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faisait qu'on vivait bien avec lui le reste de l'année, et par ce moyen la paix et l'union régnaient dans la société.

On ne peut douter que ces institutions ne servissent puissamment au maintien des mœurs, en entretenant la cordialité et l'amour entre les parents. Nous sommes déjà bien loin de ces temps où une femme, à la mort de son mari, venait trouver son fils aîné, lui remettait les clefs, et lui rendait les comptes de la maison comme au chef de la famille. Nous n'avons plus cette haute idée de la dignité de l'homme, que nous inspirait le christianisme. Les mères et les enfants aiment mieux tout devoir aux articles d'un contrat que de se fier aux sentiments de la nature, et la loi est mise partout à la place des mœurs.

Ces fêtes chrétiennes avaient d'autant plus de charmes, qu'elles existaient de toute antiquité, et l'on trouvait avec plaisir, en remontant dans le passé, que nos aïeux s'étaient réjouis à la même époque que nous. Ces fêtes étant d'ailleurs très-multipliées, il en résultait encore que, malgré les chagrins de la vie, la religion avait trouvé moyen de donner de race en race, à des millions d'infortunés, quelques moments de bonheur. Dans la nuit de la naissance du Messie, les troupes d'enfants qui adoraient la crèche, les églises illuminées et parées de fleurs, le peuple qui se pressait autour du berceau de son Dieu, les chrétiens qui, dans une chapelle retirée, faisaient leur paix avec le ciel, les alleluia joyeux, le bruit de l'orgue et des cloches, offraient une pompe pleine d'innocence et de majesté.

Immédiatement après le dernier jour de folie, trop souvent marqué par nos excès, venait la cérémonie des Cendres, comme la mort le lendemain des plaisirs. O homme, disait le prêtre, souviens-toi que tu es poussière et que tu retourneras en poussière. L'officier qui se tenait auprès des rois de Perse pour leur rappeler qu'ils étaient mortels, ou le soldat romain qui abaissait l'orgueil du triompbateur, ne donnait pas de plus puissantes leçons.

Un volume ne suffirait pas pour peindre en détail les seules

cérémonies de la semaine sainte; on sait de quelle magnificence elles étaient dans la capitale du monde chrétien aussi nous n'entreprendrons point de les décrire. Nous laissons aux peintres et aux poëtes le soin de représenter dignement ce clergé en deuil; ces autels, ces temples voilés, cette musique sublime, ces voix célestes chantant les douleurs de Jérémie ; cette Passion, mêlée d'incompréhensibles mystères; ce saint sépulcre environné d'un peuple abattu; ce pontife lavant les pieds des pauvres; ces ténèbres, ces silences entrecoupés de bruits formidables; ce cri de victoire échappé tout à coup du tombeau; enfin ce Dieu qui ouvre la route du ciel aux âmes délivrées, et laisse aux chrétiens sur la terre, avec une religion divine, d'intarissables espérances.

CHAP. X. FUNERAILLES : POMPES FUNEBRES

DES GRANDS.

Si l'on se rappelle ce que nous avons dit dans la première partie de cet ouvrage, sur le dernier sacrement des chrétiens, on conviendra d'abord qu'il y a dans cette seule cérémonie plus de véritables beautés que dans tout ce que nous connaissons du culte des morts chez les anciens. Ensuite la religion chrétienne, n'envisageant dans l'homme que ses fins divines, a multiplié les honneurs autour du tombeau; elle a varié les pompes funèbres selon le rang et les destinées de la victime. Par ce moyen, elle a rendu plus douce à chacun cette dure, mais salutaire pensée de la mort, dont elle s'est plu à nourrir notre âme ainsi la colombe amollit dans son bec le froment qu'elle présente à ses petits.

La religion a-t-elle à s'occuper des funérailles de quelque puissance de la terre, ne craignez pas qu'elle manque de grandeur. Plus l'objet pleuré aura été malheurenx, plus elle étalera de pompe autour de son cercueil, plus ses leçons seront éloquentes elle seule pourra mesurer la hauteur et la chute, et dire ces sommets et ces abîmes d'où tombent et où disparaissent les rois.

Quand donc l'urne des douleurs a été ouverte, et qu'elle s'est remplie des larmes des monarques et des reines; quand de grandes cendres et de grands malheurs ont englouti leurs doubles vanités dans un étroit cercueil, la religion assemble les fidèles dans quelque temple. Les voûtes de l'église, les autels, les colonnes, les saints se retirent sous des voiles funèbres. Au milieu de la nef s'élève un cercueil environné de flambeaux. La messe des funérailles s'est célébrée aux pieds de celui qui n'est point né et qui ne mourra point: maintenant tout est muet. Debout dans la chaire de vérité, un prêtre seul, vêtu de blanc au milieu du deuil général, le front chauve, la figure pâle, les yeux fermés, les mains croisées sur la poitrine, est recueilli dans les profondeurs de Dieu; tout à coup ses yeux s'ouvrent, ses mains se déploient et ces mots tombent de ses lèvres :

