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il est admis dans l'intimité des Muses. S'il est jaloux de la forme; s'il la regarde comme le cadre indispensable dans lequel rayonnent les grandes pensées, ces pensées qui ouvrent à l'imagination surprise et charmée des horizons nouveaux imprévus, éclairent un côté de l'esprit ou du cœur restés encore dans l'ombre; s'il aime à ciseler et à polir son vers, à y condenser le plus d'idées possible, il dédaigne sans retour ce verbiage élégant et vide qui recouvre souvent une incurable misère, ces mots qui, selon la belle pensée de Mennechet, vous étonnent et ne vous font pas rêver.

.... Sans la pensée éclose dans le cœur.

Que sont les plus beaux vers et leur rhythme sonore?
Des flacons ciselés où manque la liqueur.

(MACTE ANIMO).

On ne pouvait énoncer ce principe sous une forme plus juste et plus saisissante.

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Presque partout nous retrouvons de ses pensées habilement amenées ou jetées brusquement à l'esprit du lecteur dans des vers toujours châtiés et très souvent taillés à l'emporte-pièce. Toujours nous y voyons l'hommage le plus absolu à tout ce qui est vrai, à tout ce qui est grand, à tout ce qui est beau, partout le culte sans mélange de l'idéal; partout le blâme et le défi jetés au matérialisme et aux vices qui nous rongent: La Vénus de Milo, la Poésie, l'Horizon visuel, où je relève cette belle strophe :

Adorateurs des sens, qui, dans l'idolâtrie,
Prenez pour un vrai jour un effet boréal;
La terre, c'est l'exil; le ciel, c'est la patrie;
Restez dans le réel, laissez-nous l'idéal;

Les libres-penseurs où je trouve ces vers effrayants:

« Les timides encor font fléchir la méthode ;

>> Mais les forts ne verront que l'épaisseur du code

» Entre le vice et la vertu. »

Et ceux-ci qui résument toutes les aspirations, toutes les convictions de l'auteur:

« Avec votre science aride autant qu'obscure,

>> Grands docteurs, mourez seuls de la mort d'Epicure;

>> Laissez-nous vivre avec Platon. >>

La mort d'une mère où le sentiment triomphe des égarements de la Raison :

« Ainsi c'est le malheur qui doit vaincre le doute.
» C'est la tombe des morts qui nous montre la route,
» Et notre destinée enchaînée à la leur.

» Par ce fils aujourd'hui l'Eglise est fréquentée.

» Il y prie; à la foi son âme était montée,

>> Par l'échelle de la douleur! »

Il faudrait encore citer Macte animo, ce thème si nourri, si vif, si pénétrant sur lequel est calqué un des discours. présidentiels les plus remarquables que vous ayez eu la bonne fortune d'applaudir.

Je prends au hasard, Messieurs, sans méthode, sans art, mais sûr d'avoir la main toujours heureuse.

Dans les Stances à Marie, une des meilleures pièces de l'ouvrage, nous trouvons un ensemble de délicieux conseils donnés à une jeune fille de quinze ans. La mère la plus ombrageuse n'aurait pas un langage plus affectueux, une connaissance plus profonde, plus complètement étudiée et des joies de l'enfance et de ce passage toujours un peu dangereux, souvent si terrible de la quinzième année, et des rêves enivrants qui viennent dorer son horizon.

En lisant ces charmantes strophes, je me rappelle involontairement une pièce dans laquelle Mennechet, s'adressant également à une jeune fille de quinze ans, lui dit en débutant:

Accueillez ces conseils que formulent en vers

Pour vos quinze printemps, mes quatre-vingts hivers.

L'œuvre de Mennechet contient plus d'appréciations, plus de faits, est plus cherchée. Celle de notre auteur l'emporte par le sentiment, la touchante affection, est plus trouvée peut-être. Il éprouvait évidemment pour son sujet une tendresse bien justifiée: heureux poète ! jamais semence plus précieuse ne tomba dans un terrain plus riche et plus fertile! On relit avec plaisir cette strophe:

Tourne longtemps les yeux vers la rive quittée.
N'ouvre pas au hasard la voile à tous les vents;
Comme les flots, pour toi, les sables sont mouvants.
Ta vie est moins bruyante et bien plus agitée;
Et ton ange gardien, de son aile attristée,
Chasse de ton chevêt les rêves décevants.

