortalité de notre âme, et ensuite à celle de l'existence de son créateur.

Si nous ne pouvons douter qu'il n'y ait dans le monde des êtres pensants qui ne sont - pas des corps, étant certain que ces êtres ne sont pas éternels, qui en sera le principe ? Ce ne sera pas la matière : car étant, pour le dire ainsi, un néant d'esprit, comment pour

rait-elle produire un esprit? Ce n'est pas aussi un autre esprit semblable, c'est-à-dire que ce n'est pas l'âme des pères qui produit celles de leurs enfants. Car comment un esprit pourrait-il tirer du néant un autre esprit qui a des pensées et des volontés différentes des siennes, et souvent contraires? Si l'esprit produisait un esprit, it le produirait en pensant, il connaîtrait en soi cette force, il s'apercevrait de cet effet. Cependant qui s'en est jamais aperçu? Tout ce qu'il y a donc dans le monde nous conduit à la connaissance du créateur du monde, matière, mouvement, esprits. Toutes ces choses nous crient d'une voix assez intelligible qu'elles ne se sont pas faites elles-mêmes, et que c'est Dieu qui les a faites.

:

Quoique ces preuves de l'existence de Dieu soient très capables d'en persuader ceux qui ont de l'intelligence et de la bonne foi, néanmoins il se trouve quantité d'esprits à qui ces preuves ne sont point proportionnées, et de plus elles ne pénètrent point si vivement l'esprit, que la certitude que la foi nous en donne aussi voit-on que tant que les hommes ne se sont servis que de leurs propres lumières pour connaître Dieu, ce n'était qu'égarements, incertitudes et erreurs. Il a donc fallu, pour établir une croyance ferme et pure de la Divinité, que Dieu même se manifestât aux hommes par des marques extérieures et sensibles, et leur prescrivit ce qu'ils devaient croire de son être.

Les preuves historiques, c'est-à-dire, celles qui sont tirées de ce que Dieu nous a fait connaître de lui-même par des faits certains et incontestables, sont capables de faire le plus d'impression sur l'esprit. Tels sont les miracles de Moïse, qui prouvent la vérité de tout ce qu'il rapporte dans le Pentateuque; ceux de Josué et des autres prophètes, qui la confirment; ceux de Jésus-Christ et des apåtres, qui autorisent tout l'Ancien Testament et le Nouveau, et de plus les prophéties des prophètes et celles de Jésus-Christ.

Ces miracles et ces prophéties prouvent qu'il y a une intelligence supérieure à la nature de l'homme, à laquelle il est juste de soumettre sa raison à l'égard de ce qui nous est déclaré et ordonné de sa part: car il est évident que l'homme agit plus raisonnablement, en se soumettant à elle, qu'en demeurant sous la conduite de sa propre raison faible, aveugle et incertaine comme elle est. Quiconque fait des miracles et des prophé ties, a droit de se faire croire, s'il n'est pas contredit par un autre qui fasse de plus grands miracles et des prophéties plus claires. Or tous les prophètes et les faiseurs de miracles rendent unanimement témoignage de Dicu, bien loin d'en contredire la croyance.

§ 2. De la nature de Dieu.-Puisque nous devons adorer Dieu, il faut, d'une part, tâcher de s'en former une idée véritable, de peur d'adorer un fantôme et une fiction de notre imagination, au lieu d'adorer Dieu; il faut, de l'autre part, que cette idée véritable nous représente en Lieu ce qui est le plus capable de nous donner du respect et de la soumission pour sa

grandeur. Puisque nous devons l'aimer, il faut tâcher de concevoir en lui tout ce qui peut servir à faire naître et à augmenter notre amour, qui ne peut naturellement se porter vers ce qu'on ne connaît point.

Dieu est esprit, et non seulement il n'est pas corps, mais il est impossible qu'il le soit car tout corps a des parties qui sont moindres que le tout, et qui ne sont pas le tout. Or il ne peut y avoir rien en Dieu qui ne soit pas Dieu : l'esprit est plus noble et meilleur que le corps, et rien ne peut être plus noble, ni meilleur que Dieu.

De plus il n'y a rien en Dieu qui ne soit sa substance, son essence, et en un mol, qui ne soit Dieu. C'est un être tout simple, sans aucune diversité, ni multiplicité de parties, quoique cet être tout simple produise une infinité de divers effets, et ne puisse être connu par les hommes que par différentes pensées, dont la multiplicité marque l'imperfection de la créature et la plénitude de l'être de Dieu, qui comprend tout dans son incompréhensible simplicité.

