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ainsi qu'au temps du déluge. Souvent les nuages du ciel imitèrent des vagues amoncelées, des sables ou des écueils blanchissants. Sur la terre, les rochers laissèrent tomber des cataractes; la lumière de la lune, les vapeurs blanches du soir, couvrirent quelquefois les vallées des apparences d'une nappe d'eau ; il naquit dans les lieux les plus arides des arbres dont les branches affaissées pendirent pesamment vers la terre, comme si elles sortaient encore toutes trempées du sein des ondes; deux fois par jour la mer reçut ordre de se lever de nouveau dans son lit et d'envahir ses grèves; les antres des montagnes conservèrent de sourds bourdonnements et des voix lugubres; la cime des bois présenta l'image d'une mer roulante, et l'Océan sembla avoir laissé ses bruits dans la profondeur des forêts.

CHAP. V. JEUNESSE ET VIEILLESSE DE LA TERRE.

Nous touchons à la dernière objection sur l'origine moderne du globe. On dit : « La terre est une vieille nourrice dont tout annonce la caducité. Examinez ses fossiles, ses marbres, ses granits, ses laves, et vous y lirez ses années innombrables marquées par cercle, par couche ou par branche, comme celles du serpent à sa sonnette, du cheval à sa dent, ou du cerf à

ses rameaux.

Cette difficulté a été cent fois résolue par cette réponse : Dieu a dú créer et a sans doute créé le monde avec toutes les marques de vétusté et de complément que nous lui voyons .

En effet, il est vraisemblable que l'auteur de la nature planta d'abord de vieilles forêts et de jeunes taillis; que les animaux naquirent, les uns remplis de jours, les autres parés des grâces de l'enfance. Les chênes, en perçant le sol fécondé, portèrent sans doute à la fois les vieux nids des corbeaux et la nouvelle postérité des colombes. Ver, chrysalide et papillon, l'insecte rampa sur l'herbe, suspendit son œuf d'or aux forêts, ou trembla dans le vague des airs. L'abeille, qui pourtant n'avait vécu qu'un matin, comptait déjà son ambroisie par générations de fleurs. Il faut croire que la brebis n'était pas sans son agneau,

la fauvette sans ses petits; que les buissons cachaient des rossignols étonnés de chanter leurs premiers airs en échauffant les fragiles espérances de leurs premières voluptés.

Si le monde n'eût été à la fois jeune et vieux, le grand, le sérieux, le moral, disparaissaient de la nature, car ces sentiments tiennent par essence aux choses antiques. Chaque site eût perdu ses merveilles. Le rocher en ruine n'eût plus pendu sur l'abîme avec ses longues graminées; les bois, dépouillés de leurs accidents, n'auraient point montré ce touchant désordre d'arbres inclinés sur leurs tiges, de troncs penchés sur le cours des fleuves. Les pensées inspirées, les bruits vénérapies, les voix magiques, la sainte horreur des forêts, se fussent évanouis avec les voûtes qui leur servent de retraites, et les solitudes de la terre et du ciel seraient demeurées nues et désenchantées en perdant ces colonnes de chênes qui les unissent. Le jour même où l'Océan épandit ses premières vagues sur ses rives, il baigna, n'en doutons point, des écueils déjà rongés par les flots, des grèves semées de débris de coquillages, et des caps décharnés qui soutenaient, contre les eaux, les rivages croulants de

la terre.

Sans cette vieillesse originaire, il n'y aurait eu ni pompe ni majesté dans l'ouvrage de l'Éternel; et, ce qui ne saurait être, la nature, dans son innocence, eût été moins belle qu'elle ne l'est aujourd'hui dans sa corruption. Une insipide enfance de plantes, d'animaux, d'éléments, eût couronné une terre sans poésie. Mais Dieu ne fut pas un si méchant dessinateur des bocages d'Éden que les incrédules le prétendent. L'homme-roi naquit lui-même à trente années, afin de s'accorder par sa majesté avec les antiques grandeurs de son nouvel empire, même que sa compagne compta sans doute seize printemps, qu'elle n'avait pourtant point vécu, pour être en harmonie avec les fleurs, les oiseaux, l'innocence, les amours, et toute la jeune partie de l'univers.

de

LIVRE CINQUIÈME.

EXISTENCE DE DIEU PROUVÉE PAR LES MERVEILLES DE LA NATURE.

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Un des principaux dogmes chrétiens nous reste encore à examiner l'état des peines et des récompenses dans l'autre vie. Mais on ne peut traiter cet important sujet sans parler d'abord des deux colonnes qui soutiennent l'édifice de toutes les religions, l'existence de Dieu et l'immortalité de l'âme.

