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Babylone, l'Écriture nous apprend qu'Assuérus (c'est le même que Darius, fils d'Hystaspe) avait planté une partie des arbres de son jardin, et qu'il le cultivait de Esther, 1, 5. ses mains royales: Jussit convivium præparari in vestibulo horti et nemoris, quòd regio cultu et manu consitum erat. On sait ce que Cyrus le jeune répondit à Lysandre qui admirait la beauté, l'économie et la disposition de ses jardins : que c'était lui-même qui en avait tracé le plan, qui en avait donné les alignements, et qu'il avait planté plusieurs arbres de sa main. Ego Cic. de Sen. omnia ista sum dimensus: mei sunt ordines, mea descriptio: multæ etiam istarum arborum med manu

n. 59.

sunt satæ.

On voudrait, si cela était possible, ne quitter jamais un séjour si délicieux. On a tâché au moins, pour se consoler, de se faire une sorte d'illusion, en transportant pour ainsi dire la campagne au milieu des villes : non une campagne simple et presque brute, qui ne connaît de beautés que les naturelles, et qui n'emprunte rien de l'art; mais une sorte de campagne peignée, ajustée, embellie, j'ai presque dit fardée. J'entends parler de ces jardins si ornés et si élégants, qui offrent aux yeux un si doux et si brillant spectacle. Quelle beauté, quelle richesse, quelle abondance, quelle variété d'odeurs, de couleurs, de nuances, de découpures! il semble 1, à voir la fidélité et la régularité invariable des fleurs à se succéder les unes aux autres (et il en faut dire autant des fruits), que

I « Sed illa quanta benignitas naturæ, quod tam multa ad vescendum, tam varia, tamque jucunda gignit neque ea uno tempore anni,

la

ut semper et novitate delectemur, et copiâ!»(Cic. de Nat. Deor. lib. 2, n. 131.)

per

terre, attentive à plaire à son maître, cherche à pétuer ses présents, en lui payant toujours dans chaque saison de nouveaux tributs. Quelle foule de réflexions tout cela ne fournit-il point à un esprit curieux, et encore plus à un esprit religieux!

Pline, après avoir reconnu qu'il n'y a point d'éloquence capable d'exprimer dignement cette incroyable abondance et cette merveilleuse diversité de richesses et de beautés que la nature répand dans les jardins comme en se jouant, et avec une sorte de complaisance, ajoute une remarque bien sensée et bien instructive. Il fait observer la différence que la nature a mise pour la durée entre les arbres et les fleurs. Aux plantes et aux arbres, destinés à nourrir l'homme par leurs fruits, et à entrer dans la construction des édifices et des navires, elle a accordé des années, et même des siècles entiers. Aux fleurs et aux odeurs, qui ne servent qu'au plaisir, elle n'a donné que quelques moments et quelques journées, comme pour avertir que ce qui brille avec le plus d'éclat passe et se flétrit bien rapidement. Malherbe exprime cette dernière pensée d'une manière bien vive, en déplorant la mort. d'une personne qui joignait à une grande jeunesse une extrême beauté :

Et, rose, elle a vécu ce que vivent les roses,

L'espace d'un matin.

C'est le grand avantage de l'agriculture, d'être liée plus étroitement qu'aucun autre art avec la religion,

I « Quippè reliqua usùs alimentique gratiâ genuit, ideoque secula annosque tribuit iis. Flores verò odoresque in diem gignit magnâ, ut

palam est, admonitione hominum, quæ spectatissimè floreant, celerrimè marcescere.» (PLIN. lib. 21, cap. 1.)

comme elle l'est aussi avec les bonnes mœurs : ce qui a fait dire à Cicéron, comme nous l'avons vu, que la vie de la campagne approchait beaucoup de celle du sage, c'est-à-dire qu'elle était comme une philosophie pratique.

Pour finir ce petit traité par où je l'ai commencé, il faut avouer que, de toutes les occupations des hommes, qui n'ont point un rapport immédiat à Dieu et à la justice, la plus innocente est l'agriculture. Elle était, comme on l'a vu, celle du premier homme encore juste et fidèle. Elle a fait, depuis, une partie de la pénitence que Dieu lui a imposée. Ainsi, dans les deux temps d'innocence et de péché, elle lui a été commandée 1, et, dans sa personne, à tous ses descendants. Elle est devenue néanmoins l'exercice le plus vil et le plus bas, au jugement de l'orgueil; et pendant qu'on protége des arts inutiles et qui ne servent qu'au luxe et à la volupté, on laisse dans la misère tous ceux qui travaillent à l'abondance et au bonheur des autres.

I

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CHAPITRE II.

DU COMMERCE.

ARTICLE PREMIER.

Excellence et avantages du commerce.

On peut dire, sans crainte d'être soupçonné d'exagération, que le commerce est le plus solide fondement de la société civile, et le lien le plus nécessaire pour unir entre eux tous les hommes, de quelque pays et de quelque condition qu'ils soient. Par ce moyen, le monde entier semble ne former qu'une ville et qu'une seule famille. Il y fait régner de toute part une abondance universelle. Les richesses d'une nation deviennent celles de tous les autres peuples. Nulle contrée n'est stérile, ou du moins ne se sent de sa stérilité. Tous ses besoins lui sont apportés à point nommé du bout de l'univers, et chaque région est étonnée de se trouver chargée de fruits étrangers que son propre fonds ne pouvait lui fournir, et enrichie de mille commodités qui lui étaient inconnues, et qui cependant font toute la douceur de la vie. C'est par le commerce de la mer et des rivières, c'est-à-dire par la navigation, que Dieu a uni entre eux tous les hommes d'une manière si merveilleuse, en leur enseignant à conduire

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I

rum, propter nauticarum rerum scientiam.» (Cic. de Nat. Deor. 1. 2, n. 152.)

et à gouverner les deux choses les plus violentes qui soient dans la nature, la mer et les vents, et à les faire servir à leurs usages et à leurs besoins. Il a joint aussi les peuples les plus éloignés, et il a conservé entre les nations différentes une image de la liaison qu'il a mise entre les parties du même corps par les veines et les artères.

Ce n'est là qu'une faible et légère idée des avantages que le commerce procure à la société en général. Pour peu qu'on voulût l'approfondir en descendant dans quelque détail, quelles merveilles n'y découvrirait-on pas! Mais ce n'est pas ici le lieu de le faire. Je me borne à une seule réflexion, qui me paraît bien propre à faire connaître en même temps et la faiblesse et la grandeur de l'homme.

Je le considère d'abord dans le plus haut point d'élévation où il puisse arriver, je veux dire sur le trône : logé dans de superbes palais, environné de tout l'éclat de la majesté royale, respecté et presque adoré par une foule de courtisans qui tremblent devant lui, placé au centre des richesses et des plaisirs qui s'offrent à lui à l'envi, soutenu par des armées nombreuses qui n'attendent que ses ordres pour agir; voilà le comble de la grandeur humaine. Mais ce prince si puissant et si terrible, que devient-il si le commerce vient à cesser tout d'un coup, s'il est réduit à lui seul, à son industrie et à ses propres efforts? Isolé de la sorte, séparé de ce pompeux dehors qui n'est point lui-même, et qui lui est absolument étranger, privé du secours des autres, il retombe dans la misère et l'indigence où il est né, et, pour dire tout en un mot, il n'est plus rien.

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