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tain que tout homme qui jouit d'une prospérité mal acquise a fait un pacte avec l'esprit des ténèbres, et légué son âme aux enfers.

Enfin les vents, les pluies, les soleils, les saisons, les cultures, les arts, la naissance, l'enfance, l'hymen, la vieillesse, la mort, tout avait ses saints et ses images, et jamais peuple ne fut plus environné de divinités amies que ne l'était le peuple chrétien.

Il ne s'agit pas d'examiner rigoureusement ces croyances. Loin de rien ordonner à leur sujet, la religion servait au contraire à en prévenir l'abus et à en corriger l'excès. Il s'agit seulement de savoir si leur but est moral, si elles tendent mieux que les lois elles-mêmes à conduire la foule à la vertu. Et quel homme sensé peut en douter? A force de déclamer contre la superstition, on finira par ouvrir la voie à tous les crimes. Ce qu'il y aura d'étonnant pour les sophistes, c'est qu'au milieu des maux qu'ils auront causés, ils n'auront pas même la satisfaction de voir le peuple plus incrédule. S'il cesse de soumettre son esprit à la religion, il se fera des opinions monstrueuses. Il sera saisi d'une terreur d'autant plus étrange, qu'il n'en connaîtra pas l'objet : il tremblera dans un cimetière où il aura gravé que la mort est un sommeil éternel; et, en affectant de mépriser la puissance divine, il ira interroger la bohémienne, ou chercher ses destinées dans les bigarrures d'une carte.

Il faut du merveilleux, un avenir, des espérances à l'homme, parce qu'il se sent fait pour l'immortalité. Les conjurations, la nécromancie, ne sont chez le peuple que l'instinct de la religion, et une des preuves les plus frappantes de la nécessité d'un culte. On est bien près de tout croire quand on ne croit rien; on a des devins quand on n'a plus de prophètes, des sortiléges quand on renonce aux cérémonies religieuses, et l'or ouvre les antres des sorciers quand on ferme les temples du Seigneur.

QUATRIÈME PARTIE.

CULTES.

LIVRE PREMIER.

ÉGLISES, ORNEMENTS, CHANTS, PRIÈRES,
SOLENNITÉS, ETC.

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Nous allons maintenant nous occuper du culte chrétien. Ce sujet est pour le moins aussi riche que celui des trois premières parties, avec lesquelles il forme un tout complet.

Or, puisque nous nous préparons à entrer dans le temple, parlons premièrement de la cloche qui nous y appelle.

C'était d'abord, ce nous semble, une chose assez merveilleuse d'avoir trouvé le moyen, par un seul coup de marteau, de faire naître, à la même minute, un même sentiment dans mille cœurs divers, et d'avoir forcé les vents et les nuages à se charger des pensées des hommes. Ensuite, considérée comme harmonie, la cloche a indubitablement une beauté de la première sorte; celle que les artistes appellent le grand. Le bruit de la foudre est sublime, et ce n'est que par sa grandeur ; il en est ainsi des vents, des mers, des volcans, des cataractes, de la voix de tout un peuple.

Avec quel plaisir Pythagore, qui prêtait l'oreille au marteau du forgeron, n'eût-il point écouté le bruit de nos cloches la veille d'une solennité de l'Église! L'âme peut être attendrie par les accords d'une lyre, mais elle ne sera pas saisie d'enthousiasme, comme lorsque la foudre des combats la reveille. ou qu'une pesante sonnerie proclame dans la région des nuées les triomphes du Dieu des batailles.

Et pourtant ce n'était pas là le caractère le plus remarquable

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du son des cloches; ce son avait une foule de relations secrètes avec nous. Combien de fois, dans le calme des nuits, les tintements d'une agonie, semblables aux lentes pulsations d'un cœur expirant, n'ont-ils point surpris l'oreille d'une épouse adultère? Combien de fois ne sont-ils point parvenus jusqu'à l'athée, qui, dans sa veille impie, osait peut-être écrire qu'il n'y a point de Dieu ? La plume échappe de sa main; il écoute avec effroi le glas de la mort, qui semble lui dire: Est-ce qu'il n'y a point de Dieu? Oh! que de pareils bruits n'effrayèrent-ils le sommeil de nos tyrans! Étrange religion, qui, au seul coup d'un airain magique, peut changer en tourments les plaisirs, ébranler l'athée, et faire tomber le poignard des mains de l'assassin!