Nous sommes, d'ailleurs, appelés à cette étude par le déve loppement naturel de notre matière, puisque ce n'est qu'après avoir suivi la foi ici-bas qu'on peut l'accompagner à ces tabernacles où elle s'envole en quittant la terre. Toujours fidèle à notre plan, nous écarterons des preuves de l'existence de Dieu et de l'immortalité de l'âme les idées abstraites pour n'employer que les raisons poétiques et les raisons de sentiment, c'est-àdire les merveilles de la nature et les évidences morales. Platon et Cicéron chez les anciens, Clarke et Leibnitz chez les modernes, ont prouvé métaphysiquement, et presque géométriquement, l'existence du souverain Etre; les plus grands génies, dans tous les siècles, ont admis ce dogme consolateur. Que s'il est rejeté par quelques sophistes, Dieu peut bien exister sans leur suffrage. La mort seule, à quoi les athées veulent tout réduire, a besoin qu'on écrive en faveur de ses droits; car elle a peu de réalité pour l'homme. Laissons-lui donc ses déplorables partisans, qui d'ailleurs ne s'entendent pas même entre eux; car, si les hommes qui croient à la Providence s'accordent sur les chefs principaux de leur doctrine, ceux, au contraire, qui nient le Créateur ne cessent de se disputer sur les bases de leur néant. Ils ont devant eux un abime; pour le combler, il leur

manque la pierre du fond, mais ils ne savent où la prendre. De plus, il y a dans l'erreur un certain vice de nature qui fait que, quand cette erreur n'est pas la nôtre, elle nous choque et nous révolte à l'instant : de là les querelles interminables des athées.

CHAP. II. SPECTACLE GÉNÉRAL DE L'UNIVERS.

Il est un Dieu; les herbes de la vallée et les cèdres de la montagne le bénissent, l'insecte bourdonne ses louanges, l'éléphant le salue au lever du jour, l'oiseau le chante dans le feuillage, la foudre fait éclater sa puissance, et l'Océan déclare son immensité. L'homme seul a dit : « Il n'y a point de Dieu. »

Il n'a donc jamais, celui-là, dans ses infortunes, levé les yeux vers le ciel, ou, dans son bonheur, abaissé ses regards vers la terre? La nature est-elle si loin de lui qu'il ne l'ait pu contempler, ou la croit-il le simple résultat du hasard? Mais quel hasard a pu contraindre une matière désordonnée et rebelle à s'arranger dans un ordre si parfait?

On pourrait dire que l'homme est la pensée manifestée de Dieu, et que l'univers est son imagination rendue sensible. Ceux qui ont admis la beauté de la nature comme preuve d'une intelligence supérieure auraient dû faire remarquer une chose qui agrandit prodigieusement la sphère des merveilles : c'est que le mouvement et le repos, les ténèbres et la lumière, les saisons, la marche des astres, qui varient les décorations du monde, ne sont pourtant successifs qu'en apparence, et sont permanents en réalité. La scène qui s'efface pour nous se colore pour un autre peuple; ce n'est pas le spectacle, c'est le spectateur qui change. Ainsi Dieu a su réunir dans son ouvrage la durée absolue et la durée progressive: la première est placée dans le temps, la seconde dans l'étendue par celle-là, les grâces de l'univers sont unes, infinies, toujours les mêmes; par celle-ci, elles sont multiples, finies et renouvelées sans l'une, il n'y eût point eu de grandeur dans la création; sans l'autre, il y eût eu monotonie.

Ici le temps se montre à nous sous un rapport nouveau;

la

moindre de ses fractions devient un tout complet, qui comprend tout, et dans lequel toutes choses se modifient, depuis la mort d'un insecte jusqu'à la naissance d'un monde : chaque minute est en soi une petite éternité. Réunissez donc en un même moment, par la pensée, les plus beaux accidents de la nature, supposez que vous voyez à la fois toutes les heures du jour et toutes les saisons, un matin de printemps et un matin d'automne, une nuit semée d'étoiles et une nuit couverte de nuages, des prairies émaillées de fleurs, des forêts dépouillées par les frimas, des champs dorés par les moissons : vous aurez alors une idée juste du spectacle de l'univers. Tandis que vous admirez ce soleil qui se plonge sous les voûtes de l'occident, un autre observateur le regarde sortir des régions de l'aurore. Par quelle inconcevable magie ce vieil astre, qui s'endort fatigué et brûlant dans la poudre du soir, est-il en ce moment même ce jeune astre qui s'éveille humide de rosée dans les voiles blanchissants de l'aube? A chaque moment de la journée le soleil se lève, brille à son zénith, et se couche sur le monde; ou plutôt nos sens nous abusent, et il n'y a ni orient, ni midi, ni occident vrai. Tout se réduit à un point fixe d'où le flambeau du jour fait éclater à la fois trois lumières en une seule substance. Cette triple splendeur est peut-être ce que la nature a de plus beau; car, en nous donnant l'idée de la perpétuelle magnificence et de la toute-puissance de Dieu, elle nous montre aussi une image éclatante de sa glorieuse Trinité.

Conçoit-on bien ce que serait une scène de la nature, si elle était abandonnée au seul mouvement de la matière? Les nuages, obéissant aux lois de la pesanteur, tomberaient perpendiculairement sur la terre, ou monteraient en pyramides dans les airs; l'instant d'après, l'atmosphère serait trop épaisse ou trop raréfiée pour les organes de la respiration. La lune, trop près ou trop loin de nous, tour à tour serait invisible, tour à tour se montrerait sanglante, couverte de taches énormes, ou remplissant seule de son orbe démesuré le dôme céleste. Saisie comme d'une étrange folie, elle marcherait d'éclipses en éclipses, ou, se rou

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