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Quant aux sépultures souterraines, elles étaient généralement réservées aux rois et aux religieux. Lorsqu'on voulait se nourrir de sérieuses et d'utiles pensées, il fallait descendre dans les caveaux des couvents, et contempler ces solitaires endormis, qui n'étaient pas plus calmes dans leurs demeures funèbres qu'ils ne l'avaient été sur la terre. Que votre sommeil soit profond sous ces voûtes, hommes de paix qui aviez partagé votre héritage mortel à vos frères, et qui, comme le héros de la Grèce, partant pour la conquête d'un autre univers, ne vous étiez réservé que l'espérance.

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On voyait autrefois, près de Paris, des sépultures fameuses entre les sépultures des hommes. Les étrangers venaient en foule visiter les merveilles de Saint-Denis. Ils y puisaient une profonde vénération pour la France, et s'en retournaient en disant en dedans d'eux-mêmes, comme saint Grégoire : Ce royaume est réellement le plus grand parmi les nations; mais il s'est élevé un vent de la colère autour de l'édifice de la Mort; les flots des peuples ont été poussés sur lui; et les hommes étonnés se demandent encore comment le temple d'AMMON a disparu sous les sables des déserts.

L'abbaye gothique où se rassemblaient ces grands vassaux de la mort ne manquait point de gloire : les richesses de la France étaient à ses portes; la Seine passait à l'extrémité de sa plaine; cent endroits célèbres remplissaient, à quelque distance, tous les sites de beaux noms, tous les champs de beaux souvenirs; la ville d'Henri IV et de Louis le Grand était assise dans le voisinage, et la sépulture royale de SaintDenis se trouvait au centre de notre puissance et de notre luxe, comme un trésor où l'on déposait les débris du temps et la surabondance des grandeurs de l'empire français.

C'est là que venaient, tour à tour, s'engloutir les rois de la France. Un d'entre eux, et toujours le dernier descendu dans ces abîmes, restait sur les degrés du souterrain, comme pour

inviter sa postérité à descendre. Cependant Louis XIV a vainement attendu ses deux derniers fils: l'un s'est précipité au fond de la voûte, en laissant son ancêtre sur le seuil; l'autre, ainsi qu'OEdipe, a disparu dans une tempête. Chose digne de méditation ! le premier monarque que les envoyés de la justice divine rencontrèrent fut ce Louis si fameux par l'obéissance que les nations lui portaient. Il était encore tout entier dans son cercueil. En vain, pour défendre son trône, il parut se lever avec la majesté de son siècle et une arrière-garde de huit siècles de rois; en vain son geste menaçant épouvanta les ennemis des morts, lorsque, précipité dans une fosse commune, il tomba sur le sein de Marie de Médicis : tout fut détruit. Dieu, dans l'effusion de sa colère, avait juré par lui-même de châtier la France: ne cherchons point sur la terre les causes de pareils événements; elles sont plus haut.

Dès le temps de Bossuet, dans le souterrain de ces princes anéantis, on pouvait à peine déposer madame Henriette, tant les rangs y sont pressés! s'écrie le plus éloquent des orateurs, tant la mort est prompte à remplir ces places! En présence des âges, dont les flots écoulés semblent gronder encore dans ces profondeurs, les esprits sont abattus par le poids des pensées qui les oppressent. L'âme entière frémit en contemplant tant de néant et tant de grandeur. Lorsqu'on cherche une expression assez magnifique pour peindre ce qu'il y a de plus élevé, l'autre moitié de l'objet sollicite le terme le plus bas, pour exprimer ce qu'il y a de plus vil. Ici les ombres des vieilles voûtes s'abaissent pour se confondre avec les ombres des vieux tombeaux; là des grilles de fer entourent inutilement ces bières, et ne peuvent défendre la mort des empressements des hommes. Écoutez le sourd travail du sépulcre, qui semble filer dans ces cercueils les indestructibles réseaux de la mort ! Tout annonce qu'on est descendu à l'empire des ruines; et, à je ne sais quelle odeur de vétusté répandue sous ces arches funèbres, on croirait, pour ainsi dire, respirer la poussière des temps passés.

Lecteurs chrétiens, pardonnez aux larmes qui coulent de nos yeux en errant au milieu de cette famille de saint Louis et de Clovis. Si tout à coup, jetant à l'écart le drap mortuaire qui ies couvre, ces monarques allaient se dresser dans leurs sépulcres, et fixer sur nous leurs regards, à la lueur de cette lampe!... Oui, nous les voyons tous se lever à demi, ces spectres des rois; nous les reconnaissons, nous osons interroger ces majestés du tombeau. Eh bien, peuple royal de fantômes, dites-le-nous voudriez vous revivre maintenant au prix d'une couronne? Le trône vous tente-t-il encore? Mais d'où vient ce profond silence? D'où vient que vous êtes tous muets sous ces voûtes? Vous secouez vos têtes royales, d'où tombe un nuage de poussière; vos yeux se referment, et vous vous recouchez lentement dans vos cercueils !

