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Septembre loin de nous s'enfuit et décolore
Cet éclat dont l'année un moment brille encore.
Il redouble la paix qui m'attache en ces lieux;
Son jour mélancolique, et si doux à nos yeux,
Son vert plus rembruni, son grave caractère,
Semblent se conformer au deuil du monastère.
Sous ces bois jaunissants j'aime à m'ensevelir.
Couché sur un gazon qui commence à pâlir,
Je jouis d'un air pur, de l'ombre et du silence.
Ces chars tumultueux où s'assied l'opulence,
Tous ces travaux, ce peuple à grands flots agité,
Ces sons confus qu'élève une vaste cité,

Des enfants de Bruno ne troublent point l'asile;
Le bruit les environne, et leur âme est tranquille.
Tous les jours, reproduit sous des traits inconstants,
Le fantôme du siècle emporté par le temps

Passe, et roule autour d'eux ses pompes mensongères.
Mais c'est en vain: du siècle ils ont fui les chimères;
Hormis l'éternité, tout est songe pour eux.

Vous déplorez pourtant leur destin malheureux!
Quel préjugé funeste à des lois si rigides

Attacha, dites-vous, ces pieux suicides?

Ils meurent longuement, rongés d'un noir chagrin;
L'autel garde leurs vœux sur des tables d'airain,
Et le seul désespoir habite leurs cellules.

Eh bien, vous qui plaignez ces victimes crédules,
Pénétrez avec moi ces murs religieux :
N'y respirez-vous pas l'air paisible des cieux?
Vos chagrins ne sont plus, vos passions se taisent,
Et du cloître muet les ténèbres vous plaisent.

Mais quel lugubre son, du haut de cette tour,
Descend et fait frémir les dortoirs d'alentour?
C'est l'airain qui, du temps formidable interprète,
Dans chaque heure qui fuit, à l'humble anachorète
Redit en longs échos: « Songe au dernier moment! >>
Le son sous cette voûte expire lentement;

Et quand il a cessé. l'âme en frémit encore.

La méditation qui, seule dès l'aurore,

Dans ces sombres parvis marche en baissant son œil, A ce signal s'arrête, et lit sur un cercueil

L'épitaphe à demi par les ans effacée,

Qu'un gothique écrivain dans la pierre a tracée.

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O tableaux éloquents! oh! combien à mon cœur
Plaît ce dôme noirci d'une divine horreur,
Et le lierre embrassant ces débris de murailles
Où croasse l'oiseau chantre des funérailles;
Les approches du soir, et ces ifs attristés
Où glissent du soleil les dernières clartés;
Et ce buste pieux que la mousse environne;
Et la cloche d'airain à l'accent monotone;

Ce temple où chaque aurore entend de saints concerts
Sortir d'un long silence et monter dans les airs;
Un martyr dont l'autel a conservé les restes,
Et le gazon qui croît sur ces tombeaux modestes,
Où l'heureux cénobite a passé sans remord
Du silence du cloître à celui de la mort!

Cependant sur ces murs l'obscurité s'abaisse ;
Leur deuil est redoublé, leur ombre est plus épaisse;
Les hauteurs de Meudon me cachent le soleil,

Le jour meurt, la nuit vient: le couchant moins vermeil
Voit pâlir de ses feux la dernière étincelle.
Tout à coup se rallume une aurore nouvelle,
Qui monte avec lenteur sur les dômes noircis
De ce palais voisin qu'éleva Médicis1;

Elle en blanchit le faîte, et ma vue enchantée
Reçoit par ces vitraux la lueur argentée.

L'astre touchant des nuits verse du haut des cieux

Sur les tombes du cloître un jour mystérieux,

Et semble y réfléchir cette douce lumière

Qui des morts bienheureux doit charmer la paupière.

Ici, je ne vois plus les horreurs du trépas:

Son aspect attendrit et n'épouvante pas.
Me trompé-je? Ecoutons: sous ces voûtes antiques
Parviennent jusqu'à moi d'invisibles cantiques,
Et la Religion, le front voilé, descend.

Elle approche déjà son calme attendrissant,
Jusqu'au fond de votre âme en secret s'insinue;
Entendez-vous un Dieu dont la voix inconnue
Vous dit tout bas : « Mon fils, viens ici, viens à moi;
Marche au fond du désert, j'y serai près de toi? >>

Maintenant, du milieu de cette paix profonde,
Tournez les yeux: voyez, dans les routes du monde.

1 Le Luxembourg.

S'agiter les humains que travaille sans fruit
Cet espoir obstiné du bonheur qui les fuit.
Rappelez-vous les mœurs de ces siècles sauvages
Où, sur l'Europe entière apportant les ravages,
Des Vandales obscurs, de farouches Lombards.
Des Goths se disputaient le sceptre des Césars.
La force était sans frein, le faible sans asile
Parlez, blâmerez-vous les Benoît, les basie,
Qui, loin du siècle impie, en ces temps abhorrés,
Ouvrirent au malheur des refuges sacrés?
Déserts de l'Orient, sables, sommets arides,
Catacombes, forêts, sauvages Thébaïdes,
Oh! que d'infortunés votre noire épaisseur
A dérobés jadis au fer de l'oppresseur!

C'est là qu'ils se cachaient; et les chrétiens fidèles,
Que la religion protégeait de ses ailes,

Vivant avec Dieu seul dans leurs pieux tombeaux,
Pouvaient au moins prier sans craindre les bourreaux.
Le tyran n'osait plus y chercher ses victimes.
Et que dis-je? accablé de l'horreur de ses crimes,
Souvent dans ces lieux saints l'oppresseur désarmé
Venait demander grâce aux pieds de l'opprimé.
D'héroïques vertus habitaient l'ermitage.

