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quel peuple a laissé de pareilles traces. L'homme est suspendu dans le présent, entre le passé et l'avenir, comme sur un rocher entre deux gouffres; derrière lui, devant lui, tout est ténèbres;

Si les choses ont été ainsi, pourquoi donc n'a-t-on retrouvé aucune trace des mœurs phéniciennes chez les Caraïbes, les sauvages de la Guiane, du Paraguay ou même des Florides? Pourquoi les ruines dont il est ici question sont-elles dans l'intérieur de l'Amérique du Nord plutôt que dans l'Amérique méridionale, sur la côte opposée à la côte d'Afrique?

D'autres auteurs réclament la préférence pour les Juifs, et veulent que l'Orphir des Ecritures ait été placé dans les Indes occidentales. Colomb disait même avoir vu les restes des fourneaux de Salomon dans les mines de Cibao. On pourrait ajouter à cela que plusieurs coutumes des sauvages semblent être d'origine judaïque, telles que celles de ne point briser les os de la victime dans les repas sacrés, de manger toute l'hostie, d'avoir des retraites ou des huttes de purification pour les femmes. Malheureusement ces inductions sont peu de chose; car on pourrait demander alors comment il se fait que la langue et les divinités huronnes soient grecques plutôt que juives. N'est-il pas étrange qu'Ares-Koui ait été le dieu de la guerre dans la citadelle d'Athènes et dans le fort d'un Iroquois? Enfin les critiques les plus judicieux ne laissent aucun jour à faire passer les Israélites à la Louisiane; car ils démontrent assez clairement qu'Orphir était sur la côte d'Afrique.

Les Égyptiens sont donc le dernier peuple dont il nous reste à examiner les droits. Ils ouvrirent, fermèrent et reprirent tour à tour le commerce de la Taprobane, par le golfe Persique. Ont-ils connu le quatrième continent et peut-on leur attribuer les monuments du Nouveau-Monde?

Nous répondons que les ruines de l'Ohio ne sont point d'architecture égyptienne; que les ossements qu'on trouve dans ces ruines ne sont point embaumés; que les squelettes y sont couchés, et non debout ou assis. Ensuite, par quel incompréhensible hasard ne rencontre-t-on aucun de ces anciens ouvrages depuis le rivage de la mer jusqu'aux Alléganys? et pourquoi sont-ils tous cachés derrière cette chaîne de montagnes? De quelque peuple que vous supposiez la colonie établie en Amérique, avant d'avoir pénétré, dans un espace de plus de quatre cents lieues, jusqu'aux fleuves où se voient ces monuments, il faut que cette colonie ait d'abord habité la plaine qui s'étend de la base des monts aux grèves de l'Atlantique. Toutefois on pourrait dire avec quelque vraisemblance que l'ancien rivage de l'Océan était au pied même des Apalaches et des Alléganys, et que la Pensylvanie, le Maryland, la Virginie, la Caroline, la Géorgie et les Florides, sont des plages nouvellement abandonnées par les

eaux.

à peine aperçoit-il quelques fantômes qui, remontant du fond des deux abîmes, surnagent un instant à leur surface et s'y replongent.

Quelles que soient les conjectures sur ces ruines américaines, quand on y joindrait les visions du monde primitif et les chimères d'une Atlantide, la nation civilisée qui a peut-être promené la charrue dans la plaine où l'Iroquois poursuit aujourd'hui les ours, n'a pas eu besoin, pour consommer ses destinées, d'un temps plus long que celui qui a dévoré les empires de Cyrus, d'Alexandre et de César. Heureux du moins ce peuple qui n'a point laissé de nom dans l'histoire, et dont l'héritage n'a été recueilli que par les chevreuils des bois et les oiseaux du ciel! Nul ne viendra renier le Créateur dans ces retraites sauvages, et, la balance à la main, peser la poudre des morts pour prouver l'éternité de la race humaine.

Pour moi, amant solitaire de la nature et simple confesseur de la Divinité, je me suis assis sur ces ruines. Voyageur sans renom, j'ai causé avec ces débris comme moi-même ignorés. Les souvenirs confus des hommes et les vagues rêveries du désert se mêlaient au fond de mon âme. La nuit était au milieu de sa course; tout était mort, et la lune et les bois et les tombeaux. Seulement, à longs intervalles, on entendait la chute de quelque arbre que la hache du temps abattait dans la profondeur des forêts ainsi tout tombe, tout s'anéantit.

Nous ne nous croyons pas obligé de parler sérieusement des quatre jogues, ou âges indiens, dont le premier a duré trois millions deux cent mille ans, le second un million d'années, le troisième seize cent mille ans, et le quatrième, ou l'âge actuel, qui durera quatre cent mille ans.

Si l'on joint à toutes ces difficultés de chronologie, de logographie et de faits, les erreurs qui naissent des passions de l'historien ou des hommes qui vivent dans ses fastes, si on y ajoute les fautes de copistes et mille accidents de temps et de lieux, il faudra, de nécessité, convenir que toutes les raisons en faveur de l'antiquité du globe par l'histoire sont aussi peu

satisfaisantes qu'inutiles à rechercher. Et certes, on ne peut nier que c'est assez mal établir la durée du monde que d'en prendre la base dans la vie humaine. Quoi! c'est par la succession rapide d'ombres d'un moment que l'on prétend nous démontrer la permanence et la réalité des choses! c'est par des décombres qu'on veut nous prouver une société sans commencement et sans fin ! Faut-il donc beaucoup de jours pour amasser beaucoup de ruines? Que le monde serait vieux, si l'on comp, tait ses années par ses débris!

