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j'entreraien matière. Je diviserai en trois Livres tout ce qui regarde les Arts & les Sciences. Dans le prémier, je traiterai de l'Agriculture, du Commerce, de l'Architecture, de la Sculpture, de la Peinture, de la Mufique. Dans le fecond, je parle rai de la Science militaire, & de ce qui regarde la levée & l'entretien des troupes, les batailles, & les fièges, tant par terre que par mer. Dans le dernier Livre, qui terminera tout mon Ouvrage, je parcourrai les Arts & les Sciences qui ont plus de rapport à l'efprit: la Grammaire, la Poétique, l'Hiftoire, la Rhétorique, & la Philofophie, avec toutes les parties qui en dépendent, ou qui y ont quelque rapport.

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Je dois avertir par avance, avec la franchife dont j'ai fait profeffion jufqu'ici, que j'entreprends de traiter une matière, dont plufieurs parties me font prefque entièrement inconnues. J'ai besoin , par cette raison, d'une nouvelle indulgence. Je demande qu'il me foit permis d'ufer libre ment, comme j'ai toujours fait, (& j'y fuis forcé plus que jamais) de tous les fecours que je trouverai à ma rencontre Je courrai rifque de perdre la gloire d'être, Auteur & Inventeur. J'y renonce volontiers, pourvu que je puiffe avoir celle de plaire à mes Lecteurs, & de leur être de quelque utilité. On ne doit point s'atten dre à trouver ici une érudition profonde, comme la matière femble le comporter. Je ne prétends point inftruire les Savans, mais

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mais choifir ce qu'il y a dans tous les Arts plus à la portée du commun des Lecteurs.

CHAPITRE PREMIER.

DE L'AGRICULTURE.

ARTICLE I

Antiquité de l'Agriculture. Son utilité. Quelle estime on en faifoit dans les anciens tems. Combien il eft important de la mettre en honneur, & dangereux d'en négliger le foin.

JE

E PUIS bien avec juftice mettre à la tête des Arts l'Agriculture, qui a certainement fur tous les autres l'avantage & de l'antiquité & de l'utilité. On peut dire qu'elle eft auffi ancienne que le monde, puifque c'eft dans le Paradis terreftre même qu'elle a pris naiffance, lorfqu' Adam, forti tout récemment des mains de fon Créateur poffédoit encore le précieux máis fragile trésor de fon innocence. Dieu l'aiant placé dans ce jardin de délices, lui Gr. 2.15. en ordonna la culture, ut operaretur il tum: non une culture pénible & laborieufe, mais facile & agréable, qui dévoit lui tenir lieu d'amufement, & lui faire contempler de plus près dans les productions

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de

de la terre la fageffe & la libéralité de fon Maitre.

Le péché d'Adam aiant renversé tout cet ordre, & lui aiant attiré le funeste arrêt qui le condamna à manger fon pain à la fueur de fon vifage, Dieu changea fon plaifir en châtiment, & l'affujettit à un dur travail, qu'il n'auroit jamais connu, s'il avoit toujours ignoré le mal. La ter re, devenue fourde & rebelle à fes ordres en punition de fa révolte contre Dieu, fe couvrit de ronces & d'épines. Il falut lui faire violence pour la contraindre de payer à l'homme un tribut, dont fon ingratitu de l'avoit rendu indigne, & la forcer par le labourage à lui fournir tous les ans une nourriture qui lui étoit auparavant donnée gratuitement & fans peine.

On voit par-là jufqu'où remonte l'origine de l'Agriculture, qui, de punition qu'elle étoit, eft devenue, par un fingulier bienfait de Dieu, comme la mère & la nourricière du genre-humain. Elle eft en effet la fource des véritables biens, & des richeffes qui ont un prix réel, & qui ne dépendent pas de l'opinion des hommes: qui fuffifent à la néceffité, & même aux délices: qui font qu'une nation n'a pas befoin des étrangers, & qu'elle leur eft néceffaire: qui font le principal revenu d'un Etat, & qui lui tiennent lieu de tous les autres, s'ils viennent à lui manquer. Quand les mines d'or & d'argent feroient épuifées, & que l'efpèce en feroit perdue; quand les perles & les diamans

de

demeureroient cachés dans le fein de la mer & de la terre; quand le commerce feroit interdit avec les voifins; quand tous les arts qui n'ont d'autre objet que l'embelliffement & la parure feroient abolis: la fécondité feule de la terre tiendroit lieu de tout; elle fourniroit une reffource abondante aux befoins publics; & elle ferviroit à nourrir & le peuple, & les Armées qui le défendroient..

On ne doit pas être furpris, après cela, que l'Agriculture ait été autrefois fi fort en honneur chez les anciens: il doit paroitre plutôt bien étonnant qu'elle ait celfé de l'être, & que celle de toutes les profeffions qui eft la plus néceffaire & la plus indifpenfable, foit tombée dans un fi grand mépris. Nous avons vu, dans tout le cours de notre Hiftoire, qu'une des principales attentions des Princes les plus fages & des Miniftres les plus habiles, étoit de foutenir & d'encourager l'Agri

culture.

Chez les Affyriens & chez les Perfes, on récompenfoit les Satrapes dans le Gouvernemens defquels on trouvoit les terres bien cultivées, & l'on puniffoit ceux qui Dionyf. négligeoient ce foin. Numa Pompilius Halic. An-l'un des plus fages Rois dont il foit parlé tiq. Rom. 1. dans l'antiquité, & qui a le mieux compris & le plus fidèlement rempli les devoirs de la royauté, avoit partagé tout le territoire de Rome en différens cantons. On lui rendoit compte exactement de la manière dont ils étoient cultivés; & il

2. p. 135.

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faifoit venir les laboureurs, pour louer & encourager ceux dont les terres étoient bien tenues & pour faire des reproches aux autres. Les biens de la terre, dit l'Hiftorien, étoient regardés alors comme les plus juftes & les plus légitimes de toutes les richeffes, & préférés de beaucoup aux avantages que procure la guerre, qui ne font pas de longue durée. Ancus Mar- Id. 1. 3cius, quatrième Roi des Romains, qui fe pag. 177. piquoit de marcher fur les traces de Numa, après le culte des Dieux & le refpect pour la religlon, ne recommandoit rien tant aux peuples que la culture des terres, & la nourriture des troupeaux. Cet efprit fe conferva longtems chez les Romains & (4) dans les tems poftérieurs, celui qui s'acquittoit mal de ce devoir, s'attiroit l'animadverfion du Cenfeur.

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On favoit, par une expérience qui n'avoit jamais trompé, que la culture des terres & la nourriture des beftiaux qui en eft une fuite & en fait partie, étoit pour un pays une fource affurée & intariffable de richeffe & d'abondance. L'Agriculture ne fut jamais plus confidérée en aucun endroit du monde que dans l'Egypte, où elle faifoit un objet fpécial du gouvernement & de la politique: & nul pays ne fut plus peuplé, plus riche plus puiffant. La force d'un Etat ne fe mefure pas au terrein: c'eft au nombre des

ci

(4) Agrum malè colere, Cenforium probrum `ju. dicabatur. Fl. lib. 18. cap: 3.

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