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vie dont je ne souhaite la durée que pour la consacrer plus longtemps à votre gloire.

CINQUIÈME MERCURIALE.

L'amour de la simplicité.

(Composée pour Pâques 1702.)

Dans un temps où l'ancienne sévérité des lois semble se ranimer pour proscrire le luxe et la fausse grandeur, la magistrature, dont un des principaux devoirs a toujours été le sage éloignement de ces vices, ne doit-elle pas par sa conduite prêter de nouvelles forces à l'autorité de la loi qui les condamne; et, par la voie moins rigoureuse mais plus persuasive des exemples, rétablir, s'il est possible, la simplicité dans les mœurs ?

Qu'il nous soit donc permis en ces jours solennels, destinés à nous retracer l'image de nos devoirs, de rappeler au magistrat l'idée de cette vertu précieuse dans tous les temps, et qui fait le bonheur de toutes les conditions.

Ennemie de l'artifice, de la pompe et de l'ostentation, elle consacre l'homme à la vérité, et l'attache à son devoir par des liens indissolubles; elle l'éclaire sur la véritable grandeur; elle lui fait connaître que ce n'est qu'à sa faiblesse qu'il faut imputer la recherche de ces dehors brillants inventés pour le déguiser aux yeux des autres, et pour le dérober, s'il se pouvait, aux siens propres; que l'éclat extérieur n'augmente pas le prix des talents et de la raison; que la sagesse l'a toujours dédaigné, et qu'il est le partage de ces mérites superficiels, qui se repaissent du vain plaisir d'en imposer au vulgaire.

Ce n'est pas que par un caprice farouche la simplicité de mœurs méprise l'estime du public; elle en connaît les avantages utiles à la vertu même, mais elle cherche à la mériter et non à la surprendre; elle ignore l'art de se faire valoir; elle ne pense qu'à faire le bien, et ne s'occupe pas à le faire remarquer aux autres; elle se montre telle qu'elle est, et néglige les secours et les ornements étrangers.

Semblable à ces personnes que la nature elle-même a ornées d'une beauté vraie, qui méprisent un éclat emprunté; peu attentives aux grâces qui les parent, elles plaisent sans chercher à plaire, et même sans paraître le savoir, et remportent sur l'art et sur l'affectation une victoire qui ne leur coûte ni soins ni désirs. Telle se montre à nos yeux une noble et vertueuse simplicité : non contente de conduire le cœur et d'éclairer l'esprit, elle règle encore l'extérieur, dont elle écarte tout le faste; elle se peint dans tous les traits de l'homme de bien, et se fait sentir dans toutes ses paroles; elle bannit les expressions trop recherchées; enfin elle imprime aux moindres actions ce caractère aimable de vérité qui fait toute la sûreté et toute la douceur de la société civile..

Mais si la raison ramène tous les hommes à la simplicité de mœurs, la justice en fait une loi encore plus indispensable au ministre qu'elle choisit pour prononcer ses oracles.

Il doit se regarder quelquefois comme le protecteur et toujours comme le père de ceux qui recourent à son autorité. Loin de les éloigner de lui par un appareil fastueux, son premier devoir est de rassurer leur timidité et d'exciter leur confiance; il faut que tout annonce en lui un ministre de paix et de justice; qu'il soit à portée de toutes les conditions; que le faible et l'opprimé puissent espérer que leurs plaintes seront portées directement à celui qui peut les faire finir; que rien n'arrête et n'étouffe la voix du pauvre qui implore son secours; et que, né pour le peuple, son extérieur ne soit pas moins populaire que son cœur même.

Dépositaire public de toutes les vertus, c'est par leur éclat seul qu'il doit briller; le luxe, le faste et la vanité ne lui offrent que des objets frivoles, incapables d'éblouir une âme qui se sent destinée à de grandes choses; le bien public est son objet unique; il ne trouve de véritable plaisir qu'à être utile à sa patrie.

Toutes les fonctions de la magistrature sont toujours respectables à ses yeux : si elles ne lui semblent pas également augustes, aucune ne lui paraît pouvoir être méprisée; il n'imite point ces hommes fastueux dont l'attention se prête avec plaisir à ces contestations célèbres qui leur paraissent faire honneur à leur pouvoir, ou être véritablement dignes de leur application, et se refusent à ces causes légères et à ces détails rebutants en

eux-mêmes, qui entrent essentiellement dans l'ordre de la justice. Il sait que la destinée des pauvres y est presque toujours attachée, et que le véritable honneur du magistrat n'est pas de prononcer entre les grands ou sur des difficultés importantes, mais de retracer dans ses jugements l'image fidèle et vivante de la loi même qui établit des règles invariables sans distinguer les personnes et les conditions.

Ennemi de toute affectation, il ne fait sentir aux autres aucune supériorité ni de naissance ni de talents; toujours prêt de faire à la justice un sacrifice de ses opinions les plus chéries, les contradictions l'instruisent, loin de le révolter; une éloquence douce et vraie semble couler de ses lèvres; la candeur et la modestie qui se montrent dans son extérieur découvrent la pureté de son cœur. C'est ainsi qu'il mérite la confiance des autres ministres de la justice, et que la vérité qu'il a trouvée, parce qu'il la cherchait sans prévention, triomphe parce qu'il la défend sans aigreur.

