Page images
PDF
EPUB

Et qu'avaient en effet les modernes cimetières qui pût le disputer aux anciens? Où étaient leurs lierres, leurs ifs, leurs gazons nourris depuis tant de siècles des biens de la tombe? pouvaient-ils montrer les os sacrés des aïeux, le temple, la maisor. du médecin spirituel, enfin cet appareil de religion qui promettait, qui assurait même une renaissance très-prochaine? Au lieu de ces cimetières fréquentés, on nous assigna dans quelque faubourg un enclos solitaire abandonné des vivants et des souvenirs, et où la mort, privée de tout signe d'espérance, semblait devoir être éternelle.

Qu'on nous en croie : c'est lorsqu'on vient à toucher à ces bases fondamentales de l'édifice que les royaumes trop remués s'écroulent'. Encore si l'on s'était contenté de changer simplement le lieu des sépultures! mais, non satisfait de cette première atteinte portée aux mœurs, on fouilla les cendres de nos pères, on enleva leurs restes, comme le manant enlève dans son tombereau les boues et les ordures de nos cités.

Il fut réservé à notre siècle de voir ce qu'on regardait comme le plus grand malheur chez les anciens, ce qui était le dernier supplice dont on punissait les scélérats, nous entendons la dispersion des cendres; de voir, disons-nous, cette dispersion applaudie comme le chef-d'œuvre de la philosophie. Et où était donc le crime de nos aïeux, pour traiter ainsi leurs restes, sinon d'avoir mis au jour des fils tels que nous? Mais écoutez la fin de tout ceci, et voyez l'énormité de la sagesse humaine dans quelques villes de France, on bâtit des cachots sur l'emplacement des cimetières; on éleva les prisons des hommes sur le champ où Dieu avait décrété la fin de tout esclavage; on édifia des lieux de douleurs pour remplacer les demeures où toutes les peines viennent finir; enfin il ne resta

1. Les anciens auraient cru un État renversé si l'on eût violé l'asile des morts. On connaît les belles lois de l'Égypte sur les sépultures. Les lois de Solon séparaient le violateur des tombeaux de la communion du temple, et l'abandonnaient aux Furies. Les Institutes de JUSTINIEN règlent jusqu'au legs, l'héritage, la vente et le rachat d'un sépulcre, etc.

qu'une ressemblance, à la vérité effroyable, entre ces prisons et ces cimetières : c'est là que s'exercèrent les jugements iniques des hommes, là où Dieu avait prononcé les arrêts de son inviolable justice1.

CHAP. VII.

- CIMETIÈRES DE CAMPAGNE.

Les anciens n'ont point eu de lieux de sépulture plus agréables que nos cimetières de campagne des prairies, des champs, des eaux, des bois, une riante perspective, mariaient leurs simples images avec les tombeaux des laboureurs. On aimait à voir le gros if qui ne végétait plus que par son écorce, les pommiers du presbytère, le haut gazon, les peupliers, l'ormeau des morts, et les buis, et les petites croix de consolation et de grâce. Au milieu des paisibles monuments, le temple villageois élevait sa tour surmontée de l'emblème rustique de la vigilance. On n'entendait dans ces lieux que le chant du rougegorge, et le bruit des brebis qui broutaient l'herbe de la tombe de leur ancien pasteur.

Les sentiers qui traversaient l'enclos bénit aboutissaient à l'église, ou à la maison du curé: ils étaient tracés par le pauvre et le pèlerin, qui allaient prier le Dieu des miracles ou de

4. Nous passons sous silence les abominations commises pendant les jours révolutionnaires. Il n'y a point d'animal domestique qui, chez une nation étrangère un peu civilisée, ne fût inhumé avec plus de décence que le corps d'un citoyen français. On sait comment les enterrements s'exécutaient, et comment, pour quelques deniers, on faisait jeter un père, une mère ou une épouse à la voirie. Encore ces morts sacrés n'y étaient-ils pas en sûreté; car il y avait des hommes qui faisaient métier de dérober le linceul, le cercueil ou les cheveux du cadavre. Il ne faut rapporter toutes ces choses qu'à un conseil de Dieu : c'était une suite de la première violation sous la monarchie. Il est bien à désirer qu'on rende au cercueil les signes de religion dont on l'a privé, et surtout qu'on ne fasse plus garder les cimetières par des chiens. Tel est l'excès de la misère où l'homme tombe quand il perd la vue de Dieu, que, n'osant plus se confier à l'homme, dont rien ne garantit la foi, il se voit réduit à placer ses cendres sous la protection des animaux.

mander le pain de l'aumône à l'homme de l'Évangile : l'indifférent ou le riche ne passait point sur ces tombeaux.

On y lisait pour toute épitaphe: Guillaume, ou Paul, né en telle année, mort en telle autre. Sur quelques-uns, il n'y avait pas même de nom. Le laboureur chrétien repose oublié dans la mort, comme ces végétaux utiles au milieu desquels il a vécu : la nature ne grave pas le nom des chênes sur leurs troncs abattus dans les forêts.

Cependant, en errant un jour dans un cimetière de campagne, nous aperçûmes une épitaphe latine sur une pierre qui annonçait le tombeau d'un enfant. Surpris de cette magnificence, nous nous en approchâmes, pour connaître l'érudition du curé du village; nous lûmes ces mots de l'Évangile :

Sinite parvulos venire ad me.

