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péché du monde. L'orgueil est si bien le principe du mal, qu'il se trouve mêlé aux diverses infirmités de l'âme il brille dans le souris de l'envie, il éclate dans les débauches de la volupté, il compte l'or de l'avarice, il étincelle dans les yeux de la colère, et suit les grâces de la mollesse.

C'est l'orgueil qui fit tomber Adam; c'est l'orgueil qui arma Caïn de la massue fratricide; c'est l'orgueil qui éleva Babel et renversa Babylone. Par l'orgueil, Athènes se perdit avec la Grèce; l'orgueil brisa le trône de Cyrus, divisa l'empire d'A-> lexandre, et écrasa Rome enfin sous le poids de l'univers.

Dans les circonstances particulières de la vie, l'orgueil a des effets encore plus funestes. Il porte ses attentats jusque sur Dieu.

En recherchant les causes de l'athéisme, on est conduit à cette triste observation, que la plupart de ceux qui se révoltent contre le ciel ont à se plaindre en quelque chose de la société ou de la nature (excepté toutefois des jeunes gens séduits par le monde, ou des écrivains qui ne veulent faire que du bruit). Mais comment ceux qui sont privés des frivoles avantages que le hasard donne ou ravit dans ses caprices ne savent-ils pas trouver le remède à ce léger malheur, en se rapprochant de la Divinité? Elle est la véritable source des grâces: Dieu est si bien la beauté par excellence, que son nom seul prononcé avec amour suffit pour donner quelque chose de divin à l'homme le moins favorisé de la nature, comme on l'a remarqué de Socrate. Laissons l'athéisme à ceux qui, n'ayant pas assez de noblesse pour s'élever au-dessus des injustices du sort, ne montrent dans leurs blasphèmes que le premier vice de l'homme chatouillé dans sa partie la plus sensible.

Si l'Église a donné la première place à l'orgueil dans l'échelle des dégradations humaines, elle n'a pas classé moins habilement les six autres vices capitaux. Il ne faut pas croire que l'ordre où nous les voyons rangés soit arbitraire: il suffit de l'examiner pour s'apercevoir que la religion passe exce:lemment, de ces crimes qui attaquent la société en général, à ces délits

qui ne retombent que sur le coupable. Ainsi, par exemple, l'envie, la luxure, l'avarice et la colère suivent immédiatement l'orgueil, parce que ce sont des vices qui s'exercent sur un sujet étranger et qui ne vivent que parmi les hommes, tandis que la gourmandise et la paresse, qui viennent les dernières, sont des inclinations solitaires et honteuses, réduites à chercher en elles-mêmes leurs principales voluptés.

Dans les vertus préférées par le christianisme, et dans le rang qu'il leur assigne, même connaissance de la nature. Avant Jésus-Christ, l'âme de l'homme était un chaos; le Verbe se fit entendre, aussitôt tout se débrouilla dans le monde intellectuel, comme à la même parole tout s'était jadis arrangé dans le monde physique ce fut la création morale de l'univers. Les vertus montèrent comme des feux purs dans les cieux : les unes, soleils éclatants, appelèrent les regards par leur brillante lumière; les autres, modestes étoiles, cherchèrent la pudeur des ombres, où cependant elles ne purent se cacher. Dès lors on vit s'établir une admirable balance entre les forces et les faiblesses; la religion dirigea ses foudres contre l'orgueil, vice qui se nourrit de vertus elle le découvrit dans les replis de nos cœurs, elle le poursuivit dans ses métamorphoses; les sacrements marchèrent contre lui en une armée sainte, et l'Humilité vêtue d'un sac, les reins ceints d'une corde, les pieds nus, le front couvert de cendre, les yeux baissés et en pleurs, devint une des premières vertus du fidèle.

CHAP. II. DE LA FOI

Et quelles étaient les vertus tant recommandées par les sages de la Grèce? La force, la tempérance et la prudence. JésusChrist seul pouvait enseigner au monde que la Foi, l'Espérance et la Charité sont des vertus qui conviennent à l'ignorance comme à la misère de l'homme.

C'est une prodigieuse raison, sans doute, que celle qui nous a montré dans la Foi la source des vertus. Il n'y a de puissance que dans la conviction. Un raisonnement n'est fort, un poëme

n'est divin, une peinture n'est belle, que parce que l'esprit ou l'œil qui en juge est convaincu d'une certaine vérité cachée dans ce raisonnement, ce poëme, ce tableau. Un petit nombre de soldats, persuadés de l'habileté de leur général, peuvent enfanter des miracles. Trente-cinq mille Grecs suivent Alexandre à la conquête du monde; Lacédémone se confie en Lycurgue, et Lacédémone devient la plus sage des cités; Babylone se présume faite pour les grandeurs, et les grandeurs se prostituent à sa foi mondaine; un oracle donne la terre aux Romains, et les Romains obtiennent la terre; Colomb, seul de tout un monde, s'obstine à croire un nouvel univers, et un nouvel univers sort des flots. L'amitié, lé patriotisme, l'amour, tous les sentiments nobles sont aussi une espèce de foi. C'est parce qu'ils ont cru que les Codrus, les Pylade, les Régulus, les Arrie, ont fait des prodiges. Et voilà pourquoi ces cours qui ne croient rien, qui traitent d'illusions les attachements de l'âme et de folie les belles actions, qui regardent en pitié l'imagination et la tendresse du génie, voilà pourquoi ces cœurs n'achèveront jamais rien de grand, de généreux; ils n'ont de foi que dans la matière et dans la mort, et ils sont déjà insensibles comme l'une et glacés comme l'autre.

