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Il venait de révéler un âge d'or au milieu de la corruption, de découvrir un peuple nouveau dans les souterrains d'un antique empire, Ces mœurs durent paraître d'autant plus belles qu'elles n'étaient pas connues aux premiers jours du monde, en harmonie avec la nature et les lois, et qu'elles formaient au contraire un contraste frappant avec le reste de la société. Ce qui rend surtout la vie de ces fidèles plus intéressante que la vie de ces hommes parfaits chantés par la Fable, c'est que ceux-ci sont représentés heureux, et que les autres se montrent à nous à travers les charmes du malheur. Ce n'est pas sous les feuillages des bois et au bord des fontaines que la vertu paraît avec le plus de puissance: il faut la voir à l'ombre des murs des prisons et parmi les flots de sang et de larmes. Combien la religion est divine,

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◄ je les y ai envoyés; car, de quelque nature que fût ce qu'ils confessaient, j'ai cru que l'on ne pouvait manquer à punir en eux leur désoabéissance et leur invincible opiniâtreté. Il y en a eu d'autres, entêtés a de la même folie, que j'ai réservés pour envoyer à Rome, parce qu'ils « sont citoyens romains. Dans la suite, ce crime venant à se répandre, a comme il arrive ordinairement, il s'en est présenté de plusieurs espèces. On m'a mis entre les mains un mémoire sans nom d'auteur, où l'on « accuse d'être chrétiens différentes personnes qui nient de l'être et de << l'avoir jamais été. Ils ont, en ma présence, et dans les termes que je leur prescrivais, invoqué les dieux et offert de l'encens et du vin à votre << image, que j'avais fait apporter exprès avec des statues de nos divinités; «< ils se sont encore emportés en imprécations contre le Christ; c'est à « quoi, dit-on, l'on ne peut jamais forcer ceux qui sont véritablement « chrétiens. J'ai donc cru qu'il les fallait absoudre. D'autres, déférés par << un dénonciateur, ont d'abord reconnu qu'ils étaient chrétiens; et ausa sitot après ils l'ont nié, déclarant que véritablement ils l'avaient été, << mais qu'ils ont cessé de l'être, les uns il y avait plus de trois ans, << autres depuis un plus grand nombre d'années, quelques-uns depuis plus « de vingt ans. Tous ces gens-là ont adoré votre image et les statues des << dieux, tous ont chargé le Christ de malédictions. Ils assuraient que toute « leur erreur ou leur faute avait été renfermée dans ces points : qu'à un « jour marqué ils s'assemblaient avant le lever du soleil, et chantaient << tour à tour des vers à la louange du Christ, comme s'il eût été Dieu; qu'ils s'engageaient par serment, non à quelque crime, mais à ne point << commettre le vol ni l'adultère, à ne point manquer à leur promesse, << ne point nier un dépôt; qu'après cela ils avaient coutume de se sépa

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lorsqu'au fond d'un souterrain, dans le silence et la nuit des tombeaux, un pasteur que le péril environne célèbre à la lueur d'une lampe, devant un petit troupeau de fidèles, les mystères d'un Dieu persécuté!

Il était nécessaire d'établir solidement cette innocence des chrétiens primitifs, pour montrer que si, malgré tant de pureté, on trouva des inconvénients au mariage des prêtres, il serait tout à fait impossible de l'admettre aujourd'hui.

En effet, quand les chrétiens se multiplièrent, quand la corruption se répandit avec les hommes, comment le prêtre