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On cherche dans l'histoire du firmament les secondes preuves de l'antiquité du monde et des erreurs de l'Écriture. Ainsi, les cieux qui racontent la gloire du Très-Haut à tous les hommes, et dont le langage est entendu de tous les peuples', ne disent rien à l'incrédule. Heureusement ce ne sont pas les astres qui sont muets, ce sont les athées qui sont sourds.

L'astronomie doit sa naissance à des pasteurs. Dans les déserts de la création nouvelle, les premiers humains voyaient se jouer autour d'eux leurs familles et leurs troupeaux. Heureux jusqu'au fond de l'âme, une prévoyance inutile ne détruisait point leur bonheur. Dans le départ des oiseaux de l'automne ils ne remarquaient point la fuite des années, et la chute des feuilles ne les avertissait que du retour des frimas. Lorsque le coteau prochain avait donné toutes ses herbes à leurs brebis, montés sur leurs chariots couverts de peaux, avec leurs fils et leurs épouses, ils allaient à travers les bois chercher quelque fleuve ignoré, où la fraîcheur des ombrages et la beauté des solitudes les invitaient à se fixer de nouveau.

Mais il fallait une boussole pour se conduire dans ces forêts sans chemins et le long de ces fleuves sans navigateurs; on se confia naturellement à la foi des étoiles; on se dirigea sur leurs cours. Législateurs et guides, ils réglèrent la tonte des

4. Ps, xví, v. 1–3.

brebis et les migrations lointaines. Chaque famille s'attacha aux pas d'une constellation; chaque astre marchait à la tête d'un troupeau. A mesure que les pasteurs se livraient à ces études, ils découvraient de nouvelles lois. En ce temps-là, Dieu se plaisait à dévoiler les routes du soleil aux habitants des cabanes, et la Fable raconta qu'Apollon était descendu chez les bergers.

De petites colonnes de briques servaient à conserver le souvenir des observations: jamais plus grand empire n'eut une histoire plus simple. Avec le même instrument dont il avait percé sa flûte, au pied du même autel où il avait immolé le chevreau premier-né, le pâtre gravait sur un rocher ses immortelles découvertes. Il plaçait ailleurs d'autres témoins de cette pastorale astronomie; il échangeait d'annales avec le firmament; et, de même qu'il avait écrit les fastes des étoiles parmi ses troupeaux, il écrivait les fastes de ses troupeaux parmi les étoiles. Le soleil, en voyageant, ne se reposa plus que dans les bergeries; le taureau annonça par ses mugissements le passage du Père du jour, et le bélier l'attendit pour le saluer au nom de son maître. On vit au ciel des vierges, des enfants, des épis de blé, des instruments de labourage, des agneaux, et jusqu'au chien du berger; la spère entière devient comme une grande maison rustique habitée par le pasteur des hommes.

Ces beaux jours s'évanouirent; les hommes en gardèrent une mémoire confuse dans ces histoires de l'âge d'or, où l'on trouve le règne des astres mêlé à celui des troupeaux. L'Inde est encore aujourd'hui astronome et pastorale, comme l'Égypte l'était autrefois. Cependant avec la corruption naquit la propriété, et avec la propriété la mensuration, second âge de l'astronomie. Mais, par une destinée assez remarquable, ce furent encore les peuples les plus simples qui connurent le mieux le système céleste le pasteur du Gange tomba dans des erreurs moins grossières que le savant d'Athènes; on eût dit que la muse de l'astronomie avait retenu un secret penchant pour les bergers, ses premières amours.

Durant les longues calamités qui accompagnèrent et qui suivirent la chute de l'empire romain, les sciences n'eurent d'autre retraite que le sanctuaire de cette Église qu'elles profanent aujourd'hui avec tant d'ingratitude. Recueillies dans le silence des cloîtres, elles durent leur salut à ces mêmes solitaires qu'elles affectent maintenant de mépriser. Un moine Bacon, un évêque Albert, un cardinal Cusa, ressuscitaient dans leurs veilles le génie d'Eudoxe, de Timocharis, d'Hipparque, de Ptolémée. Protégées par les papes, qui donnaient l'exemple aux rois, les sciences s'envolèrent enfin de ces lieux sacrés où la religion les avait réchauffées sous ses ailes. L'astronomie renaît de toutes parts: Grégoire XIII réforme le calendrier; Copernic rétablit le système du monde; Tycho-Brahé, au haut de sa tour, rappelle la mémoire des antiques observateurs babyloniens; Kepler détermine la forme des orbites planétaires. Mais Dieu confond encore l'orgueil de l'homme, en accordant aux jeux de l'innocence ce qu'il refuse aux recherches de la philosophie : des enfants découvrent le télescope. Galilée perfectionne l'instrument nouveau; alors les chemins de l'immensité s'abrégent, le génie de l'homme abaisse la hauteur des cieux et les astres descendent pour se faire mesurer.

Tant de découvertes en annonçaient de plus grandes encore, et l'on était trop près du sanctuaire de la nature pour qu'on fût longtemps sans y pénétrer. Il ne manquait plus que des méthodes propres à décharger l'esprit des calculs énormes dont il était écrasé. Bientôt Descartes osa transporter au grand Tout les lois physiques de notre globe, et, par un de ces traits de génie dont on compte à peine quatre ou cinq dans l'histoire, il força l'algèbre à s'unir à la géométrie, comme la parole à la pensée. Newton n'eut plus qu'à mettre à l'œuvre les matériaux que tant de mains lui avaient préparés, mais il le fit en artiste sublime; et des divers plans sur lesquels il pouvait relever l'édifice des globes, il choisit peut-être le dessein de Dieu. L'esprit connut l'ordre que l'œil admirait; les balances d'or, qu'Homère et l'Écriture donnent au souverain Arbitre,

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