<< Laissez les petits enfants venir à moi. »

Les cimetières de la Suisse sont quelquefois placés sur des rochers, d'où ils commandent les lacs, les précipices et les vallées. Le chamois et l'aigle y fixent leur demeure, et la mort croît sur ces sites escarpés, comme ces plantes alpines dont la racine est plongée dans des glaces éternelles. Après son trépas, le paysan de Glaris ou de Saint-Gall est transporté sur ces hauts lieux par son pasteur. Le convoi a pour pompe funèbre la pompe de la nature, et pour musique sur les croupes des Alpes ces airs bucoliques qui rappellent au Suisse exilé son père, sa mère, ses sœurs et les bêlements des troupeaux de sa montagne.

L'Italie présente au voyageur ses catacombes, ou l'humble monument d'un martyr dans les jardins de Mécène et de Lucullus. L'Angleterre a ses morts vêtus de laine, et ses tombeaux semés de réséda. Dans ces cimetières d'Albion, nos yeux attendris ont quelquefois rencontré un nom français au milieu des épitaphes étrangères. Revenons aux tombeaux de la atrie.

CHAP. VIII.

TOMBEAUX DANS LES ÉGLISES.

Rappelez-vous un moment les vieux monastères, ou les cathé drales gothiques telles qu'elles existaient autrefois; parcourez ces ailes du chœur, ces chapelles, ces nefs, ces cloîtres pavés par la mort, ces sanctuaires remplis de sépulcres. Dans ce labyrinthe de tombeaux, quels sont ceux qui vous frappent davantage? Sont-ce ces monuments modernes, chargés de figures allégoriques qui écrasent de leurs marbres glacés des cendres moins glacées qu'elles ? Vains simulacres qui semblent partager la double léthargie du cercueil où ils sont assis et des cœurs mondains qui les ont fait élever! A peine y jetez-vous un coup d'œil: mais vous vous arrêtez devant ce tombeau poudreux, sur lequel est couchée la figure gothique de quelque évêque revêtu de ses habits pontificaux, les mains jointes, les yeux fermés; vous vous arrêtez devant ce monument où un abbé, soulevé sur le coude et la tête appuyée sur la main, semble rêver à la mort. Le sommeil du prélat et l'attitude du prêtre ont quelque chose de mystérieux: le premier paraît profondément occupé de ce qu'il voit dans ces rêves de la tombe; le second, comme un homme en voyage, n'a pas voulu se coucher entièrement, tant le moment où il doit se relever est proche !

Et quelle est cette grande dame qui repose ici près de son époux ? L'un et l'autre sont habillés dans toute la pompe gauloise; un coussin supporte leurs têtes, et leurs têtes semblent si appesanties par les pavots de la mort, qu'elles ont fait fléchir cet oreiller de pierre: heureux si ces deux époux n'ont point eu de confidences pénibles à se faire sur le lit de leur hymen funèbre ! Au fond de cette chapelle retirée, voici quatre écuyers de marbre, bardés de fer, armés de toutes pièces, les mains jointes, et à genoux aux quatre coins de l'entablement d'un tombeau. Est-ce toi, Bayard, qui rendais la rançon aux vierges pour les marier à leurs amants? Est-ce toi, Beaumanoir, qui buvais ton sang dans le combat des Trente? Est-ce quelque autre chevalier qui sommeille ici? Ces écuyers semblent prier

avec ferveur, car ces vaillants hommes, antique honneur du nom français, tout guerriers qu'ils étaient, n'en craignaient pas moins Dieu du fond du cœur ; c'était en criant: Montjoie et saint Denis, qu'ils arrachaient la France aux Anglais et faisaient des miracles de vaillance pour l'Église, leur dame et leur roi. N'y a-t-il donc rien de merveilleux dans ces temps des Roland, des Godefroi, des sires de Coucy et de Joinville; dans ce temps des Maures, des Sarrasins, des royaumes de Jérusalem et de Chypre; dans ces temps où l'Orient et l'Asie échangeaient d'armes et de mœurs avec l'Europe et l'Occident; dans ces temps où Thibault chantait, où les troubadours se mêlaient aux armes, les danses à la religion, et les tournois aux siéges et aux batailles1? Sans doute ils étaient merveilleux ces temps, mais ils sont passés. La religion avait averti les chevaliers de cette vanité des choses humaines, lorsqu'à la suite d'une longue énumération de titres pompeux : Haut et puissant seigneur, messire Anne de Montmorency, connétable de France, etc., etc., etc., elle avait ajouté: Priez pour lui, pauvre pécheur. C'est tout le néant9.

4. On a sans doute de grandes obligations à l'artiste qui a rassemblé les débris de nos anciens sépulcres; mais, quant aux effets de ces monuments, on sent trop qu'ils sont détruits. Resserrés dans un petit espace, divisés par siècles, privés de leurs harmonies avec l'antiquité des temples et du culte chrétien, ne servant qu'à l'histoire de l'art, et non à celle des mœurs et de la religion, n'ayant pas même gardé leur poussière, ils ne disent plus rien ni à l'imagination ni au cœur. Quand des hommes abominables eurent l'idée de violer l'asile des morts et de disperser leurs cendres pour effacer le souvenir du passé, la chose, tout horrible qu'elle est, pouvait avoir, aux yeux de la folie humaine, une certaine mauvaise grandeur; mais c'était prendre l'engagement de bouleverser le monde, de ne pas laisser en France pierre sur pierre, et de parvenir, au travers des ruines, à des institutions inconnues. Se plonger dans ces excès pour rester dans des routes communes et pour ne montrer qu'ineptie et absurdité, c'est avoir les fureurs du crime sans en avoir la puissance. Qu'est-il arrivé à ces spoliateurs des tombeaux? qu'ils sont tombés dans les gouffres qu'ils avaient ouverts, et que leurs cadavres sont restés comme en gage à la mort pour ceux qu'ils lui avaient dérobés.

2. Johnson, dans son Traité des Épitaphes, cite ce simple mot de la religion comme sublime.

« PreviousContinue »