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vingt-six milles, c'est-à-dire à neuf ou dix lieues de Rome. Ptolémée lui témoigna 'une grande reconnaissance de la bonté qu'il avait pour lui et de l'honneur qu'il lui faisait; mais il ne crut pas devoir accepter son présent, ni lui permettre de l'accompagner le reste du voyage. Il l'acheva à pied, et avec le même cortége qu'il avait eu jusque-là, et le même habit : il entra à Rome de cette manière, et alla loger chez un peintre d'Alexandrie qui avait une fort petite maison: il voulut, par toutes ces circonstances, marquer mieux la misère où il était réduit, et émouvoir la compassion des Romains.

Quand on eut appris son arrivée, on le fit prier de venir au sénat, qui lui fit des excuses de ce qu'il n'avait pas préparé une maison pour le loger, et de ce qu'à son entrée il ne lui avait pas rendu les honneurs qu'il avait coutume de rendre aux princes de son rang. Il l'assura que ce n'était pas manque de considération pour sa personne, ni par négligence; mais que sa venue l'avait surpris, et qu'elle avait été tenue si secrète, qu'on ne l'avait apprise que lorsqu'il était déja dans Rome. Ensuite, après l'avoir exhorté à quitter l'habit qu'il portait, et à demander audience pour exposer en plein sénat le sujet de son voyage, il fut conduit par quelques sénateurs dans une maison proportionnée à sa naissance; et on chargea un des questeurs ou trésoriers de le faire servir, et de lui fournir aux dépens du public tout ce qui lui était nécessaire pendant son séjour à Rome.

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Quand on lui eut donné audience, et qu'il eut représenté son état aux Romains, ils résolurent aussitôt

son rétablissement et députèrent deux sénateurs,

avec le caractère d'ambassadeurs, pour aller avec lui à Alexandrie faire exécuter leur decret. Ils le ramenèrent effectivement, et réussirent à faire l'accommodement entre les deux frères. On donna la Libye et la Cyrénaïque à Physcon; Philométor eut l'Égypte et l'île de Cypre; et ils furent déclarés indépendants l'un de l'autre dans les états qu'on leur assignait à chacun. Le traité et l'accord furent scellés par les sacrifices et les serments ordinaires.

Mais et les sacrifices et les serments n'étaient depuis long-temps, parmi la plupart des princes, que de simples cérémonies pour la formalité, et qu'ils croyaient ne les obliger à rien; et ce sentiment n'est que trop ordinaire. Bientôt après, le cadet des deux rois, mécontent de la portion qui lui était échue, en porta ses plaintes au sénat. Il demanda que le traité de partage fût cassé, et qu'on le remît en possession de l'île de Cypre. Il alléguait pour raison qu'il avait été forcé par la nécessité des temps à consentir aux propositions de son frère, et que, quand on lui accorderait Cypre, sa part n'égalerait pas encore à beaucoup près celle de son aîné. Ménithylle', député à Rome par l'aîné, fit voir que Physcon tenait de la bonté de son frère, nonseulement la Libye et la Cyrénaïque, mais la vie même : qu'il s'était fait hair des peuples par ses violences, à un tel point, qu'ils ne lui auraient laissé ni le gouvernement ni la vie, si son frère, en se rendant médiateur, ne l'avait arraché à leur ressentiment: que pourlors, sauvé de ce péril, il s'était cru trop heureux de régner sur la région qui lui avait été cédée; que le

Les manuscrits portent Ménylle. - L.

traité avait été ratifié en présence des autels, et que de part et d'autre on avait juré de se tenir parole. Quintius et Canuléius, qui avaient fait l'accord entre les deux frères, attestèrent la vérité de tout ce que Ménithylle avançait.

Le sénat, voyant qu'en effet le partage n'était point égal, profita habilement de la querelle des deux frères pour diminuer les forces du royaume d'Égypte en les divisant, et accorda au cadet ce qu'il demandait : car telle était la politique des Romains (c'est Polybe qui fait cette réflexion): ils mettaient à profit les querelles et les différends des princes pour étendre et affermir leur domination, et se conduisaient de telle façon à leur égard, que, pendant qu'ils n'agissaient que pour leur intérêt propre, on leur avait encore obligation. Comme donc la grande puissance de l'Égypte leur faisait craindre qu'elle ne devînt trop formidable, si elle tombait entre les mains d'un souverain qui en sût faire usage, ils adjugèrent l'île de Cypre à Physcon. Démétrius, qui ne perdait point de vue le trône de Syrie, et qui de son côté avait intérêt qu'un prince aussi puissant que le roi d'Égypte ne demeurât pas maître de l'île de Cypre, avait appuyé la demande de Physcon de tout son crédit. Les Romains firent partir avec ce dernier T. Torquatus et Cn. Mérula pour l'en aller mettre en possession.

