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Mémoires de l'acad. des

Inscriptions,

qu'on a découvert la cochenille, qui donne une écarlate plus vive et plus éclatante que celle que donne le kermès, qui est plus foncée, et qui approche plus de la pourpre romaine. Elle a pourtant un avantage sur celle de la cochenille, qu'elle ne change point de couleur quand il y tombe de l'eau par-dessus, comme il arrive à l'autre, qui devient noirâtre à l'instant.

§ IX. Étoffes de soie.

La soie, comme l'observe M. Mahudel dans la dissertation qu'il nous a donnée sur cette matière, dont tome V. je ferai ici grand usage, la soie, dis-je, est une de ces choses dont on s'est servi, pendant plusieurs siècles, presque dans toute l'Asie, en Afrique, et en beaucoup d'endroits de l'Europe, sans que l'on connût ce que c'était; soit parce que les peuples chez qui elle se trouvait donnaient peu d'accès chez eux aux étrangers, soit que, jaloux d'un avantage qui leur était particulier, ils appréhendaient de se le voir ravir par d'autres. C'est sans doute de la difficulté qu'il y avait de s'instruire de l'origine de ce fil précieux que sont nées tant d'opinions singulières des plus anciens auteurs.

Herod. 1. 3,

que

A juger par la description qu'Hérodote fait d'une cap. 106. laine plus belle et plus fine que l'ordinaire, et qu'il dit être le fruit d'un arbre des Indes (pays le plus reculé les Orientaux connussent de son temps du côté du levant), il paraît que c'était la première idée qu'ils aient eue de la soie. Il n'était pas extraordinaire que des gens envoyés dans ce pays-là pour le reconnaître, ne voyant qu'en passant les cocons des vers à soie dont ces arbres étaient chargés, sous un climat où ces in

sectes éclosent sur leurs feuilles, s'y nourrissent, et montent naturellement sur leurs branches, prissent ces cocons pour des pelotons de laine.

Il y a apparence que ce n'a été que sur la relation de ces gens peu fidèles, que Théophraste regardait ce genre d'arbres comme existant, et qu'il les rangeait dans une classe particulière, qu'il a formée d'arbres portant de la laine. Il y a tout lieu de croire que c'était aussi le sentiment de Virgile:

Velleraque ut foliis depectant tenuia Seres.

Theophr. in

edit. Bodel.

1.4, c. g.

Georg. 1. 2,

V. 121.

Hist. anim. c. 19.

Aristote, quoique le plus ancien des naturalistes, est Aristot. 1. 5, celui qui a donné la description d'un insecte le plus approchant du ver à soie. C'est en parlant des différentes espèces de chenilles qu'il en décrit une qui vient d'un ver cornu, et à laquelle il ne donne le nom de Boußu que lorsqu'elle s'est renfermée dans une coque, d'où il dit qu'elle sort en papillon; changements qui, selon lui, s'accomplissent en six mois.

cap. 22, 23.

Environ quatre cents ans après Aristote, Pline, au- Plin. l. 11, quel l'histoire des animaux écrite par ce philosophe était très-connue, a répété dans la sienne le même fait à la lettre. Il y range aussi sous le nom de bombyx, non-seulement cette espèce de ver qu'on a prétendu qui produisait la soie de Cos, mais encore diverses autres chenilles qui naissent dans cette île, et qu'il suppose y former des cocons, dont, à ce qu'il dit, les femmes du pays filaient la soie, et en faisaient des étoffes d'une grande légèreté et d'une grande beauté.

Pausanias, qui a écrit quelques années après Pline, Pausau. 1.6, est le premier qui nous apprend que ce ver est indien, pag. 394.

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et que les Grecs l'apelaient op, d'où est dérivé le nom de Seres, habitants des Indes, chez lesquels on s'est convaincu, depuis, que cet insecte naissait.

Ce ver qui produit la soie est un insecte moins merveilleux encore par la matière précieuse qu'il fournit pour diverses étoffes que par les différentes formes qu'il prend, soit avant, soit après s'être enveloppé dans la riche coque qu'il se file lui-même. De graine ou semence qu'il est d'abord, il devient un ver assez gros, d'un blanc tirant sur le jaune. Devenu ver, il s'enferme dans sa coque, où il prend la forme d'une espèce de fève grisâtre, à qui il semble qu'il ne reste ni mouvement ni vie. Il ressuscite ensuite pour devenir papillon, après s'être fait une ouverture pour sortir de son tombeau de soie. Et enfin, mourant véritablement, il se prépare, par la graine ou semence qu'il jette, une nouvelle vie, que le beau temps et la chaleur de l'été lui doivent aider à reprendre. On peut voir dans le premier tome du Spectacle de la nature une description plus étendue et plus exacte de ces divers changements.