Dans le langage de l'ancienne chevalerie, bailler sa foi était synonyme de tous les prodiges de l'honneur. Roland, du Guesclin, Bayard, étaient de féaux chevaliers, et les champs de Roncevaux, d'Auray, de Bresse, les descendants des Maures, des Anglais, des Lombards, disent encore aujourd'hui quels étaient ces hommes qui prêtaient foi et hommage à leur Dieu, leur dame et leur roi. Que d'idées antiques et touchantes s'atww tachent à notre seul mot de foyer, dont l'étymologie est si re

marquable! Citerons-nous les martyrs, « ces héros qui, selon saint Ambroise, sans armées, sans légions, ont vaincu les tyrans, adouci les lions, ôté au feu sa violence et au glaive sa pointe? » La foi même, envisagée sous ce rapport, est une force si terrible qu'elle bouleverserait le monde, si elle était appliquée à des fins perverses. Il n'y a rien qu'un honime sous le

joug d'une persuasion intime, et qui soumet sans condition sa raison à celle d'un autre homme, ne soit capable d'exécuter; ce qui prouve que les plus éminentes vertus, quand on les sépare de Dieu et qu'on les veut prendre dans leurs simples rapports moraux, touchent de près aux plus grands vices. Si les philosophes avaient fait cette observation, ils ne se seraient pas tani donné de peine pour fixer les limites du bien et du mal. Le christianisme n'a pas eu besoin, comme Aristote, d'inventer une échelle, pour y placer ingénieusement une vertu entre deux vices; il a tranché la difficulté d'une manière sûre, en nous montrant que les vertus ne sont des vertus qu'autant qu'elles refluent vers leur source, c'est-à-dire vers Dieu.

Cette vérité nous restera assurée, si nous appliquons la foi à ces mêmes affaires humaines, mais en la laissant survenir par l'entremise des idées religieuses. De la foi vont naître les vertus de la société, puisqu'il est vrai, du consentement unanime des sages, que le dogme qui commande de croire en un Dieu rémunérateur et vengeur est le plus ferme soutien de la morale et de la politique.

Enfin, si vous employez la foi à son véritable usage, si vous la tournez entièrement vers le Créateur, si vous en faites l'œil intellectuel par qui vous découvrez les merveilles de la Cité sainte et l'empire des existences réelles, si elle sert d'ailes à votre âme pour vous élever au-dessus des peines de la vie, vous reconnaîtrez que les livres saints n'ont pas trop exalté cette vertu, lorsqu'ils ont parlé des prodiges qu'on peut faire avec elle. Foi céleste! foi consolatrice! tu fais plus que de transporter les montagnes, tu soulèves les poids accablants qui pèsent sur le corps de l'homme.

CHAP. III. DE L'ESPÉRANCE ET DE LA CHARITÉ,

L'Espérance, seconde vertu théologale, a presque la même force que la foi le désir est le père de la puissance; quiconque désire fortement obtient. « Cherchez, a dit Jésus-Christ, et vous trouverez; frappez, et l'on vous ouvrira. » Pythagore disait, dans

le même sens : La puissance habite auprès de la nécessité: car nécessité implique privation, et la privation marche avec le désir. Père de la puissance, le désir ou l'espérance est un véritable génie; il a cette virilité qui enfante, et cette soif qui ne L'éteint jamais. Un homme se voit-il trompé dans ses projets, c'est qu'il n'a pas désiré avec ardeur; c'est qu'il a manqué de cet amour qui saisit tôt ou tard l'objet auquel il aspire, de cet amour qui, dans la Divinité, embrasse tout et jouit de tous les mondes, par une immense espérance toujours satisfaite et qui renaît toujours.

Il y a cependant une différence essentielle entre la foi et l'espérance considérée comme force. La foi a son foyer hors de nous; elle nous vient d'un objet étranger; l'espérance, au contraire, naît au dedans de nous pour se porter au dehors. On nous impose la première, notre propre désir fait naître la seconde; celle-là est une obéissance, celle-ci un amour. Mais, comme la foi engendre plus facilement les autres vertus, comme elle découle directement de Dieu, que par conséquent, étant une émanation de l'Éternel, elle est plus belle que l'espérance, qui n'est qu'une partie de l'homme, l'Église a dû placer la foi au premier rang.

Mais l'espérance offre en elle-même un caractère particulier : c'est celui qui la met en rapport avec nos misères. Sans doute elle fut révélée par le ciel, cette religion qui fit une vertu de l'espérance! Cette nourrice des infortunés, placée auprès de l'homme comme une mère auprès de son enfant malade, le berce dans ses bras, le suspend à sa mamelle intarissable, et l'abreuve d'un lait qui calme ses douleurs. Elle veille à son chevet solitaire, elle l'endort par des chants magiques. N'est-il pas surprenant de voir l'espérance, qu'il est si doux de garder et qui semble un mouvement naturel de l'âme, de la voir se transformer pour le chrétien en une vertu rigoureusement exigée? En sorte que, quoi qu'il fasse, on l'oblige de boire à longs traits à cette coupe enchantée, où tant de misérables s'estimeraient heureux de mouiller un instant leurs lèvres. Il y

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