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et de hautes torchères, et des balustres en marbre, et des stalles scuptées par les Charpentier et les Dugoulon; et des lampadaires arrondis par les Ballin; et des saints-sacrements de vermeil, dessinés par les Bertrand et les Cotte. Quelquefois les débris des temples des dieux du mensonge ́ servaient à décorer le temple du vrai Dieu; les bénitiers de Saint-Sulpice étaient deux urnes sépulcrales apportées d'Alexandrie : les bassins, les patènes, les eaux lustrales, rappelaient les sacrifices antiques; et toujours venaient se mêler, sans se confondre, les souvenirs de la Grèce et d'Israël.

Enfin, les lampes et les fleurs qui décoraient nos églises servaient à perpétuer la mémoire de ces temps de persécution, où les fidèles se rassemblaient pour prier dans les tombeaux. On croyait voir ces premiers chrétiens allumer furtivement leur flambeau sous des arches funèbres, et les jeunes filles apporter des fleurs pour parer l'autel des catacombes : un pasteur, éclatant d'indigence et de bonnes œuvres, consacrait ces dons au Seigneur. C'était alors le véritable règne de Jésus-Christ, le Dieu des petits et des misérables; son autel était pauvre comme ses serviteurs. Mais si les calices étaient de bois, les prêtres étaient d'or, comme parle saint Boniface; et jamais on n'a vu tant de vertus évangéliques que dans ces âges où, pour bénir. le Dieu de la lumière et de la vie, il fallait se cacher dans la nuit et dans la mort.

CHAP. III.

- DES CHANTS ET DES PRIÈRES.

On reproche au culte catholique d'employer dans ses chants et ses prières une langue étrangère au peuple, comme si l'on prêchait en latin, et que l'office ne fût pas traduit dans tous les livres d'église. D'ailleurs, si la religion, aussi mobile que les hommes, eût changé d'idiome avec eux, comment aurionsnous connu les ouvrages de l'antiquité? Telle est l'inconséquence de notre humeur, que nous blâmons ces mêmes coutumes auxquelles nous sommes redevables d'une partie de nos sciences et de nos plaisirs.

Mais, à ne considérer l'usage de l'Église romaine que sous ses rapports immédiats, nous ne voyons pas ce que la langue de Virgile, conservée dans notre culte (et même en certain temps et en certains lieux la langue d'Homère), peut avoir de si déplaisant. Nous croyons qu'une langue antique et mystérieuse, une langue qui ne varie plus avec les siècles, convenait assez bien au culte de l'Être éternel, incompréhensible, immuable. Et puisque le sentiment de nos maux nous force d'élever vers le Roi des rois une voix suppliante, n'est-il pas naturel qu'on lui parle dans le plus bel idiome de la terre, et dans celui-là même dont se servaient les nations prosternées pour adresser leurs prières aux Césars?

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De plus, et c'est une chose remarquable, les oraisons en langue latine semblent redoubler le sentiment religieux de la foule. Ne serait-ce point un effet naturel de notre penchant au secret? Dans le tumulte de ses pensées et des misères qui assiégent sa vie, l'homme, en prononçant des mots peu familiers ou même inconnus, croit demander les choses qui lui manquent et qu'il ignore; le vague de sa prière en fait le charme, et son âme inquiète, qui sait peu ce qu'elle désire, aime à former des vœux aussi mystérieux que ses besoins.

Il reste donc à examiner ce qu'on appelle la barbarie des cantiques saints.

On convient assez généralement que, dans le genre lyrique, les Hébreux sont supérieurs aux autres peuples de l'antiquité : ainsi l'Église, qui chante tous les jours les psaumes et les lecons des prophètes, a donc premièrement un très-beau fonds de cantiques. On ne devine pas trop, par exemple, ce que ceux-ci peuvent avoir de ridicule ou de barbare:

N'espérons plus, mon âme, aux promesses du monde, etc.
Qu'aux accents de ma voix la terre se réveille, etc.

J'ai vu mes tristes journées

Décliner vers leur penchant, etc.'

4. MALH., livre I, ode ш. 2. Rouss., livre I, odes i et x.

L'Église trouve une autre source de chants dans les évangiles et dans les épîtres des apôtres. Racine, en imitant ses proses', a pensé, comme Malherbe et Rousseau, qu'elles étaient dignes de sa muse. Saint Chrysostome, saint Grégoire, saint Ambroise, saint Thomas d'Aquin, Coffin, Santeuil, ont réveillé la lyre grecque et latine dans les tombeaux d'Alcée et d'Horace. Vigilante à louer le Seigneur, la religion mêle au matin ses concerts à ceux de l'aurore:

Splendor paternæ gloriæ, etc.

Source ineffable de lumière,

Verbe, en qui l'Éternel contemple sa beauté;
Astre, dont le soleil n'est que l'ombre grossière,
Sacré jour, dont le jour emprunte sa clarté,
Lève-toi, soleil adorable, etc.

Avec le soleil couchant l'Église chante encore:

Coli, Deus sanctissime, etc.

Grand Dieu, qui fais briller sur la voûte étoilée
Ton trône glorieux,

Et d'une blancheur vive, à la pourpre mêlée,
Peins le cintre des cieux.