1

Graccho, pag. 824.

Pendant le séjour que ce prince fit à Rome, il eut Plat. in Tib. occasion de voir souvent Cornélia, la mère des Gracques, et lui fit proposer de l'épouser. Mais, étant fille de Scipion l'Africain, et veuve de Tibérius Gracchus, qui avait été deux fois consul et censeur, elle rejeta ses offres, et crut qu'il était plus honorable pour elle

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AN. M. 3843.

Av. J. C. 161.

132.

Id. in Ex

pag. 197.

cerpt. Vales.

d'être une des premières dames de Rome que reine de Libye avec Physcon.

Physcon partit de Rome avec les deux ambassadeurs romains. Leur plan était de ménager une entrevue entre les deux frères sur la frontière, et de les amener, par la voie de la négociation, à l'accommodement que le sénat avait réglé. Philométor ne s'expliqua point d'abord ouvertement: il traîna l'affaire en longueur sous différents prétextes, cherchant à gagner du temps, et prenant des mesures secrètes contre son frère. Enfin il déclara nettement qu'il était résolu de s'en tenir au premier traité, et qu'il n'en ferait point d'autre.

Cependant les Cyrénéens, informés de la mauvaise Polyb. Leg. conduite de Physcon, pendant qu'il avait été le maître du gouvernement à Alexandrie, prirent une si forte cerpt. Vales. aversion pour lui, qu'ils résolurent de lui fermer l'enDiod. in Ex- trée de leur pays les armes à la main. On ne doutait pag. 334. point que Philométor n'eût travaillé sous main à exciter ces troubles. Physcon, qui avait été vaincu par les rebelles dans une bataille, ayant perdu presque toute espérance, fit partir deux députés avec les ambassadeurs romains qui s'en retournaient, et les chargea de porter ses plaintes contre son frère au sénat, et de solliciter sa protection. Le sénat, piqué contre Philométor du refus qu'il faisait d'évacuer l'île de Cypre selon son décret, déclara qu'il n'y avait plus ni amitié ni alliance entre lui et les Romains, et ordonna à son ambassadeur de sortir de Rome dans cinq jours.

Physcon trouva le moyen de se rétablir dans la Cyrénaïque; mais il s'y fit haïr si généralement de ses sujets par sa mauvais conduite, que quelques-uns d'entre eux se jetèrent sur lui, le blessèrent en plusieurs

de

endroits, et le laissèrent pour mort sur la place. Il s'en prit à Philométor son frère; et, dès qu'il fut guéri de ses blessures, il entreprit de nouveau le voyage Rome. Il y fit ses plaintes contre lui au sénat, montra les cicatrices de ses blessures, et l'accusa d'avoir mis en œuvre les assassins qui avaient fait le coup. Quoique Philométor fût le prince du monde le plus doux, et qui aurait dû être le moins soupçonné d'une action si noire et si barbare, le sénat, qui était toujours piqué du refus qu'il avait fait de se soumettre à son réglement à l'égard de l'île de Cypre, prêta l'oreille à cette fausse accusation avec trop de facilité. Il se laissa si fort prévenir contre lui, qu'il ne voulut pas même entendre ce que ses ambassadeurs avaient à dire pour en prouver la fausseté: on leur envoya l'ordre de sortir de Rome incessamment. Outre cela, le sénat nomma cinq commissaires pour conduire Physcon en Cypre, et le mettre en possession de cette île, et il écrivit à tous ses alliés des environs de l'aider pour cet effet de leurs troupes.

Av. J. C. 157.

Par ce moyen Physcon, avec une armée qui lui pa- AN. M. 3847. rut suffisante pour le dessein qu'il avait, débarqua dans l'île. Philométor, qui s'y était rendu en personne, le battit, et l'obligea à se renfermer dans la ville de Lapitho1, où il fut bientôt investi, assiégé, et enfin pris et mis entre les mains de ce frère qu'il avait si cruellement outragé. L'extrême bonté de Philométor parut bien dans cette occasion. Après tout ce que Physcon avait fait contre lui, on s'attendait que, le tenant en son pouvoir, il lui ferait sentir son indignation

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