Je vois dans les débris de Thèbes, de Carthage,
Au creux des souterrains, au fond des vieilles tours,
D'illustres pénitents fuir le monde et les cours.
La voix des passions se tait sous leurs cilices;
Mais leurs austérités ne sont point sans délices :
Celui qu'ils ont cherché ne les oubliera pas;
Dieu commande au désert de fleurir sous leurs pas.
Palmier, qui rafraîchis la plaine de Syrie,
Ils venaient reposer sous ton ombre chérie !
Prophétique Jourdain, ils erraient sur tes bords!
Et vous, qu'un roi charmait de ses divins accords,
Cèdres du haut Liban, sur votre cime altière,
Vous portiez jusqu'au ciel leur ardente prière!
Cet antre protégeait leur paisible sommeil;
Souvent le cri de l'aigle avança leur réveil;
Ils chantaient l'Éternel sur le roc solitaire,
Au bruit sourd du torrent dont l'eau les désaltère,
Quand tout à coup un ange, en dévoilant ses traits,
Leur porte, au nom du ciel, un message de paix.
Et cependant leurs jours n'étaient point sans orages.
Cet éloquent Jérôme, honneur des premiers âges,

J

Voyait, sous le cilice et de cendres couvert,
Les voluptés de Rome assiéger son désert.
Leurs combats exerçaient son austère sagesse.
Peut-être, comme lui, déplorant sa faiblesse,
Un mortel trop sensible habita ce séjour.
Hélas! plus d'une fois les soupirs de l'amour
S'élevaient dans la nuit du fond des monastères;
En vain le repoussant de ses regards austères,
La pénitence veille à côté d'un cercueil :
Il entre déguisé sous les voiles du deuil;

Au Dieu consolateur en pleurant il se donne;

A Comminge, à Rancé, Dieu sans doute pardonne:

A Comminge, à Rancé, qui ne doit quelques pleurs?
Qui n'en sait les amours? qui n'en plaint les malheurs?
Et toi, dont le nom seul trouble l'âme amoureuse,
Des bois du Paraclet vestale malheureuse,
Toi qui, sans prononcer de vulgaires serments,
Fis connaître à l'amour de nouveaux sentiments;
Toi que l'homme sensible, abusé par lui-même,
Se plaît à retrouver dans la femme qu'il aime;
Héloïse! à ton nom quel cœur ne s'attendrit?
Tel qu'un autre Abeilard tout amant te chérit.
Que de fois j'ai cherché, loin d'un monde volage,
L'asile où dans Paris s'écoula ton jeune âge!
Ces vénérables tours, qu'allonge vers les cieux
La cathédrale antique où priaient nos aïeux,

Ces tours ont conservé ton amoureuse histoire.

Là tout m'en parle encor1: là revit ta mémoire;
Là du toit de Fulbert j'ai revu les débris.
On dit même, en ces lieux, par ton ombre chéris,
Qu'un long gémissement s'élève chaque année
A l'heure où se forma ton funeste hyménée.
La jeune fille alors lit, au déclin du jour,
Cette lettre éloquente où brûle ton amour:

Son trouble est aperçu de l'amant qu'elle adore,

Et des feux que tu peins son feu s'accroît encore.

Mais que fais-je, imprudent? Quoi! dans ce lieu sacré
J'ose parler d'amour, et je marche entouré

Des leçons du tombeau, des menaces suprêmes!

Ces murs, ces longs dortoirs, se couvrent d'anathèmes,

De sentences de mort qu'aux yeux épouvantés

1. Héloïse vivait dans le cloître Notre-Dame; on y voit encore la maison de son oncle le chanoine Fulbert.

L'ange exterminateur écrit de tous côtés;

Je lis à chaque pas: Dieu, l'enfer, la vengeance.
Partout est la rigueur, nulle part la clémence.
Cloître sombre, où l'amour est proscrit par le ciel,
Où l'instinct le plus cher est le plus criminel,
Déjà, déjà ton deuil plaît moins à ma pensée.
L'imagination, vers tes murs élancée,
Chercha le saint repos, leur long recueillement;
Mais mon âme a besoin d'un plus doux sentiment.
Ces devoirs rigoureux font trembler ma faiblesse.
Toutefois quand le temps, qui détrompe sans cesse,
Pour moi des passions détruira les erreurs,

Et leurs plaisirs trop courts souvent mêlés de pleurs;
Quand mon cœur nourrira quelque peine secrète,
Dans ces moments plus doux et si chers au poëte,
Où, fatigué du monde, il veut, libre du moins,
Et jouir de lui-même et rêver sans témoins,
Alors je reviendrai, solitude tranquille,
Oublier dans ton sein les ennuis de la ville,
Et retrouver encor, sous ces lambris déserts,
Les mêmes sentiments retracés dans ces vers.

CHAP. III. LES RUINES EN GÉNÉRAL QU'IL Y EN A DE DEUX ESPÈCES.

De l'examen des sites des monuments chrétiens, nous passons aux effets des ruines de ces monuments. Elles fournissent au cœur de majestueux souvenirs, et aux arts des compositions touchantes. Consacrons quelques pages à cette poétique des

morts.

Tous les hommes ont un secret attrait pour les ruines. Ce sentiment tient à la fragilité de notre nature, à une conformité secrète entre ces monuments détruits et la rapidité de notre existence. Il s'y joint, en outre, une idée qui console notre petitesse, en voyant que des peuples entiers, des hommes quelquefois si fameux n'ont pu vivre cependant au delà du peu de jours assignés à notre obscurité. Ainsi, les ruines jettent une grande moralité au milieu des scènes de la nature; quand elles sont placées dans un tableau, en vain on cherche à porter les yeux autre part : ils reviennent toujours s'attacher sur elles.

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