Il faut conclure de cette vérité, 1° que Dieu étant esprit, il faut l'adorer en esprit, et que comme il est la vérité même, il faut l'adorer en vérité; 2° que tout culte qui n'est que corporel est indigne de Dieu, s'il n'est joint à un culte spirituel; 3° que nous devons bannir de notre esprit, en adorant Dieu, tous les fantômes corporels ; et que nous devons dire à tous les corps, quelque beaux et éclatants qu'ils nous paraissent : Vous n'êtes pas mon Dieu; 4° que nous ne sommes pas faits pour les corps; que notre bonheur ne peut consister dans l'amour des corps; et qu'ainsi il faut en détacher notre affection, et éviter de s'y lier; 5° que pour se délivrer de l'attache aux choses corporelles, il est utile de s'en priver, et de se séparer de tout ce qui nous y lie; et ainsi l'essence de la nature même du culte que nous devons à Dieu, doit nous porter à fuir les spectacles et les plaisirs des sens; et pour cela il est utile de s'appliquer à des objets spirituels et sans corps, comme sont les vérités de la foi et les règles de la sagesse chrétienne.

§ 3. De l'éternité de Dieu. Il faut concevoir l'éternité de Dieu par rapport à l'être temporel des créatures, qui consiste en deux

choses :

1o En ce que nous n'avons pas toujours été, et qu'il n'y a point de créatures dont l'être ne soit précédé par une éternité de non être car toute créature a commencé, et tout ce qui a commencé d'être, a devant soi une éternité pendant laquelle il n'était point; mais il n'y a point de non être qui précède Dieu; il a toujours été ce qu'il est et ce qu'il

sera.

2o En ce que, lors même que nous sommes, nous ne possédons à la fois qu'une petite partie de notre vie et de notre être : car nous ne vivons que par la pensée et par l'amour. Or nous n'avons dans chaque temps qu'une bien petito partie de nos pensées et de notre amour; et combien y a-t-il de nos pensées qui se sont échappées, et que nous

n'avons plus? Combien de nos connaissances sont péries? Combien de nos affections et de nos volontés se sont évanouies? Combien en aurons-nous que nous n'avons pas encore? Et combien ce peu de pensées et de volontés que nous avons dans le temps présent, est-il éloigné de la multitude de pensées et de volontés qui se sont passées et qui passeront successivement par notre esprit et par notre cœur? Or tous ces changements que nous éprouvons, sont autant de morts, puisque nous cessons d'être ce que nous avons été, et autant de nouvelles vies, puisque nous commençons de vivre d'une manière dont nous ne vivions pas auparavant. L'un et l'autre est contraire à l'éternité de Dieu, qui n'a ni commencement ni fin en aucune chose; et c'est pourquoi aucunes de ses connaissances et de ses volontés ne passeut, et il n'en aura jamais qu'il n'ait dans son présent. Il n'y a point de passé, ni de futur à son égard. Il est tout ce qu'il a été, et tout ce qu'il sera. C'est un présent éternel. Il possède tout son être à la fois et sans succession.

Les temps et les créatures successives coulent devant cette éternité immobile, qui comprend en elle-même la durée passagere de toutes les choses temporelles. Car Dieu, dans son éternité immuable, voit invariablement toutes les diversités qui arrivent aux créatures. Il les voit toujours dans tous leurs différents états; et quoique ces états soient successifs à l'égard les uns des autres, ils ne le sont point à l'égard de Dieu, parce qu'il les voit tous d'une même vue.

De là il s'ensuit: 1° qu'il faut tirer une conséquence générale du néant des créatures, qui ne sont plus ce qu'elles ont été, et qui ne sont pas encore ce qu'elles seront, et qui ne possèdent que leur être présent qui se réduit à fort peu de chose; ce qui nous oblige à nous anéantir sous l'Etre éternel et immuable; 2° qu'il faut aspirer à cette éternité en la manière que nous pourrons la posséder. Or les bienheureux la posséderont en quelque manière, parce que la vue et l'amour de Dieu, qui feront leur béatitude, n'auront ni vicissitude, ni changement; c'est pourquoi il est dit qu'ils loueront Dieu dans les siècles des siècles.