Cette musique d'Israël sur la lyre de Racine ne laisse pas d'avoir quelque charme : on croit moins entendre un son réel de cette voix intérieure et mélodieuse qui, selon Platon, réveille au matin les hommes épris de la vertu, en chantant de toute sa force dans leurs cœurs.

Mais, sans avoir recours à ces hymnes, les prières les plus communes de l'Église sont admirables; il n'y a que l'habitude de les répéter dès notre enfance qui nous puisse empêcher d'en sentir la beauté. Tout retentirait d'acclamations, si l'on trouvait dans Platon ou dans Sénèque une profession de foi aussi simple, aussi pure, aussi claire que celle-ci :

« Je crois en un seul Dieu, père tout-puissant, créateur du ciel et de la terre, et de toutes les choses visibles et invisibles. >

4. Voy. le cantique tiré de saint Paul.

L'oraison dominicale est l'ouvrage d'un Dieu qui connaissait tous nos besoins: qu'on en pèse bien les paroles :

Notre Père qui es aux cieux;
Reconnaissance d'un Dieu unique.

Que ton nom soit sanctifié;

Culte qu'on doit à la Divinité; vanité des choses du monde, Dieu seul mérite d'être sanctifié.

Que ton règne nous arrive ;

Immortalité de l'âme.

Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel;

Mot sublime qui comprend les attributs de la Divinité; sainte résignation qui embrasse l'ordre physique et moral de l'univers. « Donne-nous aujourd'hui notre pain quotidien; »

Comme cela est touchant et philosophique! Quel est le seul besoin réel de l'homme? un peu de pain; encore il ne le lui faut qu'aujourd'hui ( hodie); car demain existera-t-il?

Et pardonne-nous nos offenses, comme nous les pardonnons à ceux qui nous ont offenses;

C'est la morale et la charité en deux mots.

Ne nous laisse point succomber à la tentation; mais délivrenous du mal.

Voilà le cœur humain tout entier; voilà l'homme et sa faiblesse. Qu'il ne demande point les forces pour vaincre; qu'il ne prie que pour n'être point attaqué, que pour ne point souffrir. Celui qui a créé l'homme pouvait seul le connaître aussi bien.

Nous ne parlerons point de la salutation angélique, véritablement pleine de grâce, ni de cette confession que le chrétien fait chaque jour aux pieds de l'Éternel. Jamais les lois ne remplaceront la moralité d'une telle contume. Songe-t-on quel frein c'est pour l'homme que cet aveu pénible qu'il renouvelle matin et soir : J'ai péché par mes pensées, par mes paroles, par mes euvres. Pythagore avait recommandé une pareille confession à ses disciples: il était réservé au christianisme de réaliser ces songes de vertu que rêvaient les sages de Rome et d'Athènes.

En effet, le christianisme est à la fois une sorte de secte phi

losophique et une antique législation. De là lui viennent les abstinences, les jeûnes, les veilles, dont on retrouve des traces dans les anciennes républiques, et que pratiquaient les écoles savantes de l'Inde, de l'Égypte et de la Grèce : plus on examine le fond de la question, plus on est convaincu que la plupart des insultes prodiguées au culte chrétien retombent sur l'antiquité. Mais revenons aux prières.

Les actes de foi, d'espérance, de charité, de contrition, disposaient encore le cœur à la vertu ; les oraisons des cérémonies chrétiennes, relatives à des objets civils ou religieux, ou même à de simples accidents de la vie, présentaient des convenances parfaites, des sentiments élevés, de grands souvenirs et un style à la fois simple et magnifique. A la messe des noces, le prêtre lisait l'épître de saint Paul: Mes frères, que les femmes soient soumises à leurs maris comme au Seigneur. Et à l'évangile: « En ce temps-là, les Pharisiens s'approchèrent de Jésus pour le tenter, et lui dirent : « Est-il permis à un homme de quitter' sa femme ?... » Il leur répondit : « Il est écrit que l'homme quittera son père et sa mère, et s'attachera à sa femme. »

A la bénédiction nuptiale, le célébrant, après avoir répété les paroles que Dieu même prononça sur Adam et Ève : Crescite et multiplicamini, ajoutait :

« O Dieu, unissez, s'il vous plaît, les esprits de ces époux, et versez dans leurs cœurs une sincère amitié. Regardez d'un œil favorable votre servante.... Faites que son joug soit un joug d'amour et de paix; faites que, chaste et fidèle, elle suive toujours l'exemple des femmes fortes; qu'elle se rende aimable à son mari comme Rachel; qu'elle soit sage comme Rebecca, qu'elle jouisse d'une longue vie, et qu'elle soit fidèle comme Sara.... qu'elle obtienne une heureuse fécondité. Qu'elle mène une vie pure et irréprochable, afin d'arriver au repos des saints et au royaume du ciel; faites, Seigneur, qu'ils voient tous deux les enfants de leurs enfants jusqu'à la troisième et quatrième génération, et qu'ils parviennent à une heureuse vieillesse. »

A la cérémonie des relevailles, on chantait le psaume Nisi

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