Des sentiments plus doux s'attachaient aussi au bruit des cloches. Lorsque, avec le chant de l'alouette, vers le temps de la coupe des blés, on entendait, au lever de l'aurore, les petites sonneries de nos hameaux, on eût dit que l'ange des moissons, pour réveiller les laboureurs, soupirait, sur quelque instrument des Hébreux, l'histoire de Séphora ou de Noémi. Il nous semble que, si nous étions poëte, nous ne dédaignerions point cette cloche agitée par les fantômes dans la vieille chapelle de la forêt, ni celle qu'une religieuse frayeur balançait dans nos campagnes pour écarter le tonnerre, ni celle qu'on sonnait la nuit, dans certains ports de mer, pour diriger le pilote à travers les écueils. Les carillons des cloches, au milieu de nos fêtes, semblaient augmenter l'allégresse publique; dans des calamités, au contraire, ces mêmes bruits devenaient terribles. Les cheveux dressent encore sur la tête au souvenir de ces jours de meurtre et de feu, retentissant des clameurs du tocsin. Qui de nous a perdu la mémoire de ces hurlements, de ces cris aigus, entrecoupés de silences, durant lesquels on distinguait de rares coups de fusils, quelque voix lamentable et solitaire, et surtout le bourdonnement de la cloche d'alarme, ou le son de l'horloge qui frappait tranquillement l'heure écoulée ?

Mais, dans une société bien ordonnée, le bruit du tocsin, rappelant une idée de secours, frappait l'âme de pitié et de terreur, et faisait couler ainsi les deux sources des sensations tragiques.

Tels sont à peu près les sentiments que faisaient naître les sonneries de nos temples; sentiments d'autant plus beaux, qu'il s'y mêlait un souvenir du ciel. Si les cloches eussent été attachées à tout autre monument qu'à des églises, elles auraient perdu leur sympathie morale avec nos cœurs. C'était Dieu même qui commandait à l'ange des victoires de lancer les volées qui publiaient nos triomphes, ou à l'ange de la mort de sonner le départ de l'âme qui venait de remonter à lui. Ainsi, par mille voix secrètes, une société chrétienne correspondait avec la Divinité, et ses institutions allaient se perdre mystérieusement à la source de tout mystère.

Laissons donc les cloches rassembler les fidèles; car la voix de l'homme n'est pas assez pure pour convoquer au pied des autels le repentir, l'innocence et le malheur. Chez les sauvages de l'Amérique, lorsque des suppliants se présentent à la porte d'une cabane, c'est l'enfant du lieu qui introduit ces infortunés au foyer de son père: si les cloches nous étaient interdites, il faudrait choisir un enfant pour nous appeler à la maison du Seigneur.

CHAP. II.

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DU VÊTEMENT DES PRÊTRES ET DES ORNEMENTS
DE L'EGLISE.

On ne cesse de se récrier sur les institutions de l'antiquité, et l'on ne veut pas s'apercevoir que le culte évangélique est le seul débris de cette antiquité qui soit parvenu jusqu'à nous ; tout dans l'Église retrace ces temps éloignés dont les hommes ont depuis longtemps quitté les rivages, et où ils aiment encore à égarer leurs pensées. Si l'on fixe les yeux sur le prêtre chrétien, à l'instant on est transporté dans la patrie de Numa, de Lycurgue ou de Zoroastre. La tiare nous montre le Mède errant sur les débris de Suze et d'Ecbatane; l'aube, dont le

nom latin rappelle et le lever du jour et la blancheur virginale, offre de douces consonnances avec les idées religieuses; toujours un majestueux souvenir ou une agréable harmonie s'attache aux tissus de nos autels.

. Et ces autels chrétiens, modelés comme des tombeaux antiques, et ces images du soleil vivant renfermées dans nos tabernacles, ont-ils quelque chose qui blesse les yeux ou qui choque le goût? Nos calices avaient cherché leurs noms parmi les plantes, et le lis leur avait prêté sa forme, gracieuse concordance entre l'Agneau et les fleurs.

Comme la marque la plus directe de la foi, la croix est aussi l'objet le plus ridicule à de certains yeux. Les Romains s'en étaient moqués, ainsi que les nouveaux ennemis du christianisme; et Tertullien leur avait montré qu'ils employaient euxmêmes ce signe dans leurs faisceaux d'armes. L'attitude que la croix fait prendre au Fils de l'Homme est sublime : l'affaissement du corps et la tête penchée font un contraste divin avec les bras étendus vers le ciel. Au reste, la nature n'a pas été aussi délicate que les incrédules, elle n'a pas craint de mouler la croix dans une multitude de ses ouvrages: il y a une famille entière de fleurs qui appartient à cette forme, et cette famille se distingue par une inclination à la solitude; la main du Tout-Puisant a aussi placé l'étendard de notre salut parmi les soleils.

L'urne qui renfermait les parfums imitait la forme d'une navette; des feux et d'odorantes vapeurs flottaient dans un vase à l'extrémité d'une longue chaîne: là se voyaient les candélabres de bronze doré, ouvrage d'un Cafieri ou d'un Vassé, et images des chandeliers mystiques du roi-poëte; ici, les Vertus cardinales, assises, soutenaient le lutrin triangulaire des lyres accompagnaient ses faces, un globe terrestre le couronnait, et un aigle d'airain, surmontant ces belles allégories, semblait, sur ses ailes déployées, emporter nos prières vers les cieux. Partout se présentaient et des chaires légèrement suspendues, et des vases surmontés de flammes, et des balcons,

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