Il faut

§ 4. De l'immutabilité de Dieu. concevoir l'immutabilité de Dieu par opposition à la mutabilité des créatures, sur laquelle on peut considérer que nous ne voyons dans le monde que changements perpétuels. Tout passe, tout finit; rien n'est stable ni permanent. Non seulement les particuliers, mais les états et les royaumes ont leurs âges, leurs vicissitudes et leurs révolutions. Ce ne sont à tous moments que changements de théâtre. Les uns sortent pour faire place a d'autres ; et l'on voit en moins de rien se renouveler la face du monde.

Bien loin de trouver de la stabilité dans les choses qui sont hors de nous, nous n'en saurions trouver en nous-mêmes. C'est un flux et reflux continuel de pensées et de mouvements. Nous ne voyons presque jamais les mêmes objets d'un même œil. Ce qui nous

paraît vrai, bon et utile aujourd'hui, nous paraîtra demain faux, mauvais et inutile. Nos affections et nos humeurs sont encore plus changeantes que nos jugements. Nous éprouvons une variété perpétuelle de mouvements et de dispositions différentes, tantôt agités et tantôt tranquilles, tantôt tristes et tantôt gais, tantôt pleins de courage et tantôt découragés et abattus. Enfin nous ne trouvons en nous-mêmes rien de ferme, rien d'uniforme, rien de constant. La mutabilité est si naturelle à l'homme, qu'elle lui est nécessaire: l'uniformité d'une action suffit pour le détruire; s'il mange, s'il dort, s'il se repose, s'il marche, s'il travaille sans discontinuation, il est mort. Il suffit, pour perdre l'esprit, de l'appliquer trop longtemps à un même objet. La constance même et la fermeté, quand on les attribue à l'homme, ne marquent qu'un changement moins déréglé.

Pour connaître donc l'immutabilité de Dieu, il n'y a qu'à en retrancher toutes les idées de la mutabilité des créatures. Son être est incapable d'altération; il ne reçoit ni augmentation ni diminution, ni diversité de perfection, parce qu'étant parfait, il ne peut rien acquérir de nouveau, ni rien perdre de ce qu'il a. Il n'y a point en Dieu de succession ni de contrariété de pensées. Il pense toujours aux mêmes choses, et il comprend tout par une pensée unique et immuable. Sa volonté est aussi stable que son intelligence. Il aime toujours les mêmes choses, et dans le même degré, et par la même action. Enfin il fait toujours les mêmes choses, parce que son opération n'est autre chose que la volonté qu'il a que les choses soient faites, et que sa volonté est son essence et sa substance. Les effets des opérations de Dieu peuvent être temporels, mais son opération est éternelle ; ils peuvent être variables, mais son opération est immuable. Dieu change tout; mais il ne change point en lui-même. Il sait agir, dit saint Augustin, sans cesser d'être en repos, et faire de nouveaux ouvrages par un conseil éternel.

Delà il s'ensuit, 1° que nous devons nous attacher uniquement à Dieu, parce qu'il n'y a que Dieu en qui nous puissions trouver un appui solide tout le reste est changeant et passager le torrent du monde l'emporte malgré nous, et il ne peut nous en rien rester que le déplaisir de l'avoir aimé; 2° qu'il faut adorer avec une profonde humiliation l'immutabilité de l'être de Dieu, en considérant notre mutabilité et l'inconstance de nos pensées, de nos humeurs et de nos dispositions ; et qu'il faut mettre tout notre appui et tout notre soutien dans l'amour immuable de Dieu pour ses élus; 3° qu'il faut désirer avec ardeur cet état heureux qui nous est promis, où nous serons rendus participants en quelque sorte de l'immutabilité de Dieu, où nos corps seront revêtus pour toujours d'une incorruptibilité immuable, où nous verrons Dieu d'une vue éternelle, où nous l'aimerons d'un amour qui durera toujours, et où nous scrons délivrés de cette agilation de pensées tt de mouvements qui nous fatiguent pendant

cette vie; 4 que dans cette même vic nous devons tendre à une piété égale et uniforme en nous mettant au-dessus de l'inégalité de nos humeurs, en agissant avec paix et avec tranquillité, quelque tumulte intérieur que nous éprouvions; et c'est là la manière dont Dieu veut que nous imitions et que nous honorions en cette vie son immutabilité.

