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leurs grâces antiques. Par une belle matinée du mois d'août, un jeune paysan venait chercher sa prétendue à la ferme de son fatur beau père. Deux ménétriers, rappelant nos anciens minstrels, ouvraient la pompe en jouant sur leur violon des romances du temps de la chevalerie ou des cantiques des pèlerins. Les siècles, sortis de leurs tombeaux gothiques, semblaient accompagner cette jeunesse avec leurs vieilles mœurs et leurs vieux souvenirs. L'épousée recevait du curé la bénédiction des fiançailles, et déposait sur l'autel une quenouille entourée de rubans. On retournait ensuite à la ferme; la dame et le seigneur du lieu, le curé et le juge du village s'asseyaient avec les futurs époux, les laboureurs et les matrones, autour d'une table où étaient servis le verrat d'Eumée et le veau gras des patriarches. La fête se terminait par une ronde dans la grange voisine; la demoiselle du château dansait, au son de la musette, une ballade avec le fiancé, tandis que les spectateurs étaient assis sur la gerbe nouvelle, avec les souvenirs des filles de Jéthro, des moissonneurs de Booz et des fiançailles de Jacob et de Rachel.

La publication des bans suit les fiançailles. Cette excellente coutume, ignorée de l'antiquité, est entièrement due à l'Église. Il faut la rapporter au delà du quatorzième siècle, puisqu'il en est fait mention dans une décrétale du pape Innocent III. Le même pape l'a transformée en règle générale dans le concile de Latran; le concile de Trente l'a renouvelée, et l'ordonnance de Blois l'a fait recevoir parmi nous. L'esprit de cette loi est de prévenir les unions clandestines, et d'avoir connaissance des empêchements de mariage qui peuvent se trouver entre les parties contractantes.

Mais enfin le mariage chrétien s'avance; il vient avec un tout autre appareil que les fiançailles. Sa démarche est grave et solennelle, sa pompe silencieuse et auguste; l'homme est averti qu'il commence une nouvelle carrière. Les paroles de la bénédiction nuptiale (paroles que Dieu même prononça sur le premier couple du monde), en frappant le mari d'un grand respect, lui disen

qu'il remplit l'acte le plus important de la vie; qu'il va, comme Adam, devenir le chef d'une famille, et qu'il se charge de tout le fardeau de la condition humaine. La femme n'est pas moins instruite. L'image des plaisirs disparaît à ses yeux devant celle des devoirs. Une voix semble lui crier du milieu de l'autel : « O Eve! sais-tu bien ce que tu fais? Sais-tu qu'il n'y a plus pour toi d'autre liberté que celle de la tombe? Sais-tu ce que c'est que de porter dans tes entrailles mortelles l'homme immortel et fait à l'image d'un Dieu? » Chez les anciens, un hyménée n'était qu'une cérémonie pleine de scandale et de joie, qui n'enseignait rien des graves pensées que le mariage inspire le christianisme seul en a rétabli la dignité.

C'est encore lui qui, connaissant avant la philosophie dans quelle proportion naissent les deux sexes, a vu le premier que l'homme ne peut avoir qu'une épouse, et qu'il doit la garder jusqu'à la mort. Le divorce est inconnu dans l'Église catholique, si ce n'est chez quelques petits peuples de l'Illyrie, soumis autrefois à l'État de Venise, et qui suivent le rit grec. Si les passions des hommes se sont révoltées contre cette loi, si elles n'ont pas aperçu le désordre que le divorce porte au sein des familles, en troublant les successions, dénaturant les affections paternelles, en corrompant le cœur, en faisant du mariage une prostitution civile, quelques mots que nous avons à dire ici ne seront pas sans doute écartés.

Sans entrer dans la profondeur de cette matière, nous observerons que, si par le divorce on croit rendre les époux plus heureux (et c'est aujourd'hui un grand argument) on tombe dans une étrange erreur. Celui qui n'a point fait le bonheur d'une première femme, qui ne s'est point attaché à son épouse par sa ceinture virginale ou sa maternité première, qui n'a pu dompter ses passions au joug de la famille, celui qui n'a pu renfermer son cœur dans sa couche nuptiale, celui-là ne fera jamais la félicité d'une seconde épouse: c'est en vain que vous y comptez. Lui-même ne gagnera rien à ces échanges: ce qu'il prend pour les différences d'humeur entre lui et sa compagne n'est que le

penchant de son inconstance et l'inquiétude de son désir. L'habitude et la longueur du temps sont plus nécessaires au bonheur, et même à l'amour, qu'on ne pense. On n'est heureux dans l'objet de son attachement que lorsqu'on a vécu beaucoup de jours, et surtout beaucoup de mauvais jours, avec lui. Il faut se connaître jusqu'au fond de l'âme; il faut que le voile mystérieux dont on couvrait les deux époux dans la primitive Église soit soulevé par eux dans tous ses replis, tandis qu'il reste impénétrable aux yeux du monde. Quoi! sur le moindre caprice, il faudra que je craigne de me voir privé de ma femme et de mes enfants, que je renonce à l'espoir de passer mes vieux jours avec eux! Et qu'on ne dise pas que cette frayeur me forcera à devenir meilleur époux : non; on ne s'attache qu'au bien dont on est sûr, on n'aime point une propriété que l'on peut perdre.