«<rer, et ensuite de se rassembler pour manger en commun des mets in«<nocents; qu'ils avaient cessé de le faire depuis mon édit, par lequel, << selon vos ordres, j'avais défendu toute sorte d'assemblées. Cela m'a fait << juger d'autant plus nécessaire d'arracher la vérité par la force des tour<< ments à des filles esclaves qu'ils disaient être dans le ministère de leur «< culte; mais je n'y ai découvert qu'une mauvaise superstition portée à « l'excès, et par cette raison j'ai tout suspendu pour vous demander vos << ordres. L'affaire m'a paru digne de vos réflexions, par la multitude de << ceux qui sont enveloppés dans ce péril; car un très-grand nombre de << personnes de tout âge, de tout ordre, de tout sexe, sont et seront tous << les jours impliquées dans cette accusation. Ce mal contagieux n'a pas < seulement infecté les villes, il a gagné les villages et les campagnes. Je «< crois pourtant que l'on y peut remédier, et qu'il peut être arrêté. Ce <«< qu'il y a de certain, c'est que les temples, qui étaient presque déserts, « sont fréquentés, et que les sacrifices longtemps négligés recommen<< cent on vend partout des victimes qui trouvaient auparavant peu d'aacheteurs. De là on peut juger quelle quantité de gens peuvent être ra<< menés de leur égarement, si l'on fait grâce au repentir.

L'empereur lui fit cette réponse :

TRAJAN A PLINE.

« Vous avez, mon très-cher Pline, suivi la voie que vous deviez dans << l'instruction du procès des chrétiens qui vous ont été déférés; car il « n'est pas possible d'établir une forme certaine et générale dans cette « sorte d'affaire : il ne faut pas en faire perquisition. S'ils sont accusés et «< convaincus, il les faut punir: si pourtant l'accusé nie qu'il soit chrétien, « et qu'il le prouve par sa conduite, je veux dire en invoquant les dieux, il faut pardonner à son repentir, de quelque soupçon qu'il ait été au« paravant chargé. Au reste, dans nul genre de crime, l'on ne doit rece« voir des dénonciations qui ne sont souscrites de personne, car cela est « d'un pernicienx exemple, et très-éloigné de nos maximes. »

aurait-il pu vaquer en même temps aux soins de sa famille et de son église? Comment fût-il demeuré chaste avec une épouse qui eût cessé de l'être? Que si l'on objecte les pays protestants, nous dirons que dans ces pays on a été obligé d'abolir une grande partie du culte extérieur; qu'un ministre paraît à peine dans un temple deux ou trois fois par semaine; que presque toutes relations ont cessé entre le pasteur et le troupeau, et que le premier est trop souvent un homme du monde, qui donne des bals et des festins pour amuser ses enfants. Quant à quelques sectes moroses, qui affectent la simplicité évangélique, et qui veulent une religion sans culte, nous espérons qu'on ne nous les opposera pas. Enfin, dans les pays où le mariage des prêtres est établi, la confession, la plus. belle des institutions morales, a cessé et a dû cesser à l'instant. Il est naturel qu'on n'ose plus rendre maître de ses secrets l'homme qui a rendu une femme maîtresse des siens; on craint avec raison de se confier au prêtre qui a rompu son contrat de fidélité avec Dieu, et répudié le Créateur pour épouser la créature.

Il ne reste plus qu'à répondre à l'objection que l'on tire de la loi générale de la population.

Or, il nous paraît qu'une des premières lois naturelles qui dut s'abolir à la nouvelle alliance, fut celle qui favorisait la population au delà de certaines bornes. Autre fut Jésus-Christ, autre Abraham celui-ci parut dans un temps d'innocence, dans un temps où la terre manquait d'habitants; Jésus-Christ vint, au contraire, au milieu de la corruption des hommes, et lorsque le monde avait perdu sa solitude. La pudeur peut donc fermer aujourd'hui le sein des femmes; la seconde Ève, en guérissant les maux dont la première avait été frappée, a fait descendre la virginité du ciel pour nous donner une idée de cet état de pureté et de joie qui précéda les antiques douleurs de la mère.

Le législateur des chrétiens naquit d'une vierge et mourut vierge. N'a-t-il pas voulu nous enseigner par là, sous les rapports politiques et naturels, que la terre était arrivée à son com

plément d'habitants, et que, loin de multiplier les générations, il faudrait désormais les restreindre? A l'appui de cette opinion, on remarque que les États ne périssent jamais par le défaut, mais par le trop grand nombre d'hommes. Une population excessive est le fléau des empires. Les barbares du Nord ont dévasté le globe quand leurs forêts ont été remplies; la Suisse était obligée de verser ses industrieux habitants aux royaumes étrangers, comme elle leur verse ses rivières fécondes; et sous nos propres yeux, au moment même où la France a perdu tant de laboureurs, la culture n'en paraît que plus florissante. Hélas! misérables insectes que nous sommes! bourdonnant autour d'une coupe d'absinthe, où par hasard sont tombées quelques gouttes de miel, nous nous dévorons les uns les autres lorsque l'espace vient à manquer à notre multitude. Par un malheur plus grand encore, plus nous nous multiplions, plus il faut de champ à nos désirs. De ce terrain qui diminue toujours, et de ces passions qui augmentent sans cesse, doivent résulter tôt ou tard d'effroyables révolutions.

Au reste, les systèmes s'évanouissent devant des faits. L'Europe est-elle déserte, parce qu'on y voit un clergé catholique qui a fait vœu de célibat? Les monastères mêmes sont favorables à la société, parce que les religieux, en consommant leurs denrées sur les lieux, répandent l'abondance dans la cabane du pauvre. Où voyait-on en France des paysans bien vêtus et des laboureurs dont le visage annonçait l'abondance et la joie, si ce n'était dans la dépendance de quelque riche abbaye? Les grandes propriétés n'ont-elles pas toujours cet effet, et les abbayes étaient-elles autre chose que des domaines où les propriétaires résidaient? Mais ceci nous mènerait trop loin, et nous y reviendrons lorsque nous traiterons des Ordres monastiques. Disons pourtant encore que le clergé favorisait la population, en prêchant la concorde et l'union entre les époux, en arrêtant les progrès du libertinage, et en dirigeant les foudres de l'Église contre le système du petit nombre d'enfants, adopté par le peuple des villes.

Enfin, il semble à peu près démontré qu'il faut dans un grand État des hommes qui, séparés du reste du monde, et revêtus d'un caractère auguste, puissent, sans enfants, sans épouse, sans les embarras du siècle, travailler aux progrès des lumières, à la perfection de la morale et au soulagement du malheur. Quels miracles nos prêtres et nos religieux n'ont-ils point opérés sous ces trois rapports dans la société ! Qu'on leur donne une famille, et ces études et cette charité qu'ils consacraient à leur patrie, ils les détourneront au profit de leurs parents; heureux même si, de vertus qu'elles sont, ils ne les transforment en vices!

Voilà ce que nous avions à répondre aux moralistes sur le célibat des prêtres. Voyons si nous trouverons quelque chose pour les poëtes: ici il nous faut d'autres raisons, d'autres autorités et un autre style.

CHAP. IX.

SUITE DU PRÉCÉDENT: LE SACREMENT

D'ORDRE.

La plupart des sages de l'antiquité ont vécu dans le célibat; on sait combien les gymnosophistes, les brahmanes, les druides, ont tenu la chasteté à honneur. Les sauvages même la regardent comme céleste; car les peuples de tous les temps et de tous les pays n'ont eu qu'un sentiment sur l'excellence de la virginité. Chez les anciens, les prêtres et les prêtresses, qui étaient censés commercer intimement avec le ciel, devaient vivre solitaires; la moindre atteinte portée à leurs vœux était suivie d'un châtiment terrible. On n'offrait aux dieux que des génisses qui n'avaient point encore été mères. Ce qu'il y avait de plus sublime et de plus doux dans la Fable possédait la virginité; on la donnait à Vénus-Uranie et à Minerve, déesses du génie et de la sagesse; l'Amitié était une adolescente, et la Virginité elle-même, personnifiée sous les traits de la Lune, promenait sa pudeur mystérieuse dans les frais espaces de la nuit.

Considérée sous ses autres rapports, la virginité n'est pas

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