§ 5. De l'indépendance de Dieu. - Les hommes dépendent absolument de Dieu pour être ce qu'ils sont, et ils doivent chercher leur bonheur hors d'eux-mêmes; et à l'égard du corps, ils dépendent d'une infinité de créatures pour subsister dans leur être : ils ont besoin de la terre pour être soutenus, de l'air pour respirer, des aliments pour suppléer au dépérissement de leurs corps, de mille secours pour se garantir de l'incommodité des saisons. Dieu au contraire est absolument indépendant; il ne tient l'être de personne; il n'a point besoin qu'on le lui conserve, puisqu'il existe nécessairement; il trouve tout en luimême; il n'a besoin d'aucune créature; et s'il veut bien qu'elles lui rendent quelque honneur, c'est pour leur bien et non pas pour le sien. Sa félicité est toute renfermée en luimême, et ne dépend de rien, hors de lui. Personne ne saurait rien lui donner, parce que tout lui appartient.

Nous devons en conclure que l'indépendance n'appartient qu'à Dieu, et que cette indépendance ne pouvant appartenir à la créature, rien n'est plus injuste que le désir de l'indépendance, et qu'ainsi rien ne nous convient mieux que l'état de dépendance; que nous sommes obligés d'aimer cette dépendance, non seulement comme créatures, mais aussi comme pécheurs, puisque le premier homme s'étant perdu par le désir de l'indépendance, et ayant imprimé dans le cœur de ses enfants cette inclination malbeureuse, Dieu a voulu que les hommes ne pussent guérir de cette plaie profonde qu'ils ont reçue, que par l'amour et la pratique d'une dépendance plus grande que celle à laquelle l'homme innocent aurait été obligé. Car la dépendance de l'homme avant le péché n'aurait regardé que Dieu; il n'aurait reçu des lois que de lui, parce qu'il aurait sans peine connu sa volonté par les lumières dont son esprit était rempli; mais l'entendement de l'homme ayant été obscurci par le péché, Dien a voulu que sa volonté lui fût déclarée par d'autres hommes, et que l'autorité qu'il a de commander à tous les hommes fût exercee par quelques-uns de ces mêmes hommes, afin de les obliger à l'assujettissement et de dompter l'amour qu'ils ont pour l'indépendance. Il faut donc aimer cette loi de sa justice, et embrasser avec humilité toutes les dépendances qu'il nous impose, comme des remèdes convenables à notre orgueil. Mais quoique nous devions aimer à dépendre des créatures en la manière que Dieu le veut, il faut éviter d'en dépendre d'une manière que Dieu condamne. Ainsi le respect que nous devons avoir pour l'indépendance de Dieu ne nous oblige pas seulement à nous soumettre à ceux à qui il veut que nous soyous soums,

mais aussi à rompre toutes les dépendances humaines qui diminueraient celle que nous devons avoir pour Dieu.

§ 6. De l'immensité de Dieu.-Dieu remplit le ciel et la terre; il est dans le ciel et dans les enfers; les cieux des cieux ne le contiennent point; et c'est ce que l'on entend par l'immensité de Dieu. On ne doit pas concevoir que Dieu ait une étendue infinie à la manière des corps, comme un air ou une lumière immense, qui est plus grande dans son tout que dans ses parties: mais il faut s'imaginer qu'il est tout entier dans le tout et dans chaque partie du tout.

Dieu est partout en trois manières : 1° Par présence, parce que tout est présent à ses yeux. 2° Par puissance, parce qu'il opère en tout. 3° Par son essence, parce qu'opérant en tout, il faut qu'il soit partout, son opération n'étant pas distinguée de son essence; et comme il est en toutes choses, toutes choses sont aussi en lui, parce qu'il les opère, qu'il les produit et qu'il les soutient.

De là il s'ensuit qu'étant attachés si inséparablement à l'être et à l'opération de Dieu, et ne pouvant nous en séparer, nous avons un extrême intérêt de nous le rendre favorable durant cette vie, puisqu'autrement nous nous verrons pour toute l'éternité entre ses mains, comme entre celles d'un toutpuissant et inexorable ennemi : car, comme les saints le trouveront dans le ciel pour jouir de sa présence, les méchants le trouveront dans l'enfer comme vengeur de leurs crimes.