Ah! si nous avions interrogé ces morts champêtres, dont naguère nous visitions les cendres, ils auraient percé le gazon de leurs tombeaux ; et, sortant du sein de la terre comme des vapeurs brillantes, ils nous auraient répondu : « Si Dieu l'ordonne ainsi, pourquoi refuserions-nous de revivre ? Pourquoi ne passerions-nous pas encore des jours résignés dans nos chaumières? Notre hoyau n'était pas si pesant que vous le pensez; nos sueurs mêmes avaient leurs charmes, lorsqu'elles étaient essuyées par une tendre épouse ou bénies par la religion.

Mais où nous entraîne la description de ces tombeaux déjà effacés de la terre? Elles ne sont plus, ces sépultures! Les petits enfants se sont joués avec les os des puissants monarques : Saint-Denis est désert; l'oiseau l'a pris pour passage, l'herbe croft sur ses autels brisés; et au lieu du cantique de la mort, qui retentissait sous ses dômes, on n'entend plus que les gouttes de pluie qui tombent par son toit découvert, la chute de quelque pierre qui se détache de ses murs en ruine, ou le son de son horloge, qui va roulant dans les tombeaux vides et les souterrains dévastés.

LIVRE TROISIÈME.

VUE GÉNÉRALE DU CLERGÉ,

CHAPITRE PREMIER. - DE JESUS-CHRIST ET DE SA VIE.

Vers le temps de l'apparition du Rédempteur sur la terre, les nations étaient dans l'attente de quelque personnage fameux. << Une ancienne et constante opinion, dit Suétone, était répandue dans l'Orient, qu'un homme s'élèverait de la Judée, et obtiendrait l'empire universel1. » Tacite raconte le même fait presque dans les mêmes mots. Selon cet historien, « la plupart des Juifs étaient convaincus, d'après un oracle conservé dans les anciens livres de leurs prêtres, que dans ce temps-là (le temps de Vespasien) l'Orient prévaudrait, et que quelqu'un, sorti de Judée, régnerait sur le monde. Josèphe, parlant de la ruine de Jérusalem, rapporte que les Juifs furent principalement poussés à la révolte contre les Romains par une obscure prophétie qui leur annonçait que, vers cette époque, un homme s'élèverait parmi eux et soumettrait l'univers*.

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Le Nouveau Testament offre aussi des traces de cette espérance répandue dans Israël : la foule qui court au désert demande à saint Jean-Baptiste s'il est le grand Messie, le Christ de Dieu, depuis longtemps attendu; les disciples d'Emmaüs sont saisis de tristesse lorsqu'ils reconnaissent que Jean n'est pas l'homme qui doit racheter Israël. Les soixante-dix semaines de Daniel, ou les quatre cent quatre-vingt-dix ans, depuis

4. « Percrebuerat Oriente toto vetus et constans opinio, esse in fatis ut << eo tempore Judæa profecti rerum potirentur.» (SUET., in Vespas., cap. IV.) 2. « Pluribus persuasio inerat, antiquis sacerdotum litteris contineri eo ipso tempore fore ut valesceret Oriens, profectique Judæa < rerum potirentur.» (TACIT., Hist., lib. V, cap. xIII.) 3. Αμφίβολος, applicable à plusieurs personnes; et voilà pourquoi les historiens latins l'attribuent à Vespasien. 4. JOSEPH., de Bell. Judaic., p. 1283.

la reconstruction du Temple, étaient accomplis. Enfin Origène, après avoir rapporté ces traditions des Juifs, ajoute « qu'un grand nombre d'entre eux avouèrent Jésus-Christ pour le libérateur promis par les prophètes'. »

Cependant le ciel prépare les voies du Fils de l'Homme. Les nations, longtemps désunies de mœurs, de gouvernement, de langage, entretenaient des inimitiés héréditaires; tout à coup le bruit des armes cesse, et les peuples, réconciliés ou vaincus, viennent se perdre dans le peuple romain.

D'un côté, la religion et les mœurs sont parvenues à ce degré de corruption qui produit de force un changement dans les affaires humaines; de l'autre, les dogmes de l'unité d'un Dieu et de l'immortalité de l'âme commencent à se répandre: ainsi les chemins s'ouvrent à la doctrine évangélique, qu'une langue universelle va servir à propager.

Cet empire romain se compose de nations, les unes sauvages, les autres policées, la plupart infiniment malheureuses: la simplicité du Christ pour les premières, ses vertus morales pour les secondes; pour toutes, sa miséricorde et sa charité, sont des moyens de salut que le ciel ménage. Et ces moyens sont si efficaces, que, deux siècles après le Messie, Tertullien disait aux juges de Rome: « Nous ne sommes que d'hier, et nous remplissons tout, vos cités, vos îles, vos forteresses, vos colonies, vos tribus, vos décuries, vos conseils, le palais, le sénat, le forum; nous ne vous laissons que vos temples. » Sola relinquimus templa..

A la grandeur des préparations naturelles s'unit l'éclat des prodiges les vrais oracles, depuis longtemps muets dans Jérusalem, recouvrent la voix, et les fausses sibylles se taisent. Une nouvelle étoile se montre dans l'Orient, Gabriel descend vers Marie, et un chœur d'esprits bienheureux chante au haut du ciel, pendant la nuit: Gloire à Dieu, paix aux hommes!

1. Καὶ πεποιθέναι αὐτὸν εἶναι τον προφητευόμενον. (ORIG., con. Cels. p. 127.) 2. TERTULL., Apologet., cap. XXXVII

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