<< Celui qui règne dans les cieux, et de qui relèvent tous les empires, à qui seul appartient la gloire, la majesté et l'indépendance, est aussi le seul qui se glorifie de faire la loi aux rois, et de leur donner quand il lui plaît, de grandes et de terribles leçons soit qu'il élève les trônes, soit qu'il les abaisse, soit qu'il communique sa puissance aux princes, soit qu'il la retire à lui-même et ne leur laisse que leur propre faiblesse, il leur apprend leurs devoirs d'une manière souveraine et digne de lui....1

<< Chrétiens, que la mémoire d'une grande reine, fille, femme, mère de rois si puissants et souveraine de trois royaumes, appelle à cette triste cérémonie, ce discours vous fera paraître un de ces exemples redoutables qui étalent aux yeux du monde sa vanité tout entière. Vous verrez dans une seule vie toutes les extrémités des choses humaines : la félicité sans bornes aussi bien que les misères; une longue et pénible jouissance d'une des plus nobles couronnes de l'univers; tout ce que peuvent donner de plus glorieux la naissance et la grandeur

1. BOBSUET, Orais. fun. de la reine de la Gr. Bret.

accumulé sur une tête qui ensuite est exposée à tous les outrages de la fortune; la rébellion, longtemps retenue, à la fin tout à fait maîtresse; nul frein à la licence; les lois abolies; la majesté violée par des attentats jusqu'alors inconnus ; un trône indignement renversé.... voilà les enseignements que Dieu donne aux rois. >>

Souvenirs d'un grand siècle, d'une princesse infortunée et d'une révolution mémorable, oh! combien la religion vous à rendus touchants et sublimes en vous transmettant à la posté→ rité !

CHAP. XI. FUNERAILLES DU GUERRIER, CONVOIS DES
RICHES, COUTUMES, ETC.

Une noble simplicité présidait aux obsèques du guerrier chrétien. Lorsqu'on croyait encore à quelque chose, on aimait à voir un aumônier dans une tente ouverte, près d'un champ de bataille, célébrer une messe des morts sur un autel formé de tambours. C'était un assez beau spectacle de voir le Dieu des armées descendre, à la voix d'un prêtre, sur les tentes d'un camp français, tandis que de vieux soldats, qui avaient tant de fois bravé la mort, tombaient à genoux devant un cercueil, un autel et un ministre de paix. Aux roulements des tambours drapés, aux salves interrompues du canon, des grenadiers portaient le corps de leur vaillant capitaine à la tombe qu'ils avaient creusée pour lui avec leurs baïonnettes. Au sortir de ces funérailles on n'allait point courir pour des trépieds, pour des doubles coupes, pour des peaux de lion aux ongles d'or, mais on s'empressait de chercher, au milieu des combats, des jeux funèbres et une arène plus glorieuse; et, si l'on n'immolait point une génisse noire aux mânes du héros, du moins on répandait en son honneur un sang moins stérile, celui des ennemis de la patrie.

Parlerons-nous de ces enterrements faits à la lueur des flambeaux dans nos villes, de ces chapelles ardentes, de ces chars tendus de noir, de ces chevaux parés de plumes et de drape

ries, de ce silence interrompu par les versets de l'hymne de la colère, Dies iræ ?

La religion conduisait, à ces convois des grands, de pauvres orphelins sous la livrée pareille de l'infortune: par là elle faisait sentir à des enfants qui n'avaient point de père quelque chose de la piété filiale; elle montrait en même temps à l'extrême misère ce que c'est que des biens qui viennent se perdre au cercueil; et elle enseignait au riche qu'il n'y a point de plus puissante médiation auprès de Dieu que celle de l'innocence et de l'adversité.

Un usage particulier avait lieu au décès des prêtres: on les enterrait le visage découvert. Le peuple croyait lire sur les traits de son pasteur l'arrêt du souverain Juge, et reconnaître les joies du prédestiné à travers l'ombre d'une sainte mort, comme dans les voiles d'une nuit pure on découvre les splendeurs du ciel.

La même coutume s'observait dans les couvents. Nous avons vu une jeune religieuse ainsi couchée dans sa bière. Son front se confondait par sa pâleur avec le bandeau. de lin dont il était à demi couvert; une couronne de roses blanches était sur sa tête, et un flambeau brûlait entre ses mains: les grâces et la paix du cœur ne sauvent point de la mort, et l'on voit se faner les lis, malgré la candeur de leur sein et la tranquillité des vallées qu'ils habitent.

Au reste, la simplicité des funérailles était réservée au nourricier comme au défenseur de la patrie. Quatre villageois, précédés du curé, transportaient sur leurs épaules l'homme des champs au tombeau de ses pères. Si quelques laboureurs rencontraient le convoi dans les campagnes, ils suspendaient leurs travaux, découvraient leurs têtes, et honoraient d'un signe de croix leur compagnon décédé. On voyait de loin ce mort rustique voyager au milieu des blés jaunissants, qu'il avait peut-être semés. Le cercueil, couvert d'un drap mortuaire, se balançait comme un pavot noir au-dessus des froments d'or et des fleurs de pourpre et d'azur. Des enfants, une

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