L'immensité de Dieu doit servir à nous humilier, en nous donnant une idée vive de la grandeur de Dieu et de notre petitesse. Nous sommes renfermés et contenus dans un petit espace, nous n'agissons que dans cet espace, nous sommes comme engloutis dans l'immensité de l'univers, au lieu que le monde entier est comme englouti dans l'immensité de Dieu.

Qui sait que Dieu est partout, sait qu'il peut le prier et l'adorer partout; qu'il a partout un temple et un sanctuaire; qu'il a partout un refuge et un asile; qu'il n'est jamais seul, ni abandonné; qu'il n'y a qu'à se tenir en la présence de ce Dieu, qui est présent partout, et lui exposer ses plaies et ses misères. Cette même connaissance doit nous donner en tous lieux une exacte modestie et une retenue pareille à celle que nous garderions dans une église.

§ 7. De la science de Dieu. La science de Dieu est sa propre essence; elle s'étend à tout. Il se connaît lui-même, et comprend parfaitement son essence: il connaît les créatures qui sont ses ouvrages; il connaît tout ce que les créatures font et feront, soit nécessairement, soit librement; il connâit les pensées des hommes, leurs désirs, leurs erreurs, leurs péchés; il connaît le passé, le présent, le futur; il connaît ce qui est, ce qui sera et ce qui ne sera pas: il pénètre tous les replis de notre cœur; enfin il connait toutes choses autant qu'elles sont

connaissables: il comprend les grandes et les petites jusque dans le fond de leur étre, et rien ne peut lui être caché.

De là nous devons conclure que, puisque rien ne peut être caché à Dieu, on ne doit rien faire qui puisse lui déplaire; qu'il faut se servir de ce regard continuel de Dieu sur nous, pour nous tenir en sa présence et nous régler dans toutes nos actions; que nous devons uniquement nous mettre en peine de faire notre devoir, et remettre le reste entre les mains de Dieu, qui voit les besoins et les desseins des hommes et qui sait bien les faire réussir à sa gloire; que nous devons avoir un grand soin de purifier notre âme des moindres taches, puisqu'elle est continuellement exposée aux yeux de Dieu.

§ 8. De la toute-puissance de Dieu. - Dieu peut tout par sa seule volonté, sans instrument et sans dépendre de qui que ce soit: sa puissance s'étend à tout également. Il a tiré et il tire continuellement du néant ces corps immenses qui composent l'univers, c'est-àdire, les cieux, les éléments et tout ce qui en est composé. Il imprime continuellement dans cette vaste matière un mouvement qui en produit tous les changements; de sorte que jusqu'à la moindre feuille et au moindre atome de poussière, aucun corps ne se remue que par l'impression qu'il reçoit de Dieu. Il crée continuellement cette multitude d'âmes qu'il joint aux corps de ceux qui naissent tous les jours. Tous les êtres spirituels n'ont aucune pensée, aucune perception à laquelle Dieu ne contribue et ne coopère. Toutes ses opérations, si différentes entre elles par les sujets et par les lieux, ne lui coûtent rien; il fait tout cela par un seul et unique acte dans une paix souveraine. Tous ces ouvrages, qui ne regardent que l'ordre de la nature, ne sont rien en comparaison des opérations surnaturelles dans les âmes, par lesquelles il les convertit, il les ressuscite, il les justifie et les fait son temple et sa demeure. Tout ce que Dieu fait dans les âmes en cette vie, n'est rien en comparaison de ce qu'il opèrera dans les âmes des bienheureux.

La vue de la toute-puissance de Dieu doit nous inspirer des sentiments de terreur, qui doivent nous éloigner d'offenser un Dieu toutpuissant. Elle doit nous faire mépriser toute la puissance des hommes et particulièrement de ceux qui attaquent son Eglise car que peuvent-ils faire contre un Dieu tout-puissant qui renversera en un moment tous leurs desseins, à moins que leurs desseins ne servent d'acheminement aux siens? Elle doit nous donner beaucoup de confiance dans nos faiblesses, en nous assurant qu'il n'y a rien d'impossible à un Dieu tout-puissant. Elle doit nous empêcher de désespérer d'aucune chose, parce que non seulement rien n'est impossible à Dieu, mais qu'il se plaît quelquefois à renverser les projets des hommes et à nous faire triompher des plus puissants ennemis, lorsque nous sommes dans la plus grande faiblesse.

§ 9. De la providence de Dieu. La toi ne nous découvre pas seulement Dieu dans le

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