Ne donnons point à l'Hymen les ailes de l'Amour; ne faisons point d'une sainte réalité un fantôme volage. Une chose détruira encore votre bonheur dans vos liens d'un instant : vous y serez poursuivi par vos remords; vous comparerez sans cesse une épouse à l'autre, ce que vous avez perdu à ce que vous avez trouvé; et, ne vous y trompez pas, la balance sera tout en faveur des choses passées: ainsi Dieu a fait le cœur de l'homme. Cette distraction d'un sentiment par un autre empoisonnera toutes vos joies. Caresserez-vous votre nouvel enfant, vous songerez à celui que vous avez délaissé. Presserez-vous votre femme sur votre cœur, votre cœur vous dira que ce n'est pas la première. Tout tend à l'unité dans l'homme: il n'est point heureux s'il se divise; et, comme Dieu qui le fit à son image, son âme cherche sans cesse à concentrer en un point le passé, le présent et l'avenir1.

Voilà ce que nous avions à dire sur les sacrements d'Ordre et de Mariage. Quant aux tableaux qu'ils retracent, ii serait superflu de les décrire. Quelle imagination a besoin qu'on l'aide

1. On peut consulter le livre de M. DE BONALD sur le Divorce. c'est un des meilleurs ouvrages qui aient paru depuis longtemps.

à se représenter ou le prêtre abjurant les joies de la vie pour se donner aux malheureux, ou la jeune fille se vouant au silence des solitudes pour trouver le silence du cœur, ou les époux promettant de s'aimer au pied des autels? L'épouse du chrétien n'est pas une simple mortelle : c'est un être extraordinaire, mystérieux, angélique; c'est la chair de la chair, le sang du sang de son époux. L'homme, en s'unissant à elle, ne fait que reprendre une partie de sa substance; son âme ainsi que son corps sont incomplets sans la femme. Il a la force; elle a la beauté : il combat l'ennemi et laboure le champ de la patrie; mais il n'entend rien aux détails domestiques, la femme lui manque pour apprêter son repas et son lit. Il a des chagrins, et la compagne de ses nuits est là pour les adoucir; ses jours sont mauvais et troublés, mais il trouve des bras chastes dans sa couche, et il oublie tous ses maux. Sans la femme, il serait rude, grossier, solitaire. La femme suspend autour de lui les fleurs de la vie, comme ces lianes des forêts qui décorent le tronc des chênes de leurs guirlandes parfumées. Enfin, l'époux chrétien et son épouse vivent, renaissent et meurent ensemble; ensemble ils élèvent les fruits de leur union; en poussière ils retournent ensemble, et se retrouvent ensemble par delà les limites du tombeau.

CHAP. XI.-SUITE DES SACREMENTS: L'EXTREME-ONCTION.

Mais c'est à la vue de ce tombeau, portique silencieux d'un autre monde, que le christianisme déploie sa sublimité. Si la plupart des cultes antiques ont consacré la cendre des morts, aucun n'a songé à préparer l'âme pour ces rivages inconnus dont on ne revient jamais.

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Venez voir le plus beau spectacle que puisse présenter la terre; venez voir mourir le fidèle. Cet homme n'est plus l'homme du monde, il n'appartient plus à son pays; toutes ses relations avec la société cessent. Pour lui le calcul par le temps finit, et il ne date plus que de la grande ère de l'éternité. Un prêtre assis à son chevet le console. Ce ministre saint s'entretient

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avec l'agonisant de l'immortalité de son âme, et la scène sublime que l'antiquité entière n'a présentée qu'une seule fois, dans le premier de ses philosophes mourants, cette scène se renouvelle chaque jour sur l'humble grabat du dernier des chrétiens qui expire.

Enfin le moment suprême est arrivé; un sacrement a ouvert à ce juste les portes du monde, un sacrement va les clore; la religion le balança dans le berceau de la vie; ses beaux chants et sa main maternelle l'endormiront encore dans le berceau de la mort. Elle prépare le baptême de cette seconde naissance; mais ce n'est plus l'eau qu'elle choisit, c'est l'huile, emblème de l'incorruptibilité céleste. Le sacrement libérateur rompt peu à peu les attaches du fidèle; son âme, à moitié échappée de son corps, devient presque visible sur son visage. Déjà il entend les concerts des séraphins; déjà il est prêt à s'envoler vers les régions où l'invite cette Espérance divine, fille de la Vertu et de la Mort. Cependant l'ange de la paix, descendant vers ce juste, touche de son sceptre d'or ses yeux fatigués, et les ferme délicieusement à la lumière. Il meurt, et l'on n'a point entendu son dernier soupir; il meurt, et, longtemps après qu'il n'est plus, ses amis font silence autour de sa couche, car ils croient qu'il sommeille encore : tant ce chrétien a passé avec douceur !

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La plupart des anciens philosophes ont fait le partage des vices et des vertus; mais la sagesse de la religion l'emporte encore ici sur celle des hommes.

Ne considérons d'abord que l'orgueil, dont l'Église fait le premier des vices. C'est le péché de Satan, c'est le premier

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