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a choisi le pain pour se voiler, c'est que le froment est un emblème noble et pur de la nourriture divine.

Si cette haute et mystérieuse théologie, dont nous nous contentons d'ébaucher quelques traits, effraye nos lecteurs, qu'ils remarquent toutefois combien cette métaphysique est lumineuse auprès de celle de Pythagore, de Platon, de Timée, d'Aristote, de Carnéade, d'Épicure. On n'y trouve aucune de ces abstractions d'idées pour lesquelles on est obligé de se créer un langage inintelligible au commun des hommes.

En résumant ce que nous avons dit sur la Communion nous voyons qu'elle présente d'abord une pompe charmante; qu'elle enseigne la morale, parce qu'il faut être pur pour en approcher; qu'elle est l'offrande des dons de la terre au Créateur, et qu'elle rappelle la sublime et touchante histoire du Fils de l'Homme. Unie au souvenir de la Pâque et de la première alliance, la Communion va se perdre dans la nuit des temps; elle tient aux idées premières sur la nature de l'homme religieux et politique, et exprime l'antique égalité du genre humain; enfin, elle perpétue la mémoire de notre chute primitive, de notre rétablissement et de notre réunion avec Dieu.

CHAP. VIII.

SUITE DES SACREMENTS: LA CONFIRMATION,
L'ORDRE ET LE MARIAGE.

Examen du vœu du Célibat sous ses rapports moraux.

On ne cesse de s'étonner lorsqu'on remarque à quelle époque de la vie la religion a fixé le grand hyménée de l'homme et du Créateur. C'est le moment où le cœur va s'enflammer du feu des passions; le moment où il peut concevoir l'Être suprême : Dieu devient l'immense génie qui tourmente tout à coup l'adolescent, et qui remplit les facultés de son âme inquiète et agrandie. Mais le danger augmente; il faut de nouveaux secours à cet étranger sans expérience, exposé sur le chemin du monde. La religion ne l'oubliera point; elle tient en réserve un appui. La Confirmation vient soutenir ses pas tremblants, comme le bâton dans la main du voyageur, ou comme ces

sceptres qui passaient de race en race chez les rois antiques, et sur lesquels Évandre et Nestor, pasteurs des hommes, s'appuyaient en jugeant les peuples. Observons que la morale entière de la vie est renfermée dans le sacrement de Confirmation : quiconque a la force de confesser Dieu pratiquera nécessairement la vertu, puisque, commettre le crime, c'est renier le Créateur.

Le même esprit de sagesse a placé l'Ordre et le Mariage immédiatement après la Confirmation.

L'enfant est maintenant devenu homme, et la religion, qui l'a suivi des yeux avec une tendre sollicitude dans l'état de nature, ne l'abandonnera pas dans l'état de société. Admirez ici la profondeur des vues du législateur des chrétiens. Il n'a établi que deux sacrements sociaux, si nous osons nous exprimer ainsi; car, en effet, il n'y a que deux états dans la vie, le célibat et le mariage. Ainsi, sans s'embarrasser des distinctions civiles inventées par notre étroite raison, Jésus-Christ divise la société en deux classes. A ces classes, il ne donne point de lois politiques, mais des lois morales, et par là il se trouve d'accord avec toute l'antiquité. Les anciens sages de l'Orient, qui ont laissé une si merveilleuse renommée, n'assemblaient pas des hommes pris au hasard, pour méditer d'impraticables constitutions. Ces sages étaient de vénérables solitaires qui avaient voyagé longtemps, et qui chantaient les dieux sur la lyre. Chargés de richesses puisées chez les nations étrangères, plus riches encore des dons d'une vie sainte, le luth à la main, une couronne d'or dans les cheveux blancs, ces hommes divins, assis sous quelque platane, dictaient leurs leçons à tout un peuple ravi. Et quelles étaient ces institutions des Amphion, des Cadmus, des Orphée? Une belle musique appelée Loi, des danses, des cantiques, quelques arbres consacrés, des vieillards conduisant des enfants, un hymen formé auprès d'un tombeau, la religion et Dieu partout. C'est aussi ce que le christianisme a fait, mais d'une manière encore plus admirable.

Cependant les hommes ne s'accordent jamais sur les principes, et les institutions les plus sages ont trouvé des détracteurs. On s'est élevé dans ces derniers temps contre le vœu de célibat, attaché au sacrement d'Ordre. Les uns, cherchant partout des armes contre la religion, en ont cru trouver dans la religion même ils ont fait valoir l'ancienne discipline de l'Église, qui, selon eux, permettait le mariage du prêtre; les autres se sont contentés de faire de la chasteté chrétienne l'objet de leurs railleries. Répondons d'abord aux esprits sérieux et aux objections morales.

Il est certain d'abord que le septième canon du second concile de Latran, l'an 1139, fixe sans retour le célibat du clergé catholique à une époque plus reculée: on peut citer quelques dispositions du concile de Latran, en 1123; de Tibur, en 895; de Troli, en 909; de Tolède, en 633, et de Calcédoine, en 451. Baronius prouve que le vœu de célibat était général parmi le clergé dès le sixième siècle. Un canon du premier concile de Tours excommunie tout prêtre, diacre ou sous-diacre qui aurait conservé sa femme après avoir reçu les ordres : Si inventus fuerit presbyter cum sua presbytera, aut diaconus cum sua diaconissa, aut subdiaconus cum sua subdiaconissa, annum integrum excommunicatus habeatur. Dès le temps de saint Paul, la virginité était regardée comme l'état le plus parfait pour un chrétien.