C'est de cette coque où le ver s'était enfermé, qu'on nomme cocon ou coucon, qu'on tire les différentes qualités des soies qui servent également au luxe et à la magnificence des riches, et à la subsistance des pauvres qui les filent, les dévident, ou les mettent en œuvre. On trouve ordinairement dans chaque cocon plus de neuf cents pieds de fil; et ce fil est double et collé l'un sur l'autre dans toute sa longueur; ce qui revient par conséquent à près de deux mille pieds de fil. Quelle merveille, qu'on puisse d'une matière si fine, si déliée, et qui échappe presque à l'œil, composer des étoffes

aussi fermes et aussi durables que le sont celles de soie! Mais quel éclat, quelle beauté, quelle délicatesse dans ces étoffes! Il n'est pas étonnant qu'elles aient fait une partie considérable du commerce ancien, et que, comme elles étaient alors fort rares, elles aient été d'un grand prix. Vopisque assure que l'empereur Aurélien refusa, par cette raison, à l'impératrice sa femme, un habit de soie qu'elle lui demandait avec empressement, et qu'il lui dit : Aux dieux ne plaise que j'achète du fil au poids de l'or! car le prix d'une livre de soie était pour-lors une livre d'or.

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Ce n'est que bien tard que l'usage des vers à soie été connu, et est devenu commun dans l'Europe. L'historien Procope en place l'époque vers le milieu du cinquième siècle, sous l'empereur Justinien. Il donne l'honneur de cette découverte à deux moines, qui, étant nouvellement arrivés des Indes à Constantinople, entendirent parler de l'embarras dans lequel était Justitinien, pour ôter aux Persans le commerce de la soie avec les Romains; ils se firent présenter à lui, et lui proposèrent, pour se passer des Persans, une voie plus courte que celle d'un commerce avec les Éthiopiens, à laquelle il songeait, qui était d'apprendre aux Romains l'art de faire eux-mêmes la soie. L'empereur, persuadé par leur récit, de la possibilité de ce moyen, les renvoya à Serinde (nom de la ville où ils avaient demeuré) chercher les œufs des insectes qu'ils disaient ne pouvoir en être transportés vivants. Ces moines, après un

1 « Vestem holosericam neque ipse in vestiario suo habuit, neque alteri utendam dedit. Et quum ab eo uxor sua peteret, ut unico pallio blatteo

serico uteretur, ille respondit: Ab-
sit ut auro fila pensentur! Libra enim
auri tunc libra serici fuit. » (Vorisc.
in Aurel.)

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second voyage, étant de retour à Constantinople, firent éclore dans le fumier les œufs qu'ils avaient apportés de Serinde: il en sortit des vers qu'ils nourrirent avec des feuilles de mûrier blanc; et ils prouvèrent, par cette expérience, qui leur réussit, toute la mécanique de la soie, dont l'empereur avait souhaité d'être éclairci.

Depuis ce temps-là, l'usage de la soie se répandit peu à peu et passa dans d'autres parties de l'Europe. Il s'en fit des manufactures à Athènes, à Thèbes, à Corinthe; ce ne fut environ qu'en 1130, que Roger, roi de Sicile, en établit une à Palerme. On vit alors dans cette île et dans la Calabre des ouvriers en soie, qui furent une partie du butin que ce prince rapporta des villes de Grèce que j'ai nommées, dont il fit la conquête dans son expédition de la Terre-Sainte. Enfin, le reste de l'Italie et l'Espagne ayant appris des Siciliens et des Calabrois à nourrir les vers qui font la soie, à la filer et à la mettre en œuvre, les étoffes de soie commencèrent aussi à se fabriquer en France, surtout dans les parties méridionales de ce royaume, où les mûriers viennent plus facilement. Louis XI, en 1470, établit des manufactures de soieries à Tours; les premiers ouvriers qui y travaillèrent, furent appelés de Gênes, de Venise, de Florence, et même de la Grèce : les ouvrages de soie étaient encore si rares, même à la cour, que Henri II fut le premier qui porta un bas de soie aux noces de sa sœur.

Maintenant ils sont devenus fort communs; mais ils n'ont point cessé d'être une des merveilles de la nature les plus étonnantes. Les plus habiles ouvriers ont-ils pu jusqu'ici imiter cet ingénieux travail des vers à soie? Ont-ils trouvé le secret de former un fil

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