Je ne puis m'empêcher de comparer ce dernier distique avec les vers de Musset qui dit quelque part, en parlant d'une vierge :

En approchant d'elle,

Dans l'air qu'elle respire on sent frissonner l'aile
Du chérubin jaloux qui veille à son côté.

Auxquels donner la préférence? Je ne sais.

Que dire de la Broderie? de ce réquisitoire frappé au coin d'une si fine, si profonde analyse?

Cet horizon borné ne l'est qu'en apparence:
Sous des cieux inconnus se lève une espérance!
Trop de silence aussi pèse sur ce labeur

Pour qu'on n'entende pas les battements du cœur.

J'aime l'histoire de Cillette, je la trouve attachante, cette légende rustique qui réhabilite, en style leste et pimpant, ces animaux noirs et sauvages, dont parle Labruyère, qui nous rappelle qu'un grand cœur comme une grande intelligence peuvent naitre dans une chaumière.

Je n'ai qu'un mot à ajouter pour faire l'éloge de cet acte d'intelligente justice : j'ai vu des femmes pleurer en le lisant.

J'aime encore cette bonne et joviale figure du curé de Montoire, cet esprit gaulois dont les vives et pétillantes saillies ne vont jamais au-delà de l'épiderme, cette inépuisable bonté, ce cœur

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>>

... Un consolateur en même temps qu'un juge,

» Mais un juge qui pleure avec le condamné.

On passe facilement du sourire à l'attendrissement, devant ce pasteur qui pratique une aussi hasardeuse homoeopathie morale; mais en se rappelant que la jeunesse de Montoire était folle de la danse; qu'un torrent peut se diriger, s'arrêter jamais; qu'en somme, c'était au bruit de son archet que s'allumaient les cierges bénits pour l'union d'heureux couples villageois, on est bien obligé de lui donner un verdict favorable. Qui sait? Cette originale et touchante figure est peut-être celle qui a inspiré à Béranger un des plus jolis couplets de son Bon Pasteur, couplet qui se termine ainsi :

Quand le plaisir, dans la plaine,

Le soir vous ramènera ;

Venez danser sous mon vieux chêne

Et le bon Dieu vous bénira.

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Pourquoi M. Lambert qui, au début d'une de ses plus remarquables nouvelles, proclame en si beaux vers, l'influence providentielle de la femme sur notre destinée, se révolte-t-il avec tant d'énergie contre l'aphorisme du légiste anglais Cherchez la femme. Si le sexe faible, qu'on devrait appeler le sexe fort, a sur l'autre une puissance indéniable, inéluctable, il est évident qu'elle apporte dans cette puissance ses vertus ou sa dépravation. Plus que jamais, je suis convaincu « qu'à tout âge, la femme » est le mobile, l'inspiratrice et le but de la plupart de nos » actes, bons et mauvais. » Est-elle grande et noble, elle sera Béatrix; est-elle vicieuse et dépravée, elle sera la fille de Caïn, marquée au fer rouge par Alexandre Dumas fils.

A part cette légère divergence d'opinion, je n'ai que des éloges à donner à Jane. Une jeune fille a concentré tous les sentiments d'un cœur vaillant et affectueux sur un jeune homme indigne, et porte le deuil éternel de son

amour:

« Un homme a méconnu cette richesse d'âme,

» Et l'amour n'eut pour lui qu'une éphémère flamme.
» Trop léger pour porter le poids de ses serments,

» Il était de ceux-là que l'ambition mène

» Et qui laissent en eux s'agrandir son domaine
» Et s'amoindrir les sentiments. >>

Il était de ceux qui se demandent avec inquiétude :

« La dot répondra-t-elle au poids de la personne ?... »

Ces nobles cœurs qui se donnent ainsi sans retour à des nullités incurables ne sont pas rares. Old! old story! Oui, vieille histoire; mais histoire éternellement jeune ! Ce contraste est étrange et navrant, pour ne pas dire inexplicable. L'âme de la femme a d'insondables secrets, d'étranges erreurs. Et l'auteur s'écrie avec raison:

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