Mais, en admettant un moment que le mariage des prêtres eût été toléré dans la primitive Église, ce qui ne peut se soutenir ni historiquement ni canoniquement, il ne s'ensuivrait pas qu'il dût être permis à présent aux ecclésiastiques. Les mœurs modernes s'opposent à cette innovation, qui détruirait d'ailleurs de fond en comble la discipline de l'Église.

Dans les anciens jours de la religion, jours de combats et de triomphes, les chrétiens, peu nombreux et remplis de vertu, vivaient fraternellement ensemble, goûtaient les mêmes joies, partageaient les mêmes tribulations à la table du Seigneur. Le pasteur aurait donc pu, à la rigueur, avoir une famille au mi

lieu de cette société sainte, qui était déjà sa famille ; il n'aurait point été détourné par ses propres enfants du soin de ses autres brebis, puisqu'ils auraient fait partie du troupeau; il n'aurait pu trahir pour eux les secrets du pécheur, puisqu'on n'avait point de crimes à cacher, et que les confessions se faisaient à haute voix dans ces basiliques de la mort, où les fidèles s'assemblaient pour prier sur les cendres des martyrs. Ces chrétiens avaient reçu du ciel un sacerdoce que nous avons perdu. C'était moins une assemblée du peuple qu'une communauté de lévites et de religieuses: le baptême les avait tous créés prêtres et confesseurs de Jésus-Christ.

Saint Justin le philosophe, dans sa première Apologie, fait une admirable description de la vie des fidèles de ce temps-là : « On nous accuse, dit-il, de troubler la tranquillité de l'État; et cependant un des principaux dogmes de notre foi est que rien n'est caché aux yeux de Dieu, et qu'il nous jugera sévèrement un jour sur nos bonnes et nos mauvaises actions: mais, ô puissant empereur! les peines mêmes que vous avez décernées contre nous ne font que nous affermir dans notre culte, puisque toutes ces persécutions nous ont été prédites par notre maître, fils du souverain Dieu, père et seigneur de l'univers. « Le jour du soleil (le dimanche), tous ceux qui demeurent à la ville et à la campagne s'assemblent en un lieu commun. On lit les saintes Écritures; un ancien1 exhorte ensuite le peuple à imiter de si beaux exemples. On s'élève, on prie de nouveau; on présente l'eau, le pain et le vin; le prélat fait l'action de grâces, l'assistance répond Amen. On distribue une partie des choses consacrées, et les diacres portent le reste aux absents. On fait une quête; les riches donnent ce qu'ils veulent. Le prélat garde ces aumônes pour en assister les veuves, les orpheins, les malades, les prisonniers, les étrangers, en un mot tous ceux qui sont dans le besoin, et dont le prélat est spécialement chargé. Si nous nous réunissons le jour du soleil, c'est

1. Un prêtre.

que Dieu fit le monde ce jour-là et que son Fils ressuscita à pareil jour, pour confirmer à ses disciples la doctrine que nous vous avons exposée.

<< Si vous la trouvez bonne, respectez-la; rejetez-la si elle vous semble méprisable; mais ne livrez pas pour cela aux bourreaux des gens qui n'ont fait aucun mal; car nous osons vous annoncer que vous n'éviterez pas le jugement de Dieu, si vous demeurez dans l'injustice. Au reste, quel que soit notre sort, que la volonté de Dieu soit faite. Nous aurions pu réclamer votre équité en vertu de la lettre de votre père, César Adrien, d'illustre et glorieuse mémoire; mais nous avons préféré nous confier en la justice de notre cause. >>

L'Apologie de Justin'était bien faite pour surprendre la terre.

4. Il est curieux de rapprocher de ce fragment de l'Apologie de saint Justin le tableau des mœurs des chrétiens que l'on trouve dans la fa meuse lettre de Pline le jeune à Trajan. Cette lettre, ainsi que la réponse de l'empereur, prouve que l'innocence des chrétiens était parfaitement reconnue, et que leur foi était leur seul crime. On y voit aussi la merveilleuse rapidité de la propagation de l'Évangile, puisque dès lors, dans une partie de l'empire, les temples étaient presque déserts. Pline écrivait cette lettre un an ou deux après la mort de saint Jean l'évangéliste, et environ quarante avant que saint Justin publiât son Apologie,

Quoique cette lettre soit extrêmement connue, on a cru qu'il ne serait pas hors de propos de l'insérer ici.

PLINE, proconsul dans la Bithynie et le Pont, à l'empereur TRAJAN.

« Je me fais une religion, seigneur, de vous exposer mes scrupules; car qui peut mieux me déterminer ou m'instruire? Je n'ai jamais assisté « à l'instruction et au jugement du procès d'aucun chrétien; ainsi je ne « sais sur quoi tombe l'information que l'on fait contre eux, ni jusqu'où << on doit porter leur punition. J'hésite beaucoup sur la différence des < âges. Faut-il les assujettir tous à la peine, sans distinguer les plus jeunes « des plus âgés? Doit-on pardonner à celui qui se repent? ou est-il inu⚫ « tile de renoncer au christianisme quand une fois on l'a embrassé? Est«< ce le nom seul que l'on punit en eux, ou sont-ce les crimes attachés à « ce nom? Cependant, voici la règle que j'ai suivie dans les accusations << intentées devant moi contre les chrétiens. Je les ai interrogés s'ils étaient «< chrétiens ceux qui l'ont avoué, je les ai interrogés une seconde et une troisième fois, et les ai menacés du supplice: quand ils ont persisté,

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