Loin de lui les soins inquiets qui captivent les autres hommes! Le luxe étale en vain en d'autres lieux tout ce qu'il peut avoir de plus séduisant, il n'en est point ébloui; il lui préfère l'ancienne simplicité qu'il aime à conserver, à retenir du moins autant qu'il est en son pouvoir; les seules vertus lui paraissent les seuls ornements dignes de son état; sa vie uniforme, mais toujours vénérable, se passe ou dans une heureuse ignorance de ce qu'on appelle les avantages de la fortune, ou ( ce qui est plus estimable encore) dans une noble disposition de cœur à n'en être point touché. Une vie simple en apparence, mais vraiment digne d'un magistrat, a été dans tous les temps le caractère et l'heureux partage des plus illustres ministres de la justice.

Cette vertu, éloignée de toute affectation, lui attire bientôt une considération supérieure à celle de la plus brillante fortune; mais cette considération même ne diminue rien de la simplicité de ses mœurs; il est surpris de ce qu'on lui fait un mérite de cet attachement invariable à ses devoirs; il ignore seul qu'il est digne de louanges, et il semble quelquefois que l'estime et la reconnaissance publiques, biens sur lesquels il a un droit si légitime, le gênent et l'embarrassent.

Pour conserver cette précieuse simplicité, le magistrat évite avec soin de se laisser surprendre au vain éclat des objets extérieurs; il sait que d'un sage mépris pour ces objets dépend tout son bonheur, et qu'en se livrant à la jouissance de ces faux biens, on perd peu à peu le goût qui nous attachait aux véritables.

Artisans de nos propres malheurs, nous prêtons nous-mêmes les plus fortes armes aux ennemis de notre raison; nous commençons par traiter de grossiers ces temps heureux où l'on ne connaissait point le luxe ni un vain faste; il semble que nous ignorions à quel point il est dangereux de se familiariser avec des séducteurs qui deviennent ensuite des tyrans domestiques. L'admiration commence à séduire notre âme, elle est bientôt suivie de nos désirs; un malheureux raffinement nous les présente de jour en jour sous de plus flatteuses images, et nous croyons perfectionner notre goût, lorsque nous ne faisons qu'affaiblir notre vertu.

On se persuade que l'attachement aux avantages extérieurs n'a rien de contraire à l'esprit de justice qui doit animer le magistrat; qu'il en fera dans les occasions un sacrifice éclatant à son devoir. Mais que c'est peu connaître notre cœur! il ne partage pas si longtemps ses affections. Ou la raison y règne en souveraine, et alors elle le détache de tous les autres objets : ou par des combats continuels elle le fatigue, elle vient à lui paraître importune et trop sévère, il ne la suit plus qu'à regret ; et, dans la fausse idée d'acheter son repos, il cesse enfin d'écouter une voix qui le trouble sans le déterminer.

Il n'en est pas ainsi du sage magistrat qui joint à l'éloignement de ces vices l'heureux secours de l'habitude. Loin de voir diminuer peu peu sa vertu, il éprouve au contraire qu'elle acquiert tous les jours de nouvelles forces; elle devient inébranJable, et le soutient contre le torrent qui entraîne les autres hommes; les mœurs simples sont les seules digues insurmontables aux passions.

L'ambition écartera-t-elle de son devoir un magistrat qui n'est point sensible aux récompenses qu'elle promet? Plus attentif aux devoirs qu'exigent les dignités qu'à l'éclat qu'elles

répandent, il craint de nouveaux honneurs, loin de s'empresser à les chercher. Il se borne à remplir les obligations de son état. Un nouveau joug ne lui paraît pas mériter les soins qu'il faut prendre pour se l'imposer.

Quelle différence de sentiment entre le magistrat ambitieux et celui qui se dévoue à une vertueuse simplicité! L'un fait servir ses devoirs à ses projets; l'autre, sans être distrait par des projets, n'envisage que son devoir. Les talents de l'un ne sont utiles au public que quand il croit qu'ils peuvent être utiles à ses desseins; les services de l'autre sont dégagés de tout désir de récompense, et il s'en trouve assez payé par la satisfaction intérieure de faire le bien. De secrètes inquiétudes, des attentions incommodes, des agitations continuelles, des mouvements souvent inutiles, troublent toute la vie de l'un; l'autre voit couler ses jours dans une heureuse paix, et ne craint que ce qui pourrait donner atteinte à sa vertu. L'un, après l'accomplissement de ses plus ardents désirs, voit son bonheur lui échapper dans le sein de la possession même : il forme de nouveaux vœux. Ce qu'il n'a point encore efface dans son esprit ce qu'il a eu tant de peine à obtenir; et, pour tout fruit de ses travaux, il ne sent souvent que le poids accablant des remords; l'autre, toujours heureux, toujours tranquille, se renferme dans sa vertu, et, content de servir sa patrie dans les fonctions dont elle l'a chargé, il lui fait sans regret le sacrifice d'une fortune à laquelle il aurait pu aspirer : enfin l'un est consumé par l'ennui d'un tumultueux esclavage qui avilit la noblesse de sa profession; l'autre goûte le plaisir d'une heureuse indépendance des passions qui l'élève au-dessus de sa dignité même.

La simplicité de mœurs fait encore ignorer au magistrat ces timides ménagements, ces retours secrets d'amour-propre, ces vues de fortune pour soi ou pour sa famille, qui portent l'âme. à désirer que la cause la plus accréditée soit la plus juste, et la séduisent quelquefois jusqu'à lui faire croire ce qu'elle désire. Peut-on seulement soupçonner que de tels sentiments trouvent entrée dans un cœur qui ne connaît que le devoir, qui ne regarde les plus illustres clients qu'avec les yeux de la justice, devant qui toutes les conditions disparaissent, et qui, peu touché

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