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emportent conviction, la première négativement, la seconde affirmativement. Ainsi, lorsqu'on entend soutenir que le christianisme est l'ennemi des arts, on demeure muet d'étonnement, car à l'instant même on ne peut s'empêcher de se rappeler Michel-Ange, Raphaël, Carrache, Dominique, Le Sueur, Poussin, Couston, et tant d'autres artistes dont les seuls noms rempliraient des volumes.

Vers le milieu du Ive siècle, l'empire romain, envahi par les barbares et déchiré par l'hérésie, tomba en ruines de toutes parts. Les arts ne trouvèrent plus de retraites qu'auprès des chrétiens et des empereurs orthodoxes. Théodose, par une loi spéciale de Excusatione artificum, déchargea les peintres et leurs familles de tout tribut et du logement d'hommes de guerre. Les Pères de l'Église ne tarissent point sur les éloges qu'ils donnent à la peinture. Saint Grégoire s'exprime d'une manière remarquable: Vidi sæpius inscriptionis imaginem, et sine lacrimis transire non potui, quum tam efficaciter ob oculos poneret historiam 1; c'était un tableau représentant le sacrifice d'Abraham. Saint Basile va plus loin, car il assure que les peintres font autant par leurs tableaux que les orateurs par leur éloquence 2. Un moine nommé Méthodius peignit dans le VIIIe siècle ce Jugement dernier qui convertit Bogoris, roi des Bulgares. Les prêtres avaient rassemblé au collége de l'Orthodoxie, à Constantinople, la plus belle bibliothèque du monde et les chefs-d'œuvre des arts: on y voyait en particulier la Vénus de Praxitèle, ce qui prouve au moins que les fondateurs du culte catholique n'étaient pas des barbares sans goût, des moines bigots, livrés à une absurde superstition.

Ce collége fut dévasté par les empereurs iconoclastes. Les professeurs furent brûlés vifs, et ce ne fut qu'au péril de leurs jours que des chrétiens parvinrent à sauver la peau de dragon, de cent vingt pieds de longueur, où les œuvres d'Homère étaient écrites en lettres d'or. On livra aux flammes les tableaux des

4. Deuxième Conc. de Nic., act. XL. — 2. SAINT BASILE, hom. xx.

églises. De stupides et furieux hérésiarques, assez sen blables aux puritains de Cromwell, hachèrent à coups de sabre les mosaïques de l'église de Notre-Dame de Constantinople et du palais des Blaquernes. Les persécutions furent poussées si loin, qu'elles enveloppèrent les peintres eux-mêmes on leur défendit, sous peine de mort, de continuer leurs études. Le moine Lazare eut le courage d'être le martyr de son art. Ce fut en vain que Théophile lui fit brûler les mains pour l'empêcher de tenir le pinceau. Caché dans le souterrain de l'église de Saint-Jean-Baptiste, le religieux peignit avec ses doigts mutilés le grand saint dont il était le suppliant, digne sans doute de devenir le patron des peintres et d'être reconnu de cette famille sublime que le souffle de l'esprit ravit au-dessus des hommes.

Sous l'empire des Goths et des Lombards, le christianisme continua de tendre une main secourable aux talents. Ces efforts se remarquent surtout dans les églises bâties par Théodoric, Luitprand et Didier. Le même esprit de religion inspira Charlemagne; et l'église des Apôtres, élevée par ce grand prince à Florence, passe encore, même aujourd'hui, pour un assez beau monument.

Enfin, vers le XIII° siècle, la religion chrétienne, après avoir lutté contre mille obstacles, ramena en triomphe le chœur des Muses sur la terre. Tout se fit pour les églises, et par la protection des pontifes et des princes religieux. Bouchet, Grec d'origine, fut le premier architecte, Nicolas le premier sculpteur, et Cimabué le premier peintre, qui tirèrent le goût antique des ruines de Rome et de la Grèce. Depuis ce temps, les arts, entre diverses mains et par divers génies, parvinrent jusqu'à ce siècle de Léon X, où éclatèrent, comme des soleils, Raphaël et Michel-Ange.

On sent qu'il n'est pas de notre sujet de faire l'histoire complète de l'art. Tout ce que nous devons montrer, c'est en quoi le christianisme est plus favorable à la peinture qu'une autre religion. Or, il est aisé de prouver trois choses: 1° que la religion chrétienne, étant d'une nature spirituelle et mystique,

fournit à la peinture un beau idéal plus parfait et plus divin que celui qui naît d'un culte matériel; 2° que, corrigeant la laideur des passions ou les combattant avec force, elle donne des tons plus sublimes à la figure humaine, et fait mieux sentir l'âme dans les muscles et les liens de la matière; 3° enfin, · qu'elle a fourni aux arts des sujets plus beaux, plus riches, plus dramatiques, plus touchants que les sujets mythologiques.

Les deux premières propositions ont été amplement développées dans notre examen de la poésie : nous ne nous occuperons donc que de la troisième.

CHAP. IV. — DES SUJETS DE TABLEAUX.

Vérités fondamentales:

1° Les sujets antiques sont restés sous la main des peintres modernes ainsi, avec les scènes mythologiques, ils ont de plus les scènes chrétiennes;

2o Ce qui prouve que le christianisme parle plus au génie que la Fable, c'est qu'en général nos grands peintres ont mieux réussi dans les fonds sacrés que dans les fonds profanes;

3o Les costumes modernes conviennent peu aux arts d'imitation; mais le culte catholique a fourni à la peinture des costumes aussi nobles que ceux de l'antiquité 1.

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Pausanias, Pline3 et Plutarque nous ont conservé la description des tableaux de l'école grecque. Zeuxis avait pris pour sujet de ses trois principaux ouvrages Pénélope, Hélène et

4. Et ces costumes des Pères et des premiers chrétiens, costumes qui sont passés à nos religieux, ne sont autres que la robe des anciens philosophes grecs, appelée яερtбóλαtov ou pallium. Ce fut même un sujet de persécution pour les fidèles; lorsque les Romains ou les Juifs les apercevaient ainsi vêtus, ils s'écriaient: 'Oгρaixò éñibetńç! ô l'imposteur grec! (Hier., ep. x, ad Furiam.) On peut voir KORTHOLT, de Morib. Christ. cap. ш, p. 23; et BAR., an. LVI, no II. TERTULLIEN a écrit un livre entier (de Pallio) sur ce sujet. 2. PAUS., liv. v.-3. PLIN., lib. xxxv, cap. VIII, IX. 4. PLUT., in Hipp. Pomp. Lucul., etc.

l'Amour. Polygnote avait figuré sur les murs du temple de Delphes le sac de Troie et la descente d'Ulysse aux enfers. Euphanor peignit les douze dieux, Thésée donnant des lois, et les batailles de Cadmée, de Leuctres et de Mantinée; Apelles représenta Vénus Anadyomène sous les traits de Campaspe; Ætion, les noces d'Alexandre et de Roxane; et Timanthe, le sacrifice d'Iphigénie.

Rapprochez ces sujets des sujets chrétiens, et vous en sentirez l'infériorité. Le sacrifice d'Abraham, par exemple, est aussi touchant et d'un goût plus simple que celui d'Iphigénie : il n'y a là ni soldats, ni groupe, ni tumulte, ni ce mouvement qui sert à distraire de la scène. C'est le sommet d'une montagne, c'est un patriarche qui compte ses années par siècle; c'est un couteau levé sur un fils unique; c'est le bras de Dieu arrêtant le bras paternel. Les histoires de l'Ancien Testament ont rempli nos temples de pareils tableaux, et l'on sait combien les mœurs patriarcales, les costumes de l'Orient, la grande nature des animaux et des solitudes de l'Asie sont favorables au pinceau.

Le Nouveau Testament change le génie de la peinture. Sans lui rien ôter de sa sublimité, il lui donne plus de tendresse. Qui n'a cent fois admiré les Nativités, les Vierges et l'Enfant, les Fuites dans le désert, les Couronnements d'épines, les Sacrements, les Missions des apôtres, les Descentes de croix, les Femmes au saint sépulcre? Des bacchanales, des fêtes de Vénus, des rapts, des métamorphoses, peuvent-ils toucher le cœur comme les tableaux tirés de l'Écriture? Le christianisme nous montre partout la vertu et l'infortune, et le polythéisme est un culte de crimes et de prospérité. Notre religion à nous, c'est notre histoire; c'est pour nous que tant de spectacles tragiques ont été donnés au monde; nous sommes parties dans les scènes que le pinceau nous étale, et les accords les plus moraux et les plus touchants se reproduisent dans les sujets chrétiens. Soyez à jamais glorifiée, religion de Jésus-Christ, vous qui avez représenté au Louvre le Roi des rois crucifié, le Jugement dernier

au plafond de la salle de nos juges, une Résurrection à l'HôpitalGénéral, et la Naissance du Sauveur à la maison de ces orphelins délaissés de leurs pères et de leurs mères !

Au reste, nous pouvons dire ici des sujets de tableaux ce que nous avons dit ailleurs des sujets de poemes: le christianisme a fait naître pour le peintre une partie dramatique très-supérieure à celle de la mythologie. C'est aussi la religion qui nous a donné les Claude le Lorrain, comme elle nous a fourni les Delille et les Saint-Lambert. Mais tant de raisonnements sont inutiles parcourez la galerie du Louvre, et dites encore, si vous le pouvez, que le génie du christianisme est peu favorable aux beaux-arts.

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A quelques différences près, qui tiennent à la partie technique de l'art, ce que nous avons dit de la peinture s'applique également à la sculpture.

La statue de Moïse, par Michel-Ange, à Rome; Adam et Ève, par Baccio, à Florence; le groupe du Vou de Louis XIII, par Coustou, à Paris; le saint Denis, du même ; le tombeau du cardinal de Richelieu, ouvrage du double génie de Le Brun et de Girardon; le monument de Colbert, exécuté, d'après le dessin de Le Brun, par Coysevox et Tuby; le Christ, la Mère de pitié, les huit Apôtres de Bouchardon, et plusieurs autres statues du genre pieux, montrent que le christianisme ne saurait pas moins animer le marbre que la toile.

Cependant il est à désirer que les sculpteurs bannissent à l'avenir de leurs compositions funèbres ces squelettes qu'ils ont placés au monument: ce n'est point là le génie du christianisme, qui peint le trépas si beau pour le juste.

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Il faut également éviter de représenter des cadavres 1 (quel que soit d'ailleurs le mérite de l'exécution), ou l'humanité succombant sous de longues infirmités 2. Un guerrier expirant

1. Comme aux mausolées de François Ier et d'Anne de Bretagne. 2. Comme au tombeau du